Un raid sur le plateau Antarctique pour mieux évaluer la hausse du niveau des mers

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© Bruno JOURDAIN / IGE / CNRS Photothèque
© Bruno JOURDAIN / IGE / CNRS Photothèque
Du 7 décembre 2019 au 25 janvier 2020, une équipe composée de scientifiques du CNRS, de l’Université Grenoble Alpes et de collègues italiens parcourra 1318 km aller-retour au centre du plateau Antarctique, pendant un raid organisé par l’Institut polaire français avec la collaboration du programme antarctique italien, depuis la station franco-italienne Concordia en direction du pôle Sud. Mieux déchiffrer les archives climatiques et mieux prévoir la hausse du niveau marin : tels sont les deux principaux objectifs de l’expédition EAIIST (East Antarctic International Ice Sheet Traverse), soutenue notamment par l’Agence nationale de la recherche et la Fondation BNP Paribas.

C’est l’une des plus grandes inconnues du changement climatique : comment le continent Antarctique réagit-il au réchauffement en cours ? On observe déjà une fonte accrue de la calotte, notamment sur les côtes. Mais selon certains modèles, le réchauffement s’accompagne aussi de précipitations plus intenses sur le continent blanc, ce qui limiterait la perte de masse de la calotte glaciaire et modérerait la montée des océans.

Des scientifiques français, italiens et australiens souhaitent tester cette hypothèse en vérifiant si l’accumulation de neige a effectivement augmenté sur le plateau Antarctique. Pour ce faire, le raid EAIIST explorera pendant plusieurs semaines ses parties les plus arides, inhospitalières et méconnues [1], pourtant essentielles au fonctionnement de la machine climatique terrestre.

Dans la région cible du raid, à mi-chemin entre Concordia et le pôle Sud, l’hyperaridité et le régime des vents conduisent à la formation de structures uniques sur Terre : des « surfaces vitrées », où la glace est à nu, et des ondulations de grande échelle appelées mégadunes, invisibles à l’œil nu mais révélées par satellite. Comprendre leur formation et la manière dont elles enregistrent la composition de l’atmosphère est essentiel pour interpréter les archives du climat que constituent les carottes de glace. Ces régions sont en effet considérées comme les meilleurs analogues des époques glaciaires [2], où les précipitations ont été beaucoup plus faibles que pendant les périodes chaudes.

Un ensemble de compétences a été rassemblé autour de ces questions : physique de la neige et géophysique, géochimie, chimie atmosphérique, météorologie. Aux différentes étapes, les spécialistes prélèveront des échantillons de neige et des carottes de glace, réaliseront des profils radar pour sonder l’empilement des couches de neige… Ils déploieront aussi des instruments autonomes (stations météorologiques, GPS et sismiques) afin d'obtenir un enregistrement saisonnier complet du comportement de la glace et des précipitations sur les différents sites visités. Ces mesures au sol seront mises en correspondance avec les données satellitaires et prolongées par des études en laboratoire.

Totalement autonome, l’expédition EAIIST est aussi un défi logistique. À la vitesse moyenne de 8 km/h, par des températures « estivales » de -25 à -45 °C, le convoi de 243 tonnes parcourra 1318 kilomètres en 50 jours (près de 4000 km si l’on inclut son préacheminement depuis la côte). Tout ceci est possible grâce au savoir-faire et à l’expérience de l’Institut polaire français et du Programma Nazionale Di Ricerche in Antartide italien, avec le soutien de l’Australian Antarctic Division. Sur les 10 personnes à bord en permanence, trois logisticiens et un médecin urgentiste de ces agences polaires accompagneront les scientifiques.

Le projet est piloté conjointement par Barbara Stenni, de l'Université Ca' Foscari de Venise, et Joël Savarino, chercheur CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement (CNRS/Université Grenoble-Alpes/IRD/Grenoble INP), responsable scientifique du raid. Au-delà de la dizaine de scientifiques de France et d’Italie participant à la traversée, le projet de recherche implique au total une quarantaine de scientifiques issus d’une quinzaine de laboratoires de France, d’Italie et d’Australie.

Outre les salaires des personnels et le support logistique (plus d’un million d’euros), l’opération bénéficie notamment du soutien de l’Agence nationale de la recherche et la Fondation BNP Paribas à hauteur de 1,6 million d'euros. La partie italienne du projet EAIIST est financée par le Ministère de l'éducation, de l'université et de la recherche à travers le Programme national de recherche antarctique (PNRA).
Notes
[1] Les observations par satellite fournissent des estimations de la variation de masse, mais leurs mesures reposent sur des mailles très larges, de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres.
[2] La dernière période glaciaire s’est achevée il y a environ 12 000 ans. Ces périodes sont connues grâce à des carottages profonds comme ceux de Vostok et Dôme C.
Publié le5 décembre 2019
Mis à jour le27 avril 2022