Niveau d’orthographe : la dictée autrement
Curieusement, on dispose de peu d’études destinées à mesurer l’évolution du niveau orthographique dans le temps. Une étude de la DEP a porté non pas sur une dictée mais sur un ensemble de 26 dictées du certificat d’études des années 1920, proposées en 1995 à 2876 collégiens de la 6e à la 4e. Elle a permis de conclure à la baisse du niveau orthographique entre 1920 et 1995.
Anne-Marie Chartier, intriguée par la variation dans les moyennes obtenues aux 26 dictées (de 1,9/20 en moyenne à 10,9/20), a cherché à déterminer ce qui faisait la plus ou moins grande facilité d’une dictée. Elle a identifié trois facteurs : la longueur du texte ; le lexique et le registre d’écriture ; le nombre de marques inaudibles à l’oral. En somme, une dictée en soi n’est pas un instrument de mesure fiable. Oui, la dictée type certificat d’études, c’est la loterie !
Ce n’est pas parce qu’on dicte le même texte à 20 ans de distance, ou même 8 ans, que les conditions sont identiques ou strictement comparables. Il y a eu, depuis 1987, tant de mutations dans la société et dans l’école ! À commencer par la révolution informatique : que l’on songe au chemin parcouru depuis le plan Informatique pour tous en 1985. Sans oublier les évolutions des missions de l’école avec l’introduction des langues vivantes étrangères, de la sécurité routière, etc.
La pratique du redoublement a elle aussi beaucoup évolué en 30 ans : la DEPP rappelle dans sa note 28 que le taux de retard en fin de CM2 est passé de 33 % en 1987 à environ 10 % aujourd’hui. Les programmes ont eux aussi été modifiés à un rythme soutenu, en 2002, 2008, puis en 2015. Les attentes de la société ne sont pas, à l’évidence, les mêmes aujourd’hui qu’il y a trente ans.
Si le choix d’un texte de dictée n’est pas anodin, si les situations ne sont jamais vraiment comparables, il n’en reste pas moins qu’on n’a pas trouvé mieux que la dictée d’un texte pour évaluer les éventuelles évolutions du niveau des élèves. Et les performances semblent bel et bien s’effondrer. Alors que faire ?
Reconnaitre d’abord la complexité de l’orthographe du français
La première des choses, qui ne semble pas tomber sous le sens commun, est de reconnaître que l’orthographe du français est complexe, précisément à cause de ses marques inaudibles à l’oral, notamment grammaticales. Sans doute l’une des plus complexes au monde. Il n’est que de comparer avec l’italien, l’espagnol, l’allemand ou même l’anglais. La recherche a bien montré qu’il fallait au moins 10 ans en moyenne pour apprendre l’orthographe du français si l’on veut répondre aux standards requis par la société. Qu’on reconnaisse au moins la difficulté que constitue son apprentissage !
S’engager dans un apprentissage dont la difficulté est reconnue (on a donc le droit de faire des erreurs) ou dans un apprentissage dont on laisse entendre qu’il est « simple » (l’erreur devient vite pathologique), ce n’est pas la même chose.
Les structures syntaxiques de la dictée proposée en CM2 ne sont pas si simples qu’on veut bien s’en persuader : les participes passés sont éloignés du donneur d’accord dans leurs quatre garçons n’étaient pas rentrés ; les gamins se sont certainement perdus ; nous les verrons arriver très fatigués à la maison.
De nombreux travaux ont montré que l’éloignement du donneur d’accord est un obstacle à la réalisation de l’accord, pour l’adulte comme pour l’élève. D’autres travaux ont montré qu’il est difficile de déroger à l’application de la règle d’accord sujet-verbe et de ne pas mettre un s au participe passé dans ils n’ont pas encore retrouvé leur chemin. Mieux, deux des accords de la dictée proposée en CM2 sont hors programmes de l’école élémentaire : l’accord du participe passé d’un verbe pronominal (les gamins se sont certainement perdus) et l’accord avec le complément antéposé du participe passé employé avec avoir (elle les a déjà peut-être vus), deux accords attendus en fin de collège, dans les programmes de 2008 comme dans ceux de 2015, et que bien peu d’adultes maitrisent. Au total, cette dictée, qui ne présente pas moins de 22 zones potentielles d’erreurs sur les seules finales nominales et verbales, met effectivement l’accent sur la gestion des chaines d’accord.
Reconnaitre la complexité de l’orthographe du français, et donc la complexité de son apprentissage, implique une réflexion en termes de priorités, d’objectifs mesurés, de progressions, de tolérance aussi. Sortons de la logique des exceptions et de la valorisation de l’accord du participe passé, et entrons dans une logique de progression.
Tâchons de ne pas tout exiger tout de suite, et de déterminer ce qui, à chaque étape, est essentiel. Faisons appel aux capacités d’observation des élèves à propos de notions centrales, de fonctionnements récurrents de leur langue ; soyons attentifs à leur renvoyer une image de leurs progrès, à les encourager quotidiennement afin qu’ils ne se découragent pas. Les programmes pour l’école et pour le collège publiés en 2015 vont dans ce sens.
Se servir de la dictée pour travailler quotidiennement l’orthographe
Pour venir à bout de ce système d’écriture complexe, il vaut donc mieux travailler l’orthographe tous les jours dans un climat de confiance, sans peur de l’erreur. Certains dispositifs commencent à faire leurs preuves qui sont autant de formes de dictées d’apprentissage (zéro faute, dialoguée, frigo, phrase dictée du jour, etc.), qui mettent les élèves en réflexion sur leurs erreurs récurrentes et permettent de fructueux échanges dans la classe.
Des dispositifs où ils apprennent à analyser, à réfléchir aux accords, à les contrôler, à les justifier, à partir de phrases ou de textes soigneusement sélectionnés par des enseignants attentifs à la fréquence du vocabulaire, à la complexité des structures syntaxiques, à la progressivité des apprentissages, à ce qui est hors de portée de leurs élèves.
Valoriser les progrès
L’accent mis sur la baisse à un niveau donné fait oublier la progression des élèves d’un niveau à l’autre. Si l’on dictait ce texte aux collégiens, on obtiendrait à n’en pas douter une diminution du nombre d’erreurs au fil de la scolarité, comme on a pu l’observer aux trois moments où le texte de Fénelon a été dicté à plusieurs générations d’élèves, du CM2 à la classe de 3e, d’abord par l’inspecteur Beuvain en 1873, puis par André Chervel, Danièle Manesse et Danièle Cogis en 1987 et en 2005. Les études conduites sur plusieurs niveaux montrent une progression lente mais sure d’un niveau à l’autre.
Remettre la dictée à sa place
Quelle est la demande sociétale ? Apprendre à écrire ses propres textes et non pas apprendre à faire des dictées. Beaucoup de systèmes éducatifs se passent d’ailleurs de la dictée d’évaluation et évaluent l’orthographe en production de texte. Évaluer les progressions des élèves dans des études contrôlées est une chose, et une dictée soigneusement composée a alors son utilité ; avoir foi en l’évaluation par la dictée type certificat d’études en est une autre. Le temps est compté. Faisons de la dictée un vrai dispositif d’apprentissage et apprenons à travailler l’orthographe en lien avec la production d’écrit.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 29 novembre 2016.
Mis à jour le8 février 2017