The Conversation : "Transition énergétique : la Californie est-elle aussi bonne élève qu'elle le dit ?"
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Lorsque Donald Trump a annoncé le 1er juin 2017 le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, plusieurs États américains ont affirmé leur désaccord. La prérogative environnementale relevant en partie des États fédérés, certains ont affiché des objectifs ambitieux en matière de transition énergétique et de lutte contre les dérèglements climatiques.
La Californie a été, le 17 juillet 2017, le premier État à prendre le contre-pied du président Trump et s’est érigée en exemple de la transition énergétique et écologique.
Cette prise de position s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire du Golden State qui, en matière de réglementations a joué un rôle décisif dans la défense de l’environnement et du climat.
De la création du premier espace naturel protégé en 1864 (qui deviendra en 1890 le parc national de Yosemite), aux premières régulations des émissions automobiles dans les années 1960, la Californie fait depuis longtemps figure de bonne élève en matière d’environnement.
Cependant, le Golden State incarne aussi la liberté, le véhicule individuel, les longs déplacements à la conquête des grands espaces… Le bilan carbone moyen d’un Californien (9,5 tonnes en 2016), même s’il est beaucoup plus bas que la moyenne nationale (14 tonnes), est cinq fois supérieur à ce que l’Accord de Paris exigera en 2050 (2 tonnes par habitant).
L’État oscille également entre un effort réel pour réduire la part des énergies fossiles dans son mix énergétique et une dépendance historique à ces dernières.
Alors, la Californie sera-t-elle à la hauteur de ses engagements ?
Un État engagé dans la transition énergétique de longue date
Frappée durement par les crises pétrolières des années 1973 et 1979 qui laissaient entrevoir une raréfaction drastique des énergies fossiles, la Californie a très tôt misé sur l’efficacité énergétique et a voté trois lois (1977, 1979, 1982) pour limiter la consommation d’énergie dans les secteurs de l’électroménager, du bâtiment et de la production d’énergie.
Le mot d’ordre : produire des biens et des services qui soient le moins énergivores possible. La grande « success story » est celle des réfrigérateurs, dont la consommation a diminué de 85 % entre 1970 et 2010.
Et il en va de même pour les télévisions, les ordinateurs, les lave-vaisselles, les climatiseurs ou encore les ampoules. Mises bout à bout, ces mesures ont eu un impact majeur sur la consommation énergétique californienne et une étude récente montre que si tous les États fédérés avaient procédé de la sorte, le bilan carbone des États-Unis serait aujourd’hui 25 % inférieur à ce qu’il est.
En parallèle, et pour répondre aux enjeux climatiques, le Golden State a dès le tournant des années 2000 cherché à accroître la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique. Il peut se targuer aujourd’hui d’avoir développé un des plus grands parcs éoliens au monde (Alta Wind Energy Center), plusieurs parcs solaires de renommée mondiale (Solar Star Projects, Ivanpah Solar).
La Californie produit 34 % de son électricité à partir des énergies renouvelables et elle est le premier productrice d’électricité du pays pour ce qui est du solaire, de la géothermie et de la biomasse, et le quatrième pour l’hydroélectrique. Notons enfin que les anti-nucléaires ont eu voix au chapitre et que Diablo Canyon Power Plant, la dernière centrale californienne située dans le comté de San Louis Obispo, sera fermée en 2025.
Le California Air Resources Board notait en juillet 2018 que la Californie avait vu ses émissions de CO2 descendre en dessous du niveau de 1990 tout en nourrissant un taux de croissance de 26 % sur la même période.
On retiendra par exemple que sous l’impulsion de ces réformes et entre 2006 et 2015, le PIB par habitant a augmenté de 5000 dollars et que l’industrie des renouvelables a créé 300 000 emplois.
Fidèle à l’image qu’elle cultive sur la scène internationale, la Californie serait le lieu où le rêve d’une transition énergétique réussie commencerait à voir le jour.
Un bilan carbone en demi-teinte
La réalité est cependant plus complexe. Le mix énergétique californien (72 % d’énergies fossiles, 14,5 % de renouvelables, 2,5 % de nucléaire et 11 % d’électricité importée d’autres États) reste en effet largement dominé par les énergies fossiles. Aussi, si la part des renouvelables dans le mix électrique augmente d’année en année, le Golden State est encore loin de consommer une énergie décarbonée.
Par ailleurs, une étude publiée en 2019 par des universitaires californiens montre que les émissions de CO2 de cet État varient grandement en fonction de la méthode de calcul utilisée. La méthode la plus répandue aujourd’hui consiste à ne prendre en compte que les émissions directes d’une région et à écarter les émissions indirectes.
Or, une éolienne installée en Californie peut être perçue comme produisant une énergie 100 % verte si, et uniquement si, on ne prend pas en compte toutes les émissions liées à l’extraction des matières premières et au transport.
En optant pour une méthode qui intègre les coûts indirects, cette étude présente une autre réalité : les émissions annuelles de la Californie sont 24 % supérieures à ce qu’annonce le gouvernement californien (445 Mt de CO2éq contre 550 pour cette étude).
Cette même étude souligne par ailleurs le fait que certains Californiens polluent beaucoup plus que d’autres. Les foyers les plus aisés ont ainsi un bilan carbone plus lourd que la moyenne. À titre d’exemple, dans le grand San Francisco, on trouve un écart de un à sept entre les résidents les plus riches et les résidents les plus pauvres (104 tonnes de CO2éq par an pour les premiers contre 15 pour les seconds).
C’est donc un bilan en demi-teinte. En matière d’énergie, l’efficacité ne remplacera pas la sobriété.
Plus sobres et plus en phase avec les engagements
La notion de sobriété (« sufficiency » en anglais) n’appartient pas au vocabulaire du gouvernement californien, qui préfère celle d’efficacité. Trop politisée (elle évoque historiquement la gauche de la gauche), la sobriété est l’apanage des mouvements citoyens, des écovillages et des écoquartiers.
Les adeptes de ce concept militent pour un changement profond des comportements individuels et collectifs et une diminution drastique des consommations pour vivre dans le respect des limites planétaires.
L’efficacité fait quant à elle la part belle aux inventions technologiques qui permettront, selon ses défenseurs, de trouver la solution aux problèmes climatiques.
En Californie, bien qu’elle ne soit pas portée par l’exécutif, la sobriété gagne du terrain. En témoignent les cent-trente communautés intentionnelles (des communautés dont les habitants partagent un haut niveau de cohésion sociale autour de valeurs communes) qui ont été créées aux quatre coins du Golden State. Les modes de vie alternatifs ont le vent en poupe.
Il existe certes une grande diversité dans l’interprétation de ce que devrait être un mode de vie en phase avec les limites planétaires (certains groupes sont plus proches du New Age que de l’engagement écologique), mais la mobilisation autour de la sobriété est indéniable.
Exemple emblématique : dans la banlieue est de Los Angeles, le LAEV (pour « Los Angeles Eco-Village ») existe depuis 1993 et regroupe aujourd’hui une quarantaine de personnes issues de différents milieux socioculturels.
Le LAEV fonctionne comme un laboratoire de la transition énergétique : on y partage les lieux de vie communs (jardin, potager, atelier vélo) et les véhicules (la plupart des habitants se déplacent à pied ou à vélo et ne possèdent pas de voiture), on apprend à connaître et cultiver les fruits et légumes endémiques et on contribue à relocaliser l’économie en consommant le plus localement possible.
À LAEV, on cherche à créer du lien à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté. Ces acteurs de la transition posent discrètement les jalons d’une vie plus sobre, plus inclusive et plus en phase avec les enjeux climatiques et environnementaux. Le bilan carbone de LAEV n’a pas été mesuré jusque-là, mais les études qui ont été menées sur l’impact environnemental des écovillages montrent que ces communautés ont en moyenne un bilan carbone 35 % inférieur aux zones non-engagées dans la transition.
Qu’elles fassent partie du réseau des écovillages, des écovilles, des villes en transition, ces initiatives sont nombreuses (plusieurs centaines en Californie et plusieurs milliers aux États-Unis) et elles forment un ensemble significatif dans le champ de la transition énergétique.
Néanmoins, en confrontant ces chiffres au rapport Planète Vivante du WWF (rapport qui propose une étude approfondie des tendances de la biodiversité mondiale et qui calcule en hectares globaux la capacité biologique de la planète), force est de constater que même les efforts de ces communautés intentionnelles ne suffiraient pas à vivre de manière durable et dans les limites planétaires : la grande majorité de ces communautés dépassent la capacité biologique de la planète (1,5 hectare global par habitant).
Les communautés intentionnelles montrent que « faire sa part » est essentiel mais insuffisant, et que les transitions locales doivent impérativement s’accompagner de réformes structurelles aux niveaux régional, national et international.
Le chemin vers une économie mondiale bas carbone sera long, mais, en Californie comme dans l’ensemble des économies développées, il semble important que ces initiatives citoyennes nourrissent les politiques publiques, puisque ce sont elles qui se tiennent au plus proche d’une transition énergétique réussie.
Mis à jour le3 novembre 2020
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L'auteur
Maître de conférences
Université Grenoble Alpes (UGA)