Chanter les poètes

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16 octobre 2018 - 18 octobre 2018Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Alors que Dante affirmait encore au début du XIVe siècle, dans une sorte de filiation revendiquée avec la lyre des Muses ou d’Orphée, que «toutes paroles mises en vers [sont] chansons», et que troubadours et trouvères créaient au Moyen Age à la fois les poèmes et les musiques qui les accompagnaient, à la fin du Moyen Age et dès le XVIe siècle musique et poésie se dissocient. Le poème est alors considéré comme ayant une musique qui lui est propre. Tandis que la modernité a consacré le poème à lire silencieusement et que la chanson s’est constituée comme un art autonome, on assiste au XXe siècle à un regain d’intérêt pour la poésie, et le texte écrit pour la page devient texte de chanson. S’adressant à un public bien plus large que le genre défini au XIXe siècle de la «mélodie» (Kunstlied, Art Song), genre dont l’existence est constatable dès la Renaissance, des chanteurs «populaires» se tournent eux aussi vers une poésie qui n’était pas destinée à être chantée en public et transforment ainsi les vers des poètes en «paroles» de chanson. Ce phénomène s’amplifie et se constate dans toutes les aires linguistiques et culturelles au cours des XXe et XXIe siècles : en France les poésies d’Aragon sont adaptées par Léo Ferré, Jean Ferrat, et Brassens, en Espagne Miguel Hernández est mis en musique par Enrique Morente ou Carmen Linares, aux États­-Unis Jim Morrison ou Bob Dylan chantent les poèmes de William Blake, et l’on assiste à d’improbables rencontres entre Jean-Louis Murat et Antoinette Deshoulières, Pascal Obispo et Marceline Desbordes-Valmore, Jean-Louis Aubert et Michel Houellebecq, ou Carla Bruni et la poésie anglo-saxonne des XIXe et XXe siècles (W.B. Yeats, E. Dickinson, W.H. Auden, Dorothy Parker). L’adaptation de poésies devient ainsi une catégorie de la chanson populaire, et se retrouve dans tous les genres musicaux (jazz, pop, rock, flamenco, world music) se distinguant ainsi de productions moins attentives à la qualité du texte.

Ce sont ces phénomènes d’appropriation, d’interprétation (au sens propre) et de réinterprétation que nous voudrions étudier dans le cadre de ce colloque international «Chanter les poètes» qui permettra d’abord d’apporter un éclairage sur la constitution d’un «canon» : quels sont les poètes mis en chanson et comment s’opère le choix ? On s’interrogera aussi sur les modalités particulières de «mise en musique» de la poésie, sur la notion de «cantilation» et de poème «cantilable» (selon la définition de Stéphane Hirschi), sur la figure du chanteur comme «passeur», sur les phénomènes d’appropriation et de réécriture (Aragon définissait la mise en musique comme «une forme supérieure de la critique poétique, une critique créatrice, qui recrée le poème, qui choisit et donne à un vers une importance une valeur qu’il n’avait pas, le répète, en fait un refrain...»), sur les modifications introduites par la musique et la voix sur la perception du texte, voire sur le texte lui-même par l’adaptation, sur les liens privilégiés entre poésie savante et chanson populaire en fonction de la période abordée — Antiquité, Moyen Age, Renaissance, époque moderne époque contemporaine — et de l’aire géographique (Europe, Afrique , Amérique, Asie, Australie). Il sera aussi possible de s’intéresser à des textes de chansons visant une grande qualité poétique : les auteurs-compositeurs interprètes ne sont-ils pas des poètes à part entière, l’attribution en 2016 du Prix Nobel de littérature à Bob Dylan ne consacre-t-elle pas la valeur poétique du genre ?

Ce colloque, à vocation pluridisciplinaire et transnationale, sera l’occasion d’un dialogue entre différentes approches (littéraire, musicologique, historique, sociologique, philosophique, artistique).
 



Partenaire(s) : Laboratoire ILCEA4
Publié le  29 juin 2018
Mis à jour le  18 septembre 2018