The Conversation : "Confinement : que faire pour les enfants en résidence partagée ?"

Éducation Article
Le confinement est l’occasion d’inventer de nouvelles manières de communiquer dans la famille séparée. Daniela Dimitrova / Pixabay, CC BY
Le confinement est l’occasion d’inventer de nouvelles manières de communiquer dans la famille séparée. Daniela Dimitrova / Pixabay, CC BY
Respecter les règles tout en s’adaptant à un contexte hors normes, c’est le défi qui se pose aux parents divorcés en contexte de confinement. Quelques pistes pour faciliter le dialogue familial.
En cette période exceptionnelle de confinement, la situation particulière des enfants dont les parents sont séparés mérite encore plus d’attention qu’à l’habitude. De nouvelles questions se posent. A-t-on le droit de faire transiter les enfants d’une résidence à l’autre ? Est-ce que les risques pris en valent la peine ? Comment compenser le manque de relations avec les deux parents ? Comment gérer les implications financières ?

Les procédures en vigueur sont claires : les transitions entre les résidences de l’enfant sont maintenues. Le ministre de l’Intérieur, dans son allocution du 13 mars, a clairement précisé que le déplacement des parents séparés pour assurer les modalités de résidence des enfants constituait un motif familial impérieux. Il convient simplement de cocher la case correspondante dans l’attestation de déplacement dérogatoire.

Le maintien de ces transitions régulières paraît particulièrement important pour les enfants qui sont en résidence pleine chez un parent, le plus souvent la mère, et qui ne rencontrent l’autre parent, souvent le père, que deux jours par quinzaine.

Dans la plupart des pays, le droit évolue pour s’adapter aux configurations familiales actuelles et s’orienter vers une meilleure prise en compte de l’apport de chaque parent à la sécurité affective et sociale de l’enfant. Dans la situation de confinement, du fait des inquiétudes qu’elle peut générer, cet équilibre de la présence de l’enfant avec chacun de ses parents est à préserver.

Règles et prise de décision

Au-delà de la simple perspective réglementaire, on peut se demander si le maintien des transitions vaut la peine dans un contexte d’épidémie. La réponse est plus complexe car il s’agit de décisions individuelles.

D’une part, il nous faut garder une certaine logique de raisonnement. Si nous acceptons le confinement, malgré les sacrifices que cela représente, c’est parce que nous nous conformons aux décisions de gouvernants qui affirment s’appuyer sur des préconisations scientifiques.

En conséquence, si le déplacement des parents séparés pour aller chercher ou déposer leurs enfants est reconnu comme motif dérogatoire à l’interdiction de déplacement, alors nous devons nous conformer à cette décision. Les transitions d’une résidence à l’autre, en résidence alternée ou selon le droit de visite et d’hébergement, doivent donc être respectées, selon la loi.

D’autre part, il nous faut certainement nous adapter aux situations particulières. Si les parents ou si les enfants sont malades au moment des jours de transition, il paraît évident qu’il faut reporter le déplacement. Il y a beaucoup d’autres cas possibles, les énumérer tous ici serait illusoire. Mieux vaut dégager quelques principes de prise de décision, tout en gardant en tête que les mesures de confinement sont faites pour protéger les familles et leurs proches contre la propagation du virus.

En garde alternée, puis-je garder mon enfant jusqu’à la fin du confinement ? (BFM TV).


La situation actuelle met en évidence l’importance des règles pour mieux vivre ensemble, comme citoyens, parents ou enfants. Parents et enfants sont sensibilisés à ce type de règles, dans la vie scolaire, par exemple. Discuter ces règles, les écrire parfois, savoir les adapter à l’évolution des évènements, est encore plus utile qu’à l’ordinaire.

Faire vivre la coparentalité

La loi française, comme de nombreuses lois à travers le monde, instaure la responsabilité commune des parents dans le soin et l’éducation des enfants. Concrètement, cela passe par le maintien de relations régulières et de contacts fréquents avec chaque parent, sauf si cela pourrait nuire à l’enfant. C’est d’ailleurs un droit inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), en son article 9-3.

Sans un effort de chaque parent pour maintenir des relations authentiques avec les enfants et, parallèlement, pour aider l’autre à maintenir ces relations, il est difficile de préserver l’engagement du couple parental dans le soin aux enfants. Une enquête de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) montrait que, lorsque l’hébergement est déséquilibré, la tentation de certains parents de « confisquer » l’autorité parentale de l’autre est forte.

Il ne faudrait pas que le confinement dû au Covid-19 renforce cette tentation, au détriment des enfants. À l’inverse, le confinement peut devenir l’occasion d’instaurer des contacts plus réguliers, par exemple grâce aux nombreuses applications disponibles sur Internet, de manière quotidienne, à heure fixe, entre l’enfant et le parent non-résident.

Respecter chaque parent

En temps ordinaire, il est assez fréquent que les parents divergent quant à certaines règles éducatives vis-à-vis de leurs enfants, encore plus lorsqu’ils sont séparés. En période de confinement, chacun invente des règles nouvelles pour faire face à la vie en commun, dans un logement qui n’est pas toujours adapté. Les réseaux sociaux regorgent d’idées sages ou saugrenues en la matière.

Il est clair que les divergences entre parents séparés risquent d’être exacerbées du fait de l’inventivité demandée à tous. Cela ne devrait pas constituer l’occasion de faire monter les tensions et de dénigrer l’autre parent. Comme le notait l’Observatoire national de l’enfance en danger, subir les effets à long terme de la mise à l’écart et de la dévalorisation d’un parent représente une violence domestique pouvant affecter l’enfant.

À lire aussi : Les écrans, atouts ou freins du dialogue familial ?

Dans une situation de confinement qui peut être angoissante, chaque parent devrait s’empêcher de rajouter du stress en dénigrant les tentatives de l’autre parent pour faire face à cette situation inédite. Encore une fois, le confinement est l’occasion d’inventer de nouvelles manières de communiquer dans la famille séparée.

Prêter attention aux besoins des enfants

Les enfants qui vivent en résidence principale chez un parent sous la modalité de résidence « un week-end sur deux » sont particulièrement vulnérables. Si la transition ne peut avoir lieu le week-end prévu, du fait de la maladie, et si les parents ne parviennent pas à s’adapter, alors la quinzaine sans l’autre parent, souvent le père, se transformera en une absence d’un mois.

Chez certains enfants, ce confinement peut ajouter de l’angoisse et de l’inquiétude à la difficulté d’être isolé de l’un des parents. Les parents devraient prêter encore plus d’attention aux besoins de leurs enfants et, si nécessaire, adapter le rythme des transitions et des communications afin de leur permettre de maintenir des liens réguliers avec chacun.

Si besoin, les parents peuvent toujours se mettre d’accord sur un arrangement transitoire qui prévoit, pour la fin du confinement, des droits de visite plus fréquents ou une résidence prolongée chez l’autre parent.

Écouter les enfants et les adolescents

La possibilité d’être écouté sur les questions les concernant est, également, un droit fondamental inscrit dans la CIDE (article 12). En matière de transition, en période de confinement, c’est l’occasion de demander ce qui fait plaisir et ce qui angoisse, ce qui fait envie et ce qui est difficile.

Que souhaite chaque enfant ou adolescent ? Le confinement dans un logement pas nécessairement adapté pour ceux qui ne viennent que deux jours par quinzaine est-il un repoussoir ? L’angoisse de sortir de chez soi est-elle trop forte ? L’envie de rencontrer l’autre parent – ou ses frères et sœurs de sa famille recomposée – est-elle plus puissante que tout le reste ?

Encore plus que d’ordinaire, et même si les enfants ne peuvent pas décider de tout, il est important de maintenir ou d’ouvrir un dialogue avec eux sur leur modalité de résidence.

Faire preuve d’inventivité

Le psychiatre Serge Hefez, interrogé sur France Inter, met en avant que cette situation inédite nous conduit, ensemble, à inventer des solutions nouvelles, pour le bien de tous et notamment des enfants.

Avec eux, nous devons développer des solutions originales, personnelles et relationnelles, pour surmonter ensemble le traumatisme collectif que nous vivons en ce moment. Le maintien des liens dans la famille et avec les autres est essentiel : le fait d’être relié donne du sens à l’effort énorme qui est demandé aux enfants et adolescents confinés.

À lire aussi : Covid-19 : point par point, des recommandations d’experts pour réduire les effets psychologiques négatifs liés au confinement

Durant le confinement, il est important de pousser les enfants et les adolescents à prendre leur téléphone pour appeler la famille et les proches, de les responsabiliser vis-à-vis des personnes isolées, notamment les plus âgées. Le confinement peut devenir une opportunité pour rouvrir les communications familiales ou amicales qui étaient suspendues du fait de la séparation du couple.

Rester calme et montrer de la patience

Les réseaux sociaux font part de demandes de réajustement des contributions au soin et à l’éducation des enfants. Dans certains cas, du fait des frais supplémentaires ou des annulations d’activité, des ajustements seront vraisemblablement utiles pour ces pensions alimentaires, en gardant en tête qu’un parent ne peut pas modifier sa part contributive de sa seule initiative, sous peine de poursuites pénales. On peut imaginer que les répercussions économiques du confinement poseront des difficultés telles que la réponse devra être plus globale.

Dans ces questions financières, ici encore, il faut savoir faire preuve d’inventivité et réagir en fonction de la situation réelle de chaque parent. Savoir prendre de la distance, apprendre à reconnaître ce qui peut attendre un peu, pourrait être un bénéfice du confinement.

Pari pour l’avenir

Pour finir, faisons un pari. La pandémie due au Covid-19 pourrait être transformée en une opportunité pour nous mettre dans un état d’esprit plus collectif, pour développer l’engagement de tous, afin de surmonter la situation actuelle et éviter sa reproduction.

Elle pourrait nous donner l’occasion d’apprendre à mieux nous comporter dans notre rapport à l’environnement, terrestre et social, et à mieux prêter attention aux besoins des plus vulnérables, notamment les enfants de parents séparés. N’est-ce pas un défi mobilisateur ?


Cet article a été écrit en collaboration avec : Chantal Clot-Grangeat, vice-présidente de International Council on Shared Parenting (ICSP) ; Luis Álvarez, pédopsychiatre, American Hospital of Paris ; Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, La Salpêtrière–Hôpitaux de Paris ; et Blandine Mallevaey, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Catholique de Lille.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le2 avril 2020
Mis à jour le2 avril 2020