The Conversation : "Nouveau bac : pour trouver les bonnes épreuves, posons les bonnes questions"

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Quel examen ? Pour évaluer quoi ? © Karl Baron / Flickr, CC BY
Quel examen ? Pour évaluer quoi ? © Karl Baron / Flickr, CC BY
On ne pourra trouver les "bonnes épreuves" pour le nouveau bac sans faire l’effort de dépasser les questions simplificatrices pour s’attaquer, et dans le bon ordre, aux bonnes questions.

La réforme du bac met en pleine lumière le problème de ses épreuves, qui sont à « réinventer ». Certaines épreuves semblent soudainement bénéficier d’une nouvelle et forte cote (un grand oral ?). D’autres sont menacées de disparition (ex : le « sujet d’invention », épreuve d’écriture créative en français).

Pourra-t-on, et comment, faire un choix intelligent ? Le respect de trois conditions nous paraît s’imposer.

1. Ne pas se laisser prendre au piège des questions de surface

Ces questions pièges agitent fortement les esprits, mais en les détournant de l’essentiel. On en a aujourd’hui trois grands exemples.

Épreuves orales, ou épreuves écrites ?

La perspective de l’émergence d’un « grand oral » a fait naître de grandes craintes, d’autant plus fortes qu’il porterait sur un projet interdisciplinaire. L’oral ne va-t-il pas avantager les élèves issus des milieux les plus favorisés ? La réussite à l’oral ne convoque-t-elle pas des compétences « extérieures à l’école » ? Ne faudrait-il pas rejeter l’oral au motif qu’il engage trop fortement des compétences sociolinguistiques directement liées à l’origine sociale ?

Mais l’oral ne permettrait-il pas, au contraire, de valoriser des élèves pénalisés par le (mauvais) rapport à l’écrit développé dans leur milieu social ? Sans autre considération, dépassant leur stricte opposition, on ne peut que se perdre à rechercher qui, de l’oral ou de l’écrit, est le moins discriminant, et le plus approprié, pour une épreuve d’évaluation.

Épreuves nationales/terminales, ou locales/en continu ?

Faut-il faire une place (et laquelle) au contrôle continu, en diminuant le nombre des épreuves terminales ? On soupèse alors les intérêts et les risques respectifs du national, contre le local ; de l’anonymat, contre le travail à visage découvert ; du terminal, contre le continu. Le contrôle continu, par exemple, n’est-il pas trop sensible aux biais cognitifs qui pèsent sur l’évaluateur ?

Mais le national est-il synonyme d’égalité, et le local de laxisme ? Les enseignants/évaluateurs sont-ils nécessairement des juges sous influence en contrôle continu, et impartiaux en contrôle terminal ? Ne faudrait-il pas alors supprimer l’oral – où l’anonymat n’est pas possible – lors des épreuves terminales ? Et ne peut-on anonymer les copies en contrôle continu ? Rechercher les bonnes épreuves pour le bac dans le seul axe d’un tel questionnement conduit à des impasses.

Épreuves strictement disciplinaires, ou épreuves communes à plusieurs disciplines ?

Peut-on instaurer des épreuves mêlant plusieurs disciplines ? Comme il se doit, chaque discipline défend sa place dans l’architecture du nouvel examen. Compte tenu du fait que les lycéens travaillent d’abord pour être reçus au bac, et privilégient en conséquence les disciplines en fonction de leur poids dans l’examen (quotient attribué), il y va de leur survie en tant que disciplines.

Chaque discipline n’a-t-elle pas le droit de disposer d’une épreuve au bac ? Raisonner ainsi pourrait conduire à refuser toute épreuve pluridisciplinaire pour des motifs divers, mais essentiellement par crainte de la dévalorisation de disciplines dont l’existence ne serait pas sanctionnée par une épreuve dédiée marquant la reconnaissance sociale de son intérêt. Au risque de s’enfermer dans le respect de hiérarchies contestables, et de crouler sous le poids d’épreuves pléthoriques.

2. Remettre le questionnement à l’endroit

Il faut donc s’attacher à affronter les vrais défis. Mais quels sont-ils ? Le choix d’une épreuve n’est pas une question autonome, que l’on pourrait traiter en soi, dans une réflexion sur l’examen coupée d’une prise en considération du sens du travail au lycée, de l’« essence » des disciplines, et de la valeur probatoire des tâches d’évaluation. Il n’y a de bon choix que par référence à trois lignes de pertinence, dans l’axe de trois questions qui s’enchâssent.

En vue de quoi a-t-on instruit les lycéens ?

L’implicite sera toujours l’adversaire à vaincre. La première question pertinente est celle des fins. Car il faut avoir une vision claire de l’horizon du lycée, en articulation avec les futures tâches sociales visées par les enseignements qu’il délivre. C’est ici que trouve sa place et son sens la question des « prérequis ». Les épreuves doivent porter sur des acquis en relation avec ce qui attend les lycéens dans leurs futures études universitaires, ou dans la vie active.

Bien sûr, le lycée n’est pas un lieu de formation au sens strict, et toute visée strictement professionnelle serait prématurée. Cependant, le choix des disciplines enseignées, engageant un jeu de savoirs et de compétences privilégiés, n’a de sens que par référence à un ou plusieurs champs d’activités humaines. Ce n’est que par rapport à ces champs que, par exemple, des disciplines pourront être dites « majeures » ou « mineures » ; ou considérées comme dignes d’appartenir à un « tronc commun ».

Il faut donc définir les grands champs de développement à « sanctuariser » (Sciences et technologies ? Humanités et lettres ? Culture et motricité ?), car ce sont les acquis dans ces champs que les épreuves devront sanctionner en priorité. Ainsi la recherche des « bonnes » épreuves contraint logiquement à repenser les curricula. C’est un travail préalable, qui relève de la nation tout entière.

Qu’y a-t-il d’essentiel à acquérir dans chaque discipline d’enseignement ?

Peut-être est-ce beaucoup demander ? Certaines associations disciplinaires exigent d’ailleurs un moratoire. Que les choses restent, ou non, en l’état, il faudra –deuxième niveau de réflexion/décision- trouver des épreuves dont la pertinence tiendra à leur articulation avec des objectifs d’apprentissage jugés essentiels dans le cadre des « disciplines » retenues. C’est ici le lien fort de l’épreuve avec ce qu’un enseignement rend capable de faire qui en fonde la validité.

Le second défi est donc de trouver des épreuves solidement reliées à de tels objectifs, explicitement identifiés et nommés. Le travail consiste, dans le fouillis des programmes (toujours trop copieux), et des socles (dans lesquels il est très facile de se perdre), à saisir et désigner clairement ce dont la maîtrise est jugée essentielle.

Quels sont les savoirs, savoir-faire, capacités ou compétences, dont on veut vérifier l’appropriation ? Par exemple, la meilleure épreuve en maths est celle qui permet le mieux à l’élève de montrer qu’il sait faire ce que les mathématiques nous donnent (seules ?) le pouvoir de faire. Quoi (ex : mettre un problème en équation) ? C’est aux mathématiciens, et aux didacticiens des mathématiques, de le dire, et non plus au grand public.

Quelle activité est de nature à permettre aux élèves de faire au mieux leurs preuves quant à la maîtrise de l’essentiel ?

On peut alors, enfin, rechercher l’épreuve permettant le mieux aux élèves de montrer qu’ils maîtrisent les objectifs d’apprentissage prioritaires. La troisième question fondamentale peut s’exprimer assez simplement : quelle est, en chaque cas, l’épreuve la plus intelligente ? Le défi est de trouver des épreuves donnant réellement aux lycéens des chances de « faire leurs preuves ».

Évaluer signifiant exprimer un jugement de valeur, l’épreuve est intelligente si elle permet à l’évaluateur (c’est un devoir pour lui) de formuler un jugement justifiable par des « preuves » concrètes, car fondé sur une observation intelligente des prestations et productions de l’élève (exigence qui constitue un droit pour lui : cf. Hadji, in Bentolila, 2017). Plus l’épreuve permet de donner des preuves tangibles (dans une prestation non équivoque), meilleure elle est.

3. Garder à l’esprit deux faits mis en évidence par les recherches en évaluation…

Enfin, il faudrait toujours garder en mémoire deux faits incontournables.

Il n’y a pas d’épreuve « neutre »

Les élèves ne sont égaux ni devant les disciplines, ni devant les modes d’évaluation, ni devant les examinateurs. Toute épreuve a une dimension discriminante, en ce sens que sa réussite exige la maîtrise de compétences et de capacités inégalement distribuées, et pour une part socialement construites.

Ainsi l’orthographe est, à l’évidence, une épreuve socialement discriminante. Mais les mathématiques ne sont pas une discipline à l’abri des logiques sociales, et comme par nature favorable aux enfants des catégories défavorisées (Agnès van Zanten, in Le Monde du 26/01/18).

La recherche d’épreuves qui seraient « neutres » est donc vaine. On perdra son temps à peser leur pouvoir de discrimination, dans l’espoir de neutraliser les biais dus, à la fois, aux appartenances sociales (du côté des évalués), et aux représentations sociales (du côté des évaluateurs). Il nous paraît alors plus utile de prendre en compte un souhait qu’expriment souvent les élèves issus de catégories défavorisées : pouvoir restituer à l’examen des procédures et des connaissances apprises en classe.

Toute épreuve exige un apprentissage

Car il faut enfin comprendre que, si le choix des épreuves est important, l’essentiel, pour progresser vers un examen équitable, est d’en assurer une bonne préparation ! Une fois que l’on sait ce que l’on veut que les élèves sachent, il faut s’attacher à leur permettre de s’approprier réellement ce savoir. Le premier souci doit être de bien les préparer à effectuer ce qui a été jugé important.

De ce point de vue, le « sujet d’invention » est certainement une épreuve intelligente pour des élèves ayant été rendus capables d’identifier la gamme des procédés littéraires possibles pour un texte, et ayant été entraînés à écrire dans tous les registres, et si c’est bien cela que l’on veut apprécier ! Faute de quoi, l’épreuve sera aussi stupide qu’inéquitable !

Une préparation adéquate est la seule façon de permettre de surmonter les inégalités de dotation sociale. Telle est la part de vérité de l’« évaluation formatrice », telle que proposée par l’école d’Aix-Marseille (J.J. Bonniol, Georgette Nunziati) ; ou de l’évaluation « par contrat de confiance », prônée par André Antibi.

The ConversationCela devrait être de nature à rassurer ceux qui trouveraient nos trois conditions trop contraignantes. En définitive, la bonne épreuve est peut-être surtout celle à laquelle les enseignants sauront bien préparer.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.



Publié le11 mars 2018
Mis à jour le12 mars 2018