The Conversation : "Débat : profs en première ligne, la formation des enseignants en question"

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La formation devrait préparer à la réalité des conditions d’exercice du métier / Shutterstock
La formation devrait préparer à la réalité des conditions d’exercice du métier / Shutterstock
S’il appartient aux élèves enseignants, dûment prévenus, de se préparer à vivre des situations de terrain difficiles, il appartient aux cursus des futurs INSPE de le former à y « faire face ».
Avec la loi « pour une école de la confiance », la formation des enseignants redevient une préoccupation nationale. Des changements sont en perspective. En tout cas, au niveau des instituts de formation. Après les IUFM, à l’existence controversée, et les ESPE, à l’existence plus discrète, voici que devraient apparaître des INSPE (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation).

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Mais ne peut-on craindre que se vérifie une nouvelle fois la vérité de l’adage « plus ça change, moins ça change » ? La très intéressante émission Le monde en face, diffusée le 18 juin 2019 sur France 5 sous le titre « Profs en première ligne », interpelle très fortement à cet égard.
 

Un trou noir dans la formation ?

Les enseignants invités à témoigner dans le documentaire, comme ceux s’exprimant dans la table ronde lui faisant suite, ont unanimement condamné ce qui leur paraissait être une lacune très grave de leur formation, que celle-ci date des ESPE, des IUFM… ou d’avant ! « On n’a pas été formés à ça », est revenu comme un lancinant leitmotiv.

A quoi n’étaient-ils donc pas préparés ? Les exemples furent nombreux, de situations toujours douloureuses. Car violence et souffrance paraissent être le lot quotidien d’enseignants devenus, selon le titre de l’émission, des combattants de première ligne. Combattants qui, d’une façon générale, estiment n’avoir pas été formés à gérer des situations de violence. Qu’il s’agisse de la violence d’élèves agressant les personnes (les autres élèves, ou le professeur lui-même). Ou de la violence de groupes d’élèves harcelant un élève (ou un enseignant) devenu leur proie.

Des enseignants à qui on n’avait pas dit qu’ils allaient être exposés à tant de souffrances. La souffrance provoquée par l’arrogance de parents d’élèves se croyant plus qualifiés en pédagogie que le maître. La souffrance plus sourde causée par les chefs d’établissement, quand ils ne veulent rien voir ni rien savoir des drames vécus par leurs enseignants. Ou encore la souffrance infligée par les autorités académiques, quand elles refusent de soutenir et d’accompagner les enseignants agressés, abandon pouvant les conduire au suicide. Mais peut-on se préparer à la souffrance, et se former à la gestion du pire ?

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Peut-on former à faire face au pire ?

Se préparer à, et se former à, est-ce la même chose ? L’urgence est bien de se pencher sur les contenus de la formation, pour savoir s’il est possible, et comment, de combler la lacune dénoncée. Mais n’attend-on pas de la formation plus qu’elle ne peut donner ?

Certes, la formation devrait préparer les formés à la réalité des conditions d’exercice du métier, en leur ouvrant les yeux sur ces conditions. Nécessaire travail d’avertissement, et d’information, mais qui n’est pas un travail de formation, au sens propre. Il faut dire : « tu peux t’attendre à souffrir ». Mais comment aller plus loin ?

On le peut. Car s’il appartient au futur enseignant, dûment prévenu, de se préparer à souffrir, il appartient à l’institution de formation de le former à « faire face », c’est l’un de ses trois nécessaires piliers.

Le premier pilier est celui de la maîtrise du contenu des disciplines enseignées, que les concours (CAPE, Capes, agrégation) s’attachent à apprécier de façon relativement heureuse. Le deuxième pilier est celui de la dimension professionnelle du métier, dont l’apprentissage passe par les didactiques et la pédagogie, et exige une implication progressive sur le terrain.

Mais il existe un troisième pilier, qui fait l’objet d’un véritable déni, et auquel on ne consacre en conséquence ni le temps ni les efforts nécessaires : celui de la formation humaine et relationnelle. Savoir faire face à un groupe d’êtres humains est l’une des compétences de base de l’enseignant. Où, et quand, l’apprend-on ?

Bien sûr, il sera difficile de placer un formé en situation d’avoir à maîtriser un groupe d’élèves déchaînés, ou un élève qui, réellement, casse tout dans une classe. Mais les pilotes n’apprennent-ils pas l’essentiel sur un simulateur de vol ?

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L’enseignement, forcément un combat ?

En évoquant des « profs en première ligne », de quel combat parle-t-on ? Pour les enseignants eux-mêmes : d’un combat pour la défense de la langue, et de la culture. Pour la défense des valeurs républicaines. Pour le maintien du service public dans des quartiers déshérités. Pour le respect de la personne des « profs » et des élèves. Pour le retour d’une autorité légitime.

Il est clair que les évolutions culturelles, sociales, et économiques placent de plus en plus d’enseignants en situation d’avoir à mener un tel combat, et en première ligne. Mais ils ont alors sans doute plus besoin de reconnaissance sociale (laquelle se traduira d’abord dans un salaire décent), et d’un appui aussi constant que résolu de la part des autorités, que de formation.

Car les enseignants ont pour principal combat de lutter contre l’ignorance, l’erreur, les préjugés ; contre le manque de qualification, et le déficit en compétences. C’est à ce combat que doit principalement préparer la formation, sous sa triple dimension : académique, professionnelle, et humaine. Puissent les futurs INSPE ne négliger aucun de ces trois piliers, et le changement de nom s’accompagnera alors d’un véritable et fructueux changement !

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le27 juin 2019
Mis à jour le2 juillet 2019