The Conversation : "Sortie de l’album de PNL, un (nouveau) coup de force stratégique"

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PNLMusic/Twitter
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Le nouvel album du binôme composé des rappeurs Ademo et N.O.S. sortira ce vendredi 5 avril, avec certainement son lot d’incertitudes, de surprises… et d’enseignements stratégiques.
« PNL : L’Histoire ou rien ». Voilà ce que titrait le média urbain OKLM trois jours après ce vendredi 22 mars, date de sortie du clip « Au DD » du groupe PNL, qui peut être analysé comme un double temps fort. Temps fort pour le monde du rap, puisqu’il marque le retour en force d’un groupe emblématique quasiment muet depuis le succès de son dernier opus « Dans la légende » (2016), et temps fort pour tout observateur attentif aux stratégies, à LA stratégie… et aux stratèges.
 


Annoncée en clôture du clip, la sortie du nouvel album du duo parisien, intitulé « Deux frères », est prévue ce vendredi 5 avril, avec certainement son lot d’incertitudes, de surprises… et d’enseignements stratégiques, donc.

Nous proposons ainsi d’analyser ce nouveau coup de force stratégique au prisme du triptyque « Rareté – Luxe – Disruption », trois concepts nous paraissant être au cœur de leur stratégie globale.

La rareté

À contre-courant des autres rappeurs lancés dans une course à la surexposition médiatique, PNL se caractérise par sa rareté : aucune interview accordée aux médias traditionnels (rap ou hors rap), une communication au compte-gouttes, des apparitions aussi rares que commentées… Ce silence devient ainsi un outil de communication et de promotion, créant l’attente et le désir. En effet, comme démontré depuis longtemps par les sciences économiques, la rareté d’un bien suscite un désir plus grand que s’il était disponible sans réserve, du fait d’une valeur perçue supérieure. De plus, cette rareté offre une capacité à créer la notoriété, par le contrôle de la diffusion du bien, pour en renforcer le sentiment d’exclusivité. Ce qu’a parfaitement compris PNL.

Stratégiquement, la rareté attise également la curiosité. Parmi les 20 millions de personnes ayant regardé le clip moins de 72 heures après sa sortie, combien sont des « clients fidèles » du groupe ? Des auditeurs de la première heure ? Il est toujours assez significatif de lire certains médias, notamment ceux s’intéressant peu au rap ou au « monde urbain », s’étonner de la fusée qui venait de décoller à la sortie du clip.

Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Cette stratégie de la rareté est autoréalisatrice : par sa finesse, elle structure le manque, le besoin, et l’aiguise. Au-delà du besoin de nombreux auditeurs d’écouter du PNL, c’est aussi un besoin d’être dans les premiers à avoir écouté le nouveau PNL, comme si l’auditeur était convaincu que le groupe détenait la recette, la formule magique, celle qui influencera le rap pour les années à venir : « j’connais la route, j’connais l’adresse », comme le disent les deux frères de Corbeil-Essonnes dans leur dernier titre.

Cette stratégie de la rareté s’apprécie enfin dans son contexte global, celui du milieu rap : en pleine expansion, tant artistique qu’économique, le rap est tiraillé entre les clashs et clivages des uns, la course au leadership des autres, un rap conscient entré en résistance face à une tendance à l’uniformisation commerciale… Et il y a PNL, hors sol (« j’suis ni d’chez moi ni d’chez vous »), quasi inhumain (« me sens pas trop humain, un peu comme mes igos habités, yah » ou « t’as reconnu le cri, côté animal »). Condillac illustrait dès le XVIIIe siècle le lien entre rareté et utilité en prenant l’exemple du verre d’eau dans le désert : c’est dans son contexte donc, que le verre d’eau prend de la valeur. Un contexte marqué ici par la coopétition des rappeurs, tantôt en coopération, tantôt en compétition, dans lequel PNL se démarque, prend de la valeur… et de la hauteur.

Le luxe

Il ne s’agit toutefois pas d’une stratégie de rareté pure. En effet, pour filer la métaphore économique, « consommer du PNL » ne réduit pas le nombre de parts de « PNL disponible ». À l’instar des produits du monde du luxe, c’est sa mise en consommation qui est limitée. Le « produit PNL » est identifié « luxe » par son auditoire, louant sa rareté, sa qualité (perçue ou réelle), la satisfaction apportée, l’image qu’il représente, etc.

Plus qu’un produit créé pour répondre à un besoin, PNL crée lui-même le besoin, leur produit de luxe devant faire rêver les consommateurs : c’est ainsi que le groupe a tenu en haleine son public durant une journée entière sur sa chaîne YouTube via une diffusion en direct (ou présentée comme telle) de la planète Terre se rapprochant progressivement, rapprochement parsemé d’indices furtifs, jusqu’à l’atterrissage annonçant la sortie du nouveau clip le soir même à 20h. Et c’est également ainsi que le groupe a préféré envoyer un singe les représenter à l’émission Planète Rap sur Skyrock ou pour la remise des disques d’or obtenus, le luxe ne se mélangeant pas avec « la masse ».

Mise en bouche, exaspération pour certains, exhausteur de goût pour d’autres : nul doute, avant d’avoir vu le clip ou entendu l’album, l’objectif est de confirmer que PNL est toujours PNL, et plus que jamais ce que les autres ne sont pas. Rareté et luxe donc, tous deux assis sur le dernier étage de la tour Eiffel, leurs regards témoignant d’une volonté de domination presque hégémonique sur la capitale et sur le monde du rap, évidemment.

La résonance ne s’arrête pas à nos frontières : des médias anglais, italiens, allemands, espagnols, suédois, mais également canadiens et japonais ( !) réagissent et font la promotion du groupe… PNL, c’est aussi la francophonie qui s’exporte, leur principal fait d’arme jusqu’à aujourd’hui étant d’avoir fait la couverture de l’emblématique magazine new-yorkais The Fader, sans pour autant avoir répondu aux questions des journalistes s’étant déplacés pour l’occasion.

La disruption

Dernier ingrédient de la recette PNL : la rupture avec le préexistant visant à définir de nouvelles règles, également appelé disruption, pour reprendre un anglicisme à la mode. Plutôt que d’innover par de simples améliorations minimes ou incrémentales, PNL tend à proposer une nouvelle manière de fonctionner et de communiquer vis-à-vis de ses auditeurs. Outre la rareté et le luxe, le groupe innove radicalement et à différents niveaux : stratégie de growth hacking visant à se constituer une large base de données de consommateurs au détour d’une campagne d’affichage sous forme d’avis de recherche et d’un numéro à joindre, permettant dans un second temps une communication prioritaire des dates de la tournée, des affichages publicitaires majeurs, des collaborations ciblées, le duo s’étant retrouvé égérie d’une célèbre marque qui lui a créé un modèle de veste spécialement pour le clip en question, après avoir été associé à la marque Supreme en 2016.

Cette disruption vis-à-vis du marché traditionnel du rap peut également s’analyser à partir de la constitution d’un univers propre, caractérisé par des musiques planantes et hypnotiques, des clips vidéo et visuels soignés, un storytelling relatant des thèmes peu assumés dans le monde viril du rap (dépression, mélancolie, vision romantique de la « galère », etc.), tout en conservant une forte proximité avec leur public. QLF, ou « Que La Famille », un slogan devenu mode de vie pour certains, accroissant leur sentiment d’appartenance à cet univers comme une seule et même communauté de valeurs. La musique n’est ainsi plus une fin en soi pour les fans : elle devient un moyen devant permettre de percer le mystère PNL, analysant le moindre texte, le moindre clip, alimentant de multiples théories, interprétations et fantasmes. Une communication qui n’est peut-être pas si calculée que cela, comme le laissait envisager Mouloud Achour, animateur de Clique TV, il y a quelque temps.

Bref, c’est un peu ça la stratégie PNL : savoir combiner rareté, luxe et disruption afin de fédérer des fans tout aussi fidèles qu’impatients. Et cela semble toujours fonctionner : le titre « Au DD » est le premier morceau de rap français à intégrer le top 30 mondial des morceaux les plus streamés sur Spotify.

Rendez-vous donc le 5 avril pour un moment stratégique rare, que certains chercheurs en gestion suivront de près. D’autant que l’un des rappeurs, dans son dernier couplet, nous laisse à penser que nous n’en avons pas fini avec cette stratégie : « c’est peut-être mon dernier album »…

Rareté, luxe, disruption : et si c’était cela le triptyque de la stratégie PNL ? Une question qui nous fait au passage dire qu’il serait temps de donner suite à l’Introduction au Hip Hop Management.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


 
Publié le3 avril 2019
Mis à jour le27 avril 2022