Des ondes de choc extrêmes dans l'Univers violent

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Figure 1 : Vue d'artiste de la coalescence de deux étoiles à neutrons, donnant lieu à l'émission d'ondes gravitationnelles et à un jet de plasma relativiste le long de l'axe de symétrie, précédé d’une onde de choc.  (c) NSF/LIGO/Sonoma State University/A.
Figure 1 : Vue d'artiste de la coalescence de deux étoiles à neutrons, donnant lieu à l'émission d'ondes gravitationnelles et à un jet de plasma relativiste le long de l'axe de symétrie, précédé d’une onde de choc. (c) NSF/LIGO/Sonoma State University/A. Simonnet
Une équipe de chercheurs français propose un modèle théorique détaillé de la structure des ondes de choc animées à des vitesses proches de celles de la lumière "relativistes, non magnétisées et sans collisions", qu’ils corroborent par des simulations numériques de pointe.
Les manifestations les plus énergétiques de l’Univers engendrent des ondes de choc animées à des vitesses proches de celles de la lumière. Celles-ci accélèrent des particules chargées jusqu’à de très hautes énergies, qui à leur tour produisent un rayonnement électromagnétique intense, observé de longue date. Le mécanisme physique qui sous-tend ces phénomènes demeure l’une des grandes énigmes de la physique des plasmas. Dans une étude à paraître dans la revue Physical Review Letters, une équipe de chercheurs français lève en partie le voile sur ce problème. Ils proposent un modèle théorique détaillé de la structure de ces ondes de choc « relativistes, non magnétisées et sans collisions », qu’ils corroborent par des simulations numériques de pointe. Ce travail fournit un modèle théorique de fond pour l'astrophysique des hautes énergies et pour l'astrophysique de laboratoire.
 

Le rayonnement multimessager de l'Univers

Les sources les plus énergétiques de notre Univers, tels les sursauts gamma, les coalescences d’étoiles à neutrons, les nébuleuses de pulsar ou encore les blazars, agissent comme des « accélérateurs de particules cosmiques ». Les particules accélérées, électrons ou ions, induisent, par divers processus connus, un rayonnement électromagnétique intense, ainsi que la production de rayons cosmiques et de neutrinos. L’étude de tous ces signaux et de l’émission conjointe d’ondes gravitationnelles forme le cœur de cette science émergente qu’est l’astrophysique « multimessager ».

Dans ce contexte, il est utile de prendre un compte une caractéristique commune à ces sources : les ondes de choc, qui sont connues pour être d’efficaces accélérateurs de particules. Produites suite à la libération d'une grande quantité d'énergie dans un volume réduit, elles forment l’interface entre les jets de plasma émis et le milieu ambiant. Celles associées aux sources les plus énergétiques sont dites relativistes car elles se meuvent à une vitesse proche de celle de la lumière.

Si à l’échelle macroscopique, il est aisé de considérer qu’une fraction de l’énergie de l’onde est cédée au gaz de particules, accélérant ainsi ces dernières, les choses se compliquent à l’échelle microscopique. L'accélération de particules résulte en effet de champs électriques produits au voisinage de l'onde de choc par des mécanismes mal connus et toujours débattus. De même, la physique de l'onde de choc est sujette à controverse dans de nombreuses communautés : physique fondamentale des plasmas, physique des plasma spatiaux, astrophysique des hautes énergies.

Ondes de choc relativistes et sans collisions

Par définition, une onde de choc sépare deux milieux de conditions physiques différentes : l’un choqué, l’autre non choqué. Dans des conditions usuelles, les collisions entre particules assurent la transition entre les deux milieux. Rares et inefficaces dans un environnement astrophysique, ces collisions laissent place à des interactions entre les particules et une turbulence électromagnétique, transportée à grande vitesse par l'onde de choc dans le plasma ambiant. Ce « front électromagnétique » chauffe et comprime le plasma, tout en accélérant une fraction de ses particules. Aussi est-il nécessaire de maîtriser la physique des ondes de choc pour comprendre le phénomène de l'accélération, et vice versa.

La structure d'une onde de choc électromagnétique « sans collisions » peut se résumer ainsi : l'interaction des particules accélérées avec le plasma ambiant excite des instabilités électromagnétiques, à l’origine d’une turbulence à petite échelle dans le précurseur du choc. En diffusant au sein de cette turbulence, le plasma ambiant chauffe et se met en mouvement. Quelques-unes de ses particules sont portées à haute énergie, ce qui permet de garder à niveau le réservoir de particules accélérées dans le précurseur du choc, y entretenant ainsi la turbulence nécessaire à la pérennité du choc.

Un modèle pour les ondes de choc astrophysiques

Une équipe française a élaboré un modèle théorique détaillé de la physique de ces ondes de choc astrophysiques. Pour la première fois sont mis au jour les différents mécanismes de génération de la turbulence, d'interaction de celle-ci avec le plasma ambiant, et d'injection des particules dans le processus d’accélération. Ce modèle s’appuie sur la caractérisation  d’un référentiel jusqu’alors non identifié, dans lequel la turbulence se réduit à des fluctuations magnétiques. Quoiqu’il permette de décrire relativement simplement l'interaction entre particules et turbulence, ce référentiel n'est pas inertiel, car sa vitesse varie en fonction de la distance au choc. En modélisant la dynamique du plasma dans la turbulence, et en tenant compte des effets relativistes non-inertiels, les chercheurs sont parvenus à démontrer comment le plasma est mis en mouvement et chauffé par le choc.

Ce modèle a par la suite été corroboré par une comparaison détaillée à des simulations numériques de type particle-in-cell, qui reproduisent, à partir des principes premiers, une onde de choc relativiste et sans collisions, ainsi que les processus d’accélération qui y surviennent. Réalisées à l’aide du code CALDER développé au  CEA sur le supercalculateur Curie-NF du Très grand centre de calcul (TGCC), grâce à une allocation du Grand équipement national de calcul intensif (GENCI), ces simulations ont nécessité un total de 9 millions d'heures de calcul (voir Fig. 2).
 

Figure 2 / Des ondes de choc extrêmes dans l'Univers violentFigure 2 : Agrandissement d'une simulation numérique à deux dimensions spatiales de la dynamique d'une onde de choc sans collisions et non magnétisée. Dans chaque boîte, le panneau supérieur montre l’amplitude de la composante hors du plan du champ magnétique, le panneau du bas la densité de particules du plasma ambiant. Le front de choc se situe en x=0 et se propage vers la droite : au bord droit de la boîte du haut, le plasma est non choqué, le champ magnétique est nul. Aux valeurs x<0, le plasma est choqué, une turbulence magnétique est persistante. Dans la zone intermédiaire, l'interaction entre les particules accélérées (non visibles ici) et le plasma ambiant engendre la turbulence magnétique, fabrique le choc et accélère les particules. c/ωp représente l’échelle de peau du plasma. (c) Arno Vanthieghem (IAP, ILP).


Les laboratoires français concernés sont l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP, CNRS / Sorbonne Université), l'Institut Lagrange de Paris (ILP, Sorbonne Université), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (Direction des applications militaires, Centre DAM Île-de-France) et l'Institut de Planétologie et d'Astrophysique de Grenoble (IPAG, CNRS/Université Grenoble Alpes).

Publié le17 juillet 2019
Mis à jour le22 juillet 2019