The Conversation : "Le couple franco-allemand et la relance de la défense européenne"

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Défilé militaire franco-allemand, en juillet 2012, à Reims pour célébrer le 50ème anniversaire de la rencontre entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Garitan/Wikimedia, CC BY-SA
Défilé militaire franco-allemand, en juillet 2012, à Reims pour célébrer le 50ème anniversaire de la rencontre entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Garitan/Wikimedia, CC BY-SA
La politique européenne de sécurité et de défense a connu ces deux dernières années un regain d’intérêt, suscité par un contexte politique et géopolitique du continent européen en pleine évolution.

Une fenêtre d’opportunité inédite

La décision britannique de quitter l’UE le 23 juin 2016 (Brexit) a permis de lever le verrou britannique sur la défense européenne. Puis l’élection à la Maison Blanche de Donald Trump, et celle d’Emmanuel Macron en France en mai 2017, ont parachevé ce contexte inédit pour relancer la défense européenne. Celle-ci semblait en panne d’inspiration ces dernières années, malgré plusieurs tentatives de relance en 2013 et 2015. Plus précisément, le couple franco-allemand se présente aujourd’hui comme la cheville ouvrière de cette relance.

Face à un environnement géopolitique mouvant et des menaces accrues (terrorisme, actions russes en Crimée et à l’Est des frontières de l’Union européenne, crise migratoire…), la France et l’Allemagne ont à nouveau endossé leur rôle de moteur, comme cela avait été le cas dans les années 1990 et au début des années 2000.

L’incertitude croissante que traduit tant la sortie du Royaume-Uni, partenaire majeur de la France et dans une moindre mesure de l’Allemagne en matière de défense, que l’accession à la présidence américaine d’une personnalité imprévisible et déterminée à réduire la facture de l’engagement militaire américain en Europe a servi de catalyseur au réveil du couple franco-allemand depuis 2016. Face aux défis de sécurité croissants, l’UE ne semble plus avoir d’autre alternative que de devenir plus efficace en matière de sécurité et de défense.

Un couple franco-allemand remobilisé par un contexte européen et international instable

Cette situation complexe ouvre également un nouvel univers de possibles : sans le verrou britannique, le chantier de la défense européenne peut être relancé. Les initiatives visant à rendre l’UE plus crédible et efficace sur le plan militaire ont d’ailleurs fleuri depuis le Brexit, sous une forte impulsion franco-allemande (voir ci-dessous).

Si le Brexit est un « coup porté à l’Union européenne », selon les termes employés par la chancelière Merkel, le 24 juin 2016, à Berlin dans son discours suivant le Brexit, il est aussi une occasion unique de réformer la construction européenne, projet que le président Hollande partageait en ces termes dans son propre discours du 24 juin 2016 à Paris.

Depuis l’été 2016, le couple franco-allemand se présente comme le moteur de la relance de la défense européenne en multipliant les initiatives bilatérales en vue de rendre l’UE plus autonome stratégiquement, suivant les orientations de la Stratégie globale de l’Union européenne adoptée en juin 2016.

Un moteur lancé dans les années 1990

Le rôle de moteur de la France et de l’Allemagne dans le développement de la défense européenne n’est pas nouveau pour autant. En effet, dès la fin des années 1980, et surtout suite aux guerres des Balkans qui ont tragiquement démontré, au début des années 1990,l’impuissance des Européens à stopper un conflit à leurs frontières, le Président Mitterrand et le Chancelier Kohl avaient initié le chantier de la défense européenne. L’heure était alors à la disparition du Pacte de Varsovie et au questionnement sur l’évolution du rôle de l’OTAN après la Guerre froide.

François Mitterrand et Helmut Kohl en octobre 1987 lors d’une rencontre en Allemagne. Bundesarchiv/Wikimedia, CC BY-SA



Les initiatives franco-allemandes ont fini par porter leur fruit à l’échelle européenne, se traduisant d’abord par la création de la Politique européenne de sécurité commune dans le cadre du Traité de Maastricht, puis de la Politique européenne de sécurité et de défense en 1999, suite au ralliement de Tony Blair au projet en décembre 1998 lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo.

Cette politique s'est d'ailleurs enrichie au fur et à mesure des années d'organes de décision à Bruxelles, d'instrument tels que les groupements tactiques (des unités militaires multinationales jamais encore déployées à ce jour), des procédures de gestion civile et militaire de crise, et même d'un mécanisme restreint de financement des certains coûts induits par les opérations militaires conduites par l'Union européenne (mécanisme Athéna). Elle a pris le nom de Politique de sécurité et de défense Commune avec le Traité de Lisbonne en 2009. L'UE a, d'ailleurs, conduit depuis le début des années 2000 une vingtaine d'opérations et missions militaires et civilo-militaires dans le monde (Afrique, Asie, Moyen-Orient, Golfe de la Somalie, Méditerranée).

Néanmoins, la fin des années 2000 a été marquée par un manque d'élan, alimenté par une relation franco-allemande focalisée sur ses divergences en matière de gestion de la crise financière et de gouvernance économique de l'UE. Les deux dernières années ont, en revanche, ouvert un nouveau champ de possibles pour le couple franco-allemand qui a repris l'initiative en matière de défense européenne.

Des initiatives bilatérales aux réalisations européennes

Depuis l'été 2016, les initiatives bilatérales franco-allemandes ont donc fleuri. Il en est résulté de nombreuses réalisations concrètes entérinées par l'ensemble des États européens. Les plus emblématiques sont la création d'une capacité de commandement d'opérations militaires non-exécutives (telles que l'opération de formation militaire au Mali), le fameux MPCC créé en juin 2017. Le lancement d'un Fonds européen de défense visant à soutenir l'émergence d'un marche européen de défense en proposant aux industries européennes des facilités de financement pour des projets partagés. Ce Fonds devrait être opérationnel d'ici 2019.

L'autre avancée majeure est la création d'une coopération structurée permanente (ou PESCO) en matière de défense. Il s'agit d'un mécanisme prévu par le Traité de Lisbonne et permettant aux États qui le souhaitent de coopérer plus étroitement en matière de défense, notamment. Le 23novembre 2017, 25 pays sur les 27 États-membres ont conclu un accord pour le lancement de cet outil visant à donner corps à la défense européenne.

Des divergences stratégiques persistantes

Il importe, néanmoins, de nuancer la portée de ce retour en forme du moteur franco-allemand. Il n'y a pas, à ce jour, d'accord entre les deux États, ni même à l'échelle européenne, sur l'usage de la force militaire, ou sur ce que signifie une véritable défense européenne. Si pour Paris l'Europe de la défense correspond à une quête de puissance et une capacité expéditionnaire, cette direction est loin d'être évidente pour Berlin. L'exemple le plus frappant est l'absence (au moins à court terme) d'une coopération structurée permanente franco-allemande, alors même que la France et l'Allemagne ont depuis deux ans fait pression sur les Etats européens pour utiliser cet outil.

De même, l'Allemagne participe certes au Mali à la mission EUTM (European Traing mission) de formation des forces armées et de sécurité locales, mais Berlin ne saurait envisager de participer à une opération militaire de haute intensité comme celle conduite par la France dans le Sahel.

De plus, si la Stratégie globale de l'UE permet de souligner l'importance d'accroître l'autonomie stratégique de l'Union, elle n'efface pas les divergences de perception des menaces entre les États européens. Certains pays (notamment les Etats baltes et la Pologne) perçoivent la menace russe comme la priorité, tandis que d'autres font du terrorisme et des enjeux migratoires le premier enjeu de sécurité européenne. Si le discours de la Sorbonne, le 26septembre 2017, du président Macron plaide pour une culture stratégique européenne commune, qui fait encore largement défaut, il serait vain de s'imaginer la construire en quelques mois. Toutes les avancées récentes en matière de défense européenne ne sauraient effacer des décennies de cultures stratégiques nationales, ni faire fi de systèmes de décision politico-militaires largement divergents.

Un contexte politique allemand en suspens

Le contexte politique de l'Allemagne suite aux élections de septembre 2017 risque, de plus, de conduire à un ralentissement de l'activisme franco-allemand début 2018. C'est d'autant plus probable qu'en dehors de la défense européenne, de fortes divergences persistent entre les deux rives du Rhin sur la gouvernance de la zone euro par exemple. De même, la place de l'outil militaire au sein de la lutte contre le terrorisme est un sujet de profond débat outre-Rhin : là où l'opération Sentinelle et la présence de l'armée sur le territoire national français ne suscite guère de débat à Paris, il semble inenvisageable pour l'instant à Berlin de pouvoir envisager de déployer des soldats sur le sol allemand dans le cadre de la lutte anti-terroriste, relevant strictement des compétences de la police allemande.

Au fond, si le couple franco-allemand apparaît bien comme le nécessaire aiguillon d'une défense européenne plus aboutie, il ne saurait en être le seul moteur. La défense européenne ne peut faire l'économie d'un débat stratégique élargi et sans faux semblants entre États européens. L'armée européenne, appelée de ses vœux en 2015 par le Président de la Commission européenne Jean-Claude Junker, ne semble donc, au mieux, qu'une utopie encore fort lointaine.

Christian Hoarau Professeur du Conservatoire national des arts et métiers, auteur de « La Catalogne dans tous ses états », L'Harmattan, 2017.)

Après l'échec du processus indépendantiste et la mise en œuvre de l'article 155 de la Constitution, le Gouvernement central a pris le contrôle politique et administratif de la Catalogne. Simultanément, M. Rajoy a convoqué des élections régionales anticipées pour le 21décembre prochain (21D). Il en attend une défaite des indépendantistes afin de limiter le plus possible la durée de l'intervention de l'État central à la tête de la Généralité. Cet objectif peut-il être atteint ? Rien n'est moins sûr. Tous les sondages montrent que les résultats prévus conduisent à une Catalogne ingouvernable. En conséquence la situation économique et sociale continuerait de se dégrader.

Ces élections sont exceptionnelles à plus d'un titre. D'abord, la participation, une des clés du scrutin, pourrait atteindre plus de 80 % et dépasser celle des élections de 2015. Ceci serait inédit pour ce type d'élection et constituerait une exception à l'abstention différentielle. Cette caractéristique du comportement électoral en Catalogne depuis quarante ans traduit un taux de participation plus élevé pour les élections générales que pour les élections au Parlement régional. Ensuite, les leaders des listes indépendantistes sont soit en détention provisoire (Oriol Junqueras, président de ERC) soit en fuite en Belgique (Carles Puigdemont, président de la Généralité destitué par Rajoy), et interviennent dans la campagne électorale par enregistrement audio pour le premier et visioconférence pour le second. Enfin, tous les sondages montrent que les choix des électeurs ne se font pas entre les deux grands blocs, indépendantistes et non indépendantistes (partis unionistes rebaptisés constitutionnalistes) mais en leur sein. Ils prévoient des scores de 46 %-49 % des votes pour le premier et 44 %-47 % pour le second. En dehors de ces deux blocs opposés, Catalunya en Comun (Podemos), probablement l'arbitre de ces élections obtiendrait environ 8 %.

Au sein de chacun de ces deux camps, de nombreux électeurs doutent encore de leur choix final pour tel ou tel parti. La lutte pour l'hégémonisme dans le bloc indépendantiste, qui était déjà présente mais de manière feutrée au cours de la dernière mandature, est explicitement au cœur de la campagne électorale. Au fil du temps, la liste JxCAT réduit l'avantage initial de ERC. La première pourrait obtenir entre 25 et 28 sièges et le second entre 32 et 35 sièges. La CUP obtiendrait entre 6 et 8 députés. Autrement dit, les indépendantistes frôlent la majorité absolue mais ne sont pas assurés de l'obtenir. Au cours de la campagne électorale leur message est clair. Ils recourent plus que jamais au discours identitaire catalan avec un argument de résistance : l'autogouvernement de la Catalogne sera taillé en pièces si les indépendantistes perdent la majorité.

Dans le camp unioniste ou constitutionnaliste, le parti Ciudadanos (C’s), principal bénéficiaire de l'augmentation du taux de participation, arriverait largement en tête avec 31 ou 32 sièges, devant le Parti socialiste catalan (PSC) avec 20 ou 21 députés et en dernier le Parti Populaire avec 6 députés. Le message des unionistes a évolué au cours de la campagne. Il a d'abord insisté sur les dommages causés à l'économie par la déclaration unilatérale d'indépendance (DUI) et le chaos qu'engendrerait une victoire des indépendantistes. Mais dans la dernière ligne droite de la campagne, le parti C’s, prompt à raviver le nationalisme espagnol (comme le PP) a développé un discours identitaire en appelant explicitement aux votes des Catalans d'origine andalouse.

En Catalogne, les électeurs votent plus par identité que par raison. Il s'agit d'un vote de fidélité à sa communauté d'appartenance ou de celle à laquelle l'on croit appartenir. Il y a deux Catalognes (indépendantiste majoritairement dans l'intérieur et non indépendantiste en majorité dans la métropole barcelonaise). Une recherche du Centre d'Études de l'Opinion (CEO) de la Généralité montre une corrélation entre le nombre de noms d'origine catalane et les préférences politiques. De même, les Catalans nés hors de Catalogne et leurs descendants votent majoritairement pour les partis unionistes. Ainsi plus de 72 % des Catalans affirment que ni les indicateurs économiques ni la fuite des entreprises n'affecteront leur vote du 21D. Les enquêtes montrent que les souverainistes bénéficient d'un soutien plus affirmé que les constitutionnalistes. Si 39 % affirment que la Catalogne ne sera jamais indépendante, plus de 50 % considèrent qu'elle le sera un jour, dans un, cinq, dix ans ou plus encore.

La première place se joue à deux ou trois sièges entre ERC et C’s. L'éventuelle victoire du parti C’s devant ERC aura plus une portée symbolique que pratique car il n'aura pas de majorité au Parlement. La Catalogne sera ingouvernable et dans ce cas de nouvelles élections sont à prévoir en 2018, ce qui prolongera d'autant le contrôle de la Généralité par le Gouvernement central.

Les deux blocs n'ont pas proposé de projet pour l'avenir de la Catalogne alors que son économie a souffert de la DUI même si celle-ci n'a eu qu'une charge symbolique mais aucun effet pratique puisqu'elle n'a pas été mise en œuvre. Néanmoins le référendum du 1er octobre et la DUI ont créé un climat d'insécurité pour les entreprises dont près de 3000 ont transféré leurs sièges sociaux et/ou fiscaux hors de Catalogne. Ce chiffre est à comparer au nombre d'entreprises catalanes de 250 salariés et plus (soit 1893 au 1er janvier 2017) pour évaluer l'impact de l'insécurité créée par la DUI. De plus les clients des banques Caixa et Sabadell ont sorti 6milliards de leurs comptes bancaires dans la semaine qui a suivi le référendum unilatéral du 1er octobre dernier.

Malgré une bonne tenue du cycle économique en Europe, la Catalogne a enregistré en octobre et novembre 2017 une forte baisse d'activité, notamment des ventes au détail et du tourisme. Cette baisse semble compensée au niveau de l'Espagne par le dynamisme des autres régions. Le ralentissement de la croissance du PIB catalan s'est accompagné d'une hausse du chômage, la plus élevée depuis 2009. Le climat de méfiance entraîne également un gel des investissements domestiques et étrangers.

Les résultats des élections catalanes auront également une incidence sur la vie politique nationale. Tout résultat menant à une nouvelle application de l'article 155 de la Constitution entraînerait probablement un échec de l'adoption du projet de loi de finances 2018 en raison de l'absence du soutien des députés du Parti nationaliste basque (PNV). Le PNV a suspendu son soutien au Parti Populaire en raison de l'application de l'article 155 en Catalogne.

En définitive, quel que soit le résultat des élections du 21D le risque d'une Catalogne ingouvernable est réel, ce qui entraînerait de nouvelles élections en 2018. Même si les partis indépendantistes avaient arithmétiquement une majorité absolue, ils seraient confrontés à des conflits internes qui rendraient difficiles un gouvernement stable. Une autre perspective de sortir de la boucle sans fin serait une alliance tripartite de gauche entre Catalunya En Comun (10-11 députés), partis charnière et faiseur de roi, et ERC et le PSC. Mais dans les deux types d'alliances la question centrale est celle de savoir qui sera le président de la Généralité ?
 

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


 
Publié le20 décembre 2017
Mis à jour le26 avril 2022