Antidouleurs : attention à la dépendance !
Ces médicaments, généralement prescrits pour les suites d’une opération chirurgicale ou contre une douleur chronique, comportent en effet un risque d’addiction pour certains patients. Ils peuvent également provoquer la mort par surdosage.
Mieux connaître les différents antalgiques, également appelés analgésiques, permet à chacun de rester vigilant s’il est amené à utiliser les plus forts d’entre eux. Certains signes doivent d’ailleurs alerter le patient. Ils sont des indices que sa consommation devient « problématique » – terme utilisé par les addictologues pour désigner l’entrée dans la zone rouge précédant la véritable addiction.
La douleur chronique, un mal répandu
Ce sont les douleurs chroniques, persistant au-delà de 3 à 6 mois, qui peuvent entraîner un problème de dépendance – et non les douleurs aiguës comme celle d’un abcès dentaire. Plus de 30 % des Français souffrent de douleur chronique, selon une étude publiée en 2008. Dans les deux tiers des cas, ces douleurs sont d’intensité modérée à sévère – une qualification subjective, puisqu’il n’existe pas de moyen de mesurer la douleur. Elles affectent davantage les femmes et les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées.
Si le niveau de la douleur est subjectif, on peut néanmoins suivre ses variations dans le temps chez une personne donnée, grâce à des échelles d’auto-évaluation chez les adultes, ou des échelles comme Dompoplus ou Algoplus pour les personnes incapables de communiquer. Ces outils permettent notamment de vérifier que le traitement est parvenu à la réduire.
En fonction de l’intensité de la douleur, trois groupes d’antalgiques peuvent être utilisés, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour les douleurs d’intensité légère à modérée, on aura recours aux antalgiques de palier I, dits périphériques (car ils n’ont pas d’action sur les récepteurs opioïdes de notre système nerveux). Il s’agit du paracétamol, de l’acide acétylsalicylique (aspirine) et des autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) tels que l’ibuprofène, à dose modérée.
Des antalgiques pour les douleurs modérées à intenses
Pour les douleurs d’intensité modérée à intense, on passe aux antalgiques de palier II. Ils regroupent les opioïdes (substance opiacée de synthèse ayant des effets similaires à ceux de l’opium tiré du pavot) dits faibles, commercialisés pour la grande majorité en association avec un antalgique périphérique, le plus souvent le paracétamol. On y trouve la codéine associée au paracétamol et/ou à l’acide acétylsalicylique, ou à l’ibuprofène ; le tramadol seul ou associé au paracétamol ; la poudre d’opium associée au paracétamol ; et la dihydrocodéine.
Les douleurs intenses ou rebelles sont traités par les antalgiques de palier III. Ils regroupent les opioïdes forts, la morphine, la péthidine, le fentanyl, l’hydromorphone, l’oxycodone, le buprénorphine ou le nalbuphine.
Dans les douleurs dites « neuropathiques », souvent liées à une atteinte du système nerveux, les antalgiques sont moins efficaces et génèrent de nombreux effets secondaires. Les anti-épileptiques et les antidépresseurs peuvent alors être proposés, car ils entraînent moins d’effets indésirables. Cependant, ils n’ont qu’une efficacité modérée, et observable chez seulement 50 % des patients environ, comme le montre une étude de 2010.
Le cannabis thérapeutique, pas encore accessible en France
Le cannabis thérapeutique, quant à lui, n’est pour l’instant pas accessible sur simple prescription médicale en France. Le Sativex a bien obtenu son autorisation de mise sur le marché dans la sclérose en plaques, mais il n’est toujours pas commercialisé faute d’accord sur le prix avec le fabricant.
Contre la douleur, plusieurs techniques fournissent des alternatives aux médicaments. Les Centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CEDT), structures publiques spécialisées, proposent notamment l’hypnose, l’acupuncture, la sophrologie, la relaxation, les thérapies cognitives et comportementales ou TCC, l’homéopathie, l’art-thérapie, la musicothérapie.
On peut aussi citer des techniques nouvelles de stimulation du cerveau à l’aide d’électrodes placées sur le crâne, dites de neuromodulation non invasive. La neurostimulation électrique transcutanée (TENS), le matelas magnétique, la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) et la stimulation transcrânienne par courant continue (tDCS), par exemple, sont pratiquées au CETD du CHU de Grenoble. Elles permettent de moduler, à la hausse ou à la baisse, l’activité de certaines régions cérébrales, celles dont le dysfonctionnement est à l’origine des douleurs chroniques chez le patient.
Usage problématique ou réelle addiction ?
Qui est concerné, aujourd’hui en France, par une addiction aux antidouleurs les plus puissants ? Difficile de répondre avec précision. Le sujet a été mis sur la table en 2015 lors du congrès international d’addictologie L’Albatros, à Paris. Le neurologue Didier Bouhassira et le président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur, le rhumatologue Serge Perrot, ont tenu une conférence au titre éloquent : « L’addiction aux antalgiques opioïdes, mythe ou réalité ? »
La difficulté pour mesurer le phénomène tient notamment à « la diversité des critères de définition utilisés dans les études, en l’absence de distinction entre usage problématique et réelle addiction » a expliqué Serge Perrot. De fait, chez l’adulte, le taux de prévalence d’addiction aux opiacés varie selon les études entre… 0 et 50 % dans les douleurs chroniques non cancéreuses, et entre 0 et 7,7 % dans les douleurs chroniques cancéreuses, selon une revue de la littérature scientifique de 2007.
Un questionnaire permet de se tester quant à une éventuelle addiction aux médicaments antalgiques. Baptisé le Pomi pour « Prescription opioid misuse index », il repose sur six questions simples.
- Vous arrive-t-il de prendre plus de médicaments que ceux qui vous sont prescrits ?
- Vous arrive-t-il de prendre plus souvent vos médicaments ?
- Vous arrive-t-il de faire renouveler votre traitement contre la douleur plus tôt que prévu ?
- Vous arrive-t-il de vous sentir bien ou euphorique après avoir pris votre antalgique ?
- Vous arrive-t-il de prendre votre médicament antalgique parce que vous êtes tracassé, pour faire face à d’autres problèmes que la douleur ou les surmonter ?
- Vous arrive-t-il de consulter plusieurs médecins et les urgences pour obtenir vos antalgiques ?
Si vous avez deux réponses positives ou plus, le réflexe doit être d’en parler à votre médecin prescripteur. On peut aussi s’adresser à un CETD ou à un addictologue dans un centre spécialisé, un Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
Un risque de surdosage mortel
La dépendance peut en effet augmenter le risque d’un surdosage mortel avec ces médicaments. Aux États-Unis, le nombre de décès attribuables aux médicaments à base d’opiacés ne cesse de croître, atteignant au total plus de 200 000 personnes entre 2002 et 2015.
Dans un article publié dans le New England Journal of Medicine en avril 2017, les addictologues Bruce Psaty et Joseph Merill constatent qu’une génération entière de médecins a été formée aux États-Unis à prescrire fréquemment des opioïdes quand leurs patients leur parlaient de douleur. La stratégie de l’industrie pharmaceutique pour augmenter les prescriptions et mondialiser, en particulier, l’oxycodone (Oxycontin, sous son nom commercial), est dénoncée dans une enquête du Los Angeles Times publiée le 18 décembre 2016 et reprise en français dans la revue médicale indépendante Le Flyer. Les journalistes y décrivent le rôle joué par Purdue Pharma et « la volonté de cette firme de développer une stratégie planétaire d’incitation à la prescription d’oxycodone ».
Le marketing efficace des fabricants
Si la France n’est pas touchée dans les mêmes proportions par ces surdosages, « personne ne souhaite que l’oxycodone, sous la pression d’un marketing efficace, devienne la première drogue mortelle en France, comme elle l’est aujourd’hui aux États-Unis », soulignaient dans la revue Le Flyer le pharmacien Stéphane Robinet et le rédacteur en chef Mustapha Benslimane.
On dénombre en France quelques centaines de décès chaque année liés à un opioïde médicamenteux, selon les chiffres présentés par le psychiatre Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand. Citées dans Le Monde du 24 avril 2017, ses données indiquent une augmentation de 128 % entre 2000 et 2014.
À Dinan (Côtes-d’Armor), un lycéen de 16 ans est mort le 2 mars d’une overdose, après avoir utilisé un patch de morphine. L’enquête est en cours pour savoir comment il s’était procuré ce puissant antidouleur, disponible uniquement sur ordonnance. À l’évidence, les dangers de ces médicaments sont loin d’être suffisamment connus de tous.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le7 juin 2017
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L'auteur
Médecin addictologue et tabacologue
Université Grenoble Alpes