La résidence alternée, une question sociale et politique
Les pères mis à l’écart
Selon le ministère de la Justice près de 200 000 enfants par an sont concernés par le divorce de leurs parents. Après divorce, un peu plus de sept enfants sur dix (73 %) vivent uniquement chez la mère, moins d’un sur dix (7 %) chez le seul père et moins de deux sur dix (17 %) vivent en résidence alternée, le plus souvent avec une alternance hebdomadaire. Les conditions de vie des enfants après divorce sont inégales sur le territoire : dans certains départements, près de 25 % vivent à égalité avec chacun de leurs parents alors qu’ils sont moins de 10 % dans d’autres.
Pour la majorité des cas (57 %) c’est l’arrangement dit "classique" qui est ordonné. Les enfants se retrouvent coupés d’un parent, souvent le père, durant deux semaines de classe avant de le retrouver pour un week-end et, plus tard, la moitié des vacances scolaires. Si l’on indique la mesure en jours, cela revient à un arrangement 12-2 (12 jours avec un parent et 2 jours avec l’autre) plus la moitié des vacances, soit moins de 30 % du temps. Cette situation fait que, petit à petit, près de 20 % des enfants séparés ne voient plus leur père.
La rupture forcée avec un parent nuit au bien-être des enfants
Un panel de la DEPP montre que les adolescents qui vivent avec un seul parent, sont toujours plus vulnérables à l’échec scolaire. Les recherches internationales vont dans le même sens. Les études à large échelle, conduites en Suède par l’équipe de Malin Bergström et la revue des 40 articles scientifiques internationaux publiée par Linda Nielsen, montrent que lorsque les enfants sont en résidence alternée égalitaire, leur état approche celui des jeunes des familles "intactes".
Pour les recherches scientifiques internationales, la résidence alternée ne prend pas nécessairement la forme d’une alternance de sept jours. C’est la proportion de temps qui compte, avec un seuil de temps minimum avec chaque parent incluant des nuitées chez chaque parent. Quel que soit le niveau social, culturel et financier des parents, il faut que les enfants vivent au minimum 35 % du temps avec chaque parent pour que l’effet de la séparation ne soit pas trop grave, aux niveaux cognitif, affectif, émotionnel et social. Ce seuil et ces nuitées permettent des interactions au quotidien, et pas seulement pour des loisirs, avec le parent non résident.
Ni l’âge des enfants ni le conflit des parents ne sont des critères pour bloquer la résidence alternée
Les recherches scientifiques ne concluent pas à des effets négatifs de la résidence alternée pour les jeunes enfants. Certains experts, parfois parce qu’ils étudient des couples qui n’ont pas vécu ensemble avant la naissance de l’enfant, en restent à demander des recherches supplémentaires et une adaptation au cas par cas des décisions de justice.
D’autres, très nombreux, qui se focalisent moins sur ces cas particuliers et se fondent sur les effets positifs de la résidence alternée, montrent que celle-ci est bénéfique aux très jeunes enfants. Très récemment, une étude de William Fabricius qui s’appuie sur les critiques faites aux précédentes recherches pour adopter une méthodologie plus valide, montre que la résidence alternée dès le plus jeune âge, moins de 2 ans, a des répercussions favorables jusqu’à l’âge adulte. Cet arrangement minimise les effets négatifs de la séparation des parents.
Les recherches ne montrent pas, non plus, que le conflit des parents interdit la résidence alternée. La revue de 33 articles de recherche réalisée par Chantal Clot-Grangeat lui permet d’affirmer que si le conflit n’est jamais bénéfique aux enfants, il n’est pas forcément destructeur. Le conflit peut, en effet, se fonder sur le désir sincère d’un ou des parents d’agir pour le bien des enfants. De plus, les effets du conflit ne sont pas directs car ils sont médiés, filtrés, par d’autres facteurs. En effet, le conflit agit différemment, d’une part, selon la maturité cognitive et émotionnelle des enfants et, d’autre part, selon le mode d’interaction d’un ou des parents avec les enfants. En outre, les parents séparés n’ont pas besoin de mieux s’entendre que les autres sur les questions d’éducation de leurs enfants et adolescents.
Améliorer le sort des enfants et adolescents de couples séparés
Puisque nous sommes à l’heure de la publication des programmes politiques pour les prochaines années, les responsables qui s’intéressent à la vie quotidienne de ces nombreux enfants et de leurs parents devraient reprendre à leur compte la résolution adoptée 2 octobre 2015 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui prône un équilibre femme-homme dans l’éducation des enfants, notamment en cas de divorce.
Cette résolution, portée par la députée luxembourgeoise Françoise Hetto-Gaasch, souligne que, "en Europe, le partage des responsabilités entre les femmes et les hommes au sein des familles a connu des évolutions remarquables dans le sens d’un plus grand équilibre. Toutefois […] le fait pour un parent et son enfant d’être ensemble constitue un élément essentiel de la vie familiale qui est protégée par la Convention européenne des droits de l’homme. Seules des circonstances exceptionnelles et particulièrement graves au vu de l’intérêt de l’enfant devraient pouvoir justifier une séparation, ordonnée par un juge." Les États européens sont appelés "à faire un plus grand usage de la résidence alternée qui est souvent la meilleure alternative pour préserver le lien entre l’enfant et ses parents."
Quelques textes existent en France pour aller dans ce sens. La loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, dite "loi famille", qui a été votée par l’Assemblée est en attente au Sénat. Ce texte veut instaurer la résidence de l’enfant chez ses deux parents pour supprimer le fait qu’un des parents n’ait qu’un droit de visite.
Un amendement, voté par le Sénat au début du quinquennat mais rejeté par le gouvernement, a précisé que "si la justice ne doit pas pouvoir imposer la résidence alternée des enfants en cas de divorce, rien, en revanche, ne doit pouvoir l’empêcher lorsqu’un des parents la demande. […] La préférence est donnée à la résidence en alternance paritaire." Adopter une telle loi mettrait la France au niveau de la Belgique. Dans ce pays, depuis la promulgation de la loi sur la résidence alternée égalitaire, un nombre plus important de pères ont osé demander la résidence alternée.
On pourrait envisager une justification collégiale, par un conseil destiné à discuter les cas limites, avant d’ordonner l’arrangement "un week-end sur deux strict". Ainsi, les juges ne seraient pas pris par le temps et la surcharge de dossiers quand auraient à être prises des décisions graves qui engagent, pour des années, la vie quotidienne des enfants. Cette question de collégialité est développée dans le rapport du groupe de travail présidé par le juge Marc Juston, dans le cadre de la préparation du projet de loi famille, depuis reporté.
On pourrait également prévoir que la décision soit temporaire et soit rediscutée, sans appel particulier à la justice, notamment pour les arrangements qui ne sont pas égalitaires. Ce nouvel examen se situerait aux étapes importantes de la vie de l’enfant : l’entrée au collège, par exemple. Cela pourrait rassurer les enfants qui ne peuvent pas rencontrer leurs deux parents à égalité. Cela permettrait aussi au parent privé de ces rencontres régulières avec son ou ses enfants de ne pas perdre espoir et d’éviter d’adopter des comportements extrêmes, comme le non-respect de l’obligation parentale d’entretien.
Les résultats de recherche et les réflexions politiques conduisent ainsi à vouloir améliorer la loi.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le8 février 2017
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