L’instrument GRAVITY détecte les flots d'accrétion qui nourrissent les jeunes étoiles

Sciences et technologies Article
Vue d’artiste des flots de gaz chaud sur l’étoile. La matière du disque protoplanétaire environnant, dans lequel naissent les planètes, est accrétée sur la surface de l’étoile par le champ magnétique à des vitesses supersoniques. © A. Mark Garlick
Vue d’artiste des flots de gaz chaud sur l’étoile. La matière du disque protoplanétaire environnant, dans lequel naissent les planètes, est accrétée sur la surface de l’étoile par le champ magnétique à des vitesses supersoniques. © A. Mark Garlick
À l’aide de l'instrument GRAVITY de l'European Southern Observatory (ESO), une équipe internationale composée d’astronomes français, irlandais, allemands et portugais a observé pour la première fois les colonnes de matière qui nourrissent les jeunes étoiles. Le matériau provient des disques entourant ces étoiles, les mêmes disques qui donnent naissance aux planètes. Ces résultats publiés le 26 août dans Nature font écho à de récents travaux menés par une équipe de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG - CNRS/UGA [1]) sur la région d'interaction étoile-disque de l’étoile DoAr44. Ces deux résultats mettent ainsi en évidence que le fort champ magnétique de l'étoile perturbe le disque interne et contrôle le flux d'accrétion sur l'étoile.
Le disque entourant une jeune étoile est connu sous le nom de disque protoplanétaire. Ces régions sont le berceau des planètes et se forment lorsque la matière est encore en cours d'accrétion par la jeune étoile. Les modélisations théoriques suggèrent que les jeunes étoiles acquièrent de la matière via leurs champs magnétiques et que ce matériau tombe vers la surface à des vitesses supersoniques. Les planètes semblables à la Terre se formeraient ainsi dans les régions internes de ces disques où d'énormes quantités d'énergie sont libérées par le processus d'accrétion. Par conséquent, comprendre comment ces processus se produisent est crucial pour notre compréhension de la formation des planètes dont celle de la Terre.

Bien qu'il se produise à des échelles équivalentes à quelques rayons solaires[2], ce processus d’accrétion n'a jamais été directement observé auparavant. En effet, la jeune étoile la plus proche est si éloignée de nous qu'elle nécessite certains des plus grands télescopes du monde et une instrumentation très sophistiquée pour l'observer. Pour étudier l'émission provenant du gaz chaud dans les régions les plus proches de ces étoiles jeunes, les équipes ont donc utilisé l’instrument GRAVITY qui combine la lumière des quatre télescopes de 8 mètres du Very Large Telescope de l’ESO en un super-télescope ayant une résolution équivalente à celle d'un télescope de 130 mètres de diamètre.

Des travaux menés par une équipe internationale composée d’astronomes français, irlandais, allemands et portugais, impliquant plusieurs scientifiques grenoblois de l’IPAG, se sont penchés sur l'une des jeunes étoiles les plus proches de nous, TW Hya dans la constellation d'Hydra, le serpent d'eau. L'étoile n'a « que » quelques millions d'années. Elle est située très près de la Terre, à seulement 196 années-lumière de distance, et le disque de matière l’entourant est orienté directement face à nous. Ce qui en faisait un candidat idéal pour sonder la façon dont la matière d'un disque formant une planète est canalisée vers la surface stellaire. Les résultats, publiés le 26 août dans Nature, montrent que, compte tenu de la taille de la région d’émission du gaz chaud et des vitesses mesurées, ce gaz chaud ne semble pas provenir de l’expulsion de la matière depuis le disque ou la surface stellaire (c'est-à-dire d'un vent), mais doit provenir des flux d'accrétion de matière sur l’étoile.

Ces résultats font écho à de précédents travaux publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics en avril dernier, menés sur l’étoile DoAr44 située dans le nuage r Ophiuchus à 476 années-lumière de distance. Ces études ont été menées avec l’instrument GRAVITY, par une équipe grenobloise dirigée par Jérôme Bouvier, directeur de recherche CNRS à l’IPAG, dans le cadre du projet SPIDI lauréat d’un financement européen (ERC). Par une mesure directe de l'échelle de la région d'interaction étoile-disque dans un système jeune, ces travaux mettent en évidence que les interactions se produisent très près de l'étoile, sur une distance inférieure à 5 rayons stellaires. De plus, ils montrent pour la première fois que la région d'interaction n'est pas exactement centrée sur l'étoile mais légèrement décalée de celle-ci, de moins d'un rayon stellaire.

Les deux résultats viennent ainsi comme une confirmation directe des modèles théoriques qui prédisent que la région d'interaction étoile-disque est régie par le champ magnétique stellaire. Tout comme le champ magnétique terrestre canalise les particules de haute énergie du vent solaire pour donner naissance à des aurores, le fort champ magnétique de l'étoile perturbe le disque interne et contrôle le flux d'accrétion sur l'étoile. De telles preuves directes d'accrétion magnétiquement contrôlée sur l'étoile étaient restées rares jusqu'à présent et fournissent un nouvel aperçu des conditions environnementales qui prévalent au moment de la formation des planètes dans les disques protoplanétaires.
 
Notes
[1] L’IPAG est membre de l’OSUG - Observatoire des Sciences de l'Univers de Grenoble.
[2] Le rayon solaire mesure 695 700 km.
Publié le27 août 2020
Mis à jour le27 août 2020