The Conversation : "Débat : Trop peu de place pour la littérature de jeunesse au collège ?"

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Les textes de littérature de jeunesse résonnent fortement auprès du public collégien. Shutterstock
Les textes de littérature de jeunesse résonnent fortement auprès du public collégien. Shutterstock
Certains textes de littérature de jeunesse mériteraient d’être étudiés en classe. Une possibilité restreinte par les programmes de 2018. Explications à l’occasion du Salon du livre de Montreuil.
« Quel livre étudiez-vous en cours de français ? » Posez cette question à un collégien, et il y a de fortes chances qu’il évoque des pièces de Molière, des nouvelles de Maupassant, ou encore l’Antigone d’Anouilh. Plus rarement vous parlera-t-il d’œuvres de Marie-Aude Murail, de Timothée de Fombelle ou encore d’autres grands auteurs contemporains s’adressant aux enfants et aux adolescents.


En effet, la reconnaissance de la littérature de jeunesse dans le secondaire est relativement récente. Introduite dans les compléments au programme du collège de 1985, elle ne s’est imposée dans les programmes eux-mêmes qu’en 1997. Avec les textes publiés en 2015, un cap semble franchi : la littérature de jeunesse peut désormais faire l’objet de séquences d’étude en classe, si l’enseignant le souhaite, et n’est plus cantonnée aux « lectures cursives » – ces lectures conseillées ou demandées aux élèves en complément du cours de français.

Mais l’évolution est de courte durée. En juillet 2018 une nouvelle version des programmes est publiée pour certaines matières, dont le français. Si la plupart des modifications sont superficielles, d’autres ont plus de conséquences, comme pour la littérature de jeunesse. Dans les cycles 3 (CM1-CM2-6e) et 4 (5e-4e-3e), elle n’est plus évoquée qu’en lecture cursive, les études intégrales devant porter sur des « œuvres du patrimoine ».

Des catégories à relativiser

L’opposition ainsi créée entre littérature dite « de jeunesse » et « patrimoniale » mérite d’être interrogée. Elle suppose une différence de valeur qui préexisterait aux livres écrits, dans l’une ou l’autre catégorie. Or la frontière entre ces catégories est en réalité beaucoup plus poreuse qu’on le pense souvent. Souvent perçus comme reliés à l’enfance, les contes, qu’ils soient de Perrault, de Grimm ou d’autres furent longtemps lus par des adultes et se prêtent à des analyses littéraires poussées ; ils sont d’ailleurs parfois étudiés en lycée.

De plus, certains ouvrages ont changé de catégorie au cours du temps comme Oliver Twist de Charles Dickens qui est vendu aujourd’hui dans les rayons de littérature de jeunesse mais qui fut écrit pour les adultes. De nombreux ouvrages tels que Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry se trouvent dans les deux catégories à la fois. D’autres œuvres sont publiées à la fois dans des collections « jeunesse » et « adulte », sans que le texte ne change.

Nous pouvons par exemple penser à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll ou les œuvres de Jules Verne, comme Vingt mille lieues sous les mers. S’il ne faut pas juger un livre par sa couverture, c’est pourtant elle qui induit la perception d’une œuvre comme étant ou non de jeunesse. Ainsi, la distinction opérée apparaît surtout comme un phénomène éditorial plutôt que littéraire.

De multiples niveaux d’analyse

En outre, attribuer a priori une valeur littéraire à un livre en le rangeant dans une des deux catégories est assez absurde. Sur quels critères l’évaluer ? Un « bon » livre ne prend pas son lecteur pour un imbécile (comme le font certains livres de jeunesse mais aussi certains de littérature « adulte »), propose un texte qui ne soit pas complètement lisse, mais qui au contraire déploie sa profondeur lorsqu’on l’analyse.

C’est aussi un livre qui nous interpelle, dans notre humanité, notre rapport au monde, ou à la littérature elle-même. Il y a de mauvais et de bons livres dans toutes les catégories littéraires, mais l’existence des moins bons ne doit pas nous faire passer à côté du reste. Le Passeur de Lois Lowry par exemple, classé en littérature de jeunesse, est un livre permettant plusieurs niveaux d’analyses et ouvrant à des questionnements philosophiques. Il serait dommage de s’en priver.

L’étude de la littérature de jeunesse en classe peut donc être riche. Ajoutons à cela qu’elle offre aussi des textes qui résonnent fortement auprès du public collégien, permettant parfois une entrée plus facile dans la lecture, préalable nécessaire à l’analyse. Par exemple, la série Sauveur et fils de Marie-Aude Murail est en prise directe avec le présent, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une complexité narrative très intéressante à étudier en classe.

Des auteurs à rencontrer

La littérature de jeunesse est également une porte d’entrée pour la lecture de livres longs ; en version française, Le Hobbit de Tolkien fait environ 400 pages. Lorsqu’à l’issue d’une séquence sur ce livre le professeur fait remarquer aux élèves qu’ils ont lu autant de pages, cela contribue à dédramatiser l’obstacle que peut représenter pour eux la longueur d’un ouvrage.

Enfin, la littérature de jeunesse contemporaine peut être l’occasion de projets et de rencontres avec les écrivains, ce qui constitue toujours un temps stimulant pour les élèves, leur permettant de mieux comprendre que derrière chaque texte il y a un auteur.

Voilà qui peut aider à faire découvrir la littérature aux élèves et leur donner envie de lire. Aux professeurs de s’emparer de cette opportunité et d’articuler les différents pans de la littérature. Malheureusement, les derniers programmes limitent leur marge de manœuvre en matière de choix de textes.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.



Publié le27 novembre 2018
Mis à jour le30 novembre 2018