The Conversation : "Électricité + hydrogène, le duo gagnant pour décarboner les systèmes énergétiques"

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Le nouveau monde énergétique s’appuiera sur une électrification poussée. Shutterstock
Le nouveau monde énergétique s’appuiera sur une électrification poussée. Shutterstock
Quelles sont les innovations qui vont dessiner les systèmes énergétiques décarbonés de demain ?
Pour atteindre l’objectif de « neutralité carbone », qui impose de réduire de manière drastique la consommation des énergies fossiles à l’horizon 2050, il faut mobiliser quatre « piliers » : la sobriété et l’efficacité dans les consommations, la décarbonation des énergies et celle des usages.

Cela implique des innovations majeures, à la fois dans les technologies, les comportements et les institutions.

Dans les trente dernières années, les progrès technologiques pour les énergies renouvelables ont déjà bouleversé la scène énergétique mondiale. Ces énergies sont aujourd’hui, dans certaines conditions, compétitives avec les énergies fossiles. Et il faut encore s’attendre à des progrès pour les panneaux photovoltaïques et les turbines éoliennes.

Mais pour parvenir à la décarbonation profonde des systèmes énergétiques, il faudra aller encore plus loin.


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Plus loin, notamment pour assurer à tout moment sur les réseaux l’adéquation de l’offre renouvelable et de la demande d’électricité : ce sont les questions du stockage et de la flexibilisation des consommations.

Plus loin aussi pour s’assurer qu’au niveau du consommateur, les équipements – véhicules, moyens de chauffage ou de production décentralisée d’électricité – permettent une utilisation performante des énergies décarbonées. Dans cette perspective, le déploiement du couple « électricité + hydrogène » apparaît une des options les plus prometteuses.

Retour sur l’évolution du coût des renouvelables

Avant d’examiner les innovations à venir, revenons sur les acquis.

Le véritable début des énergies nouvelles et renouvelables remonte au lendemain du premier choc pétrolier. C’est en 1975 que le CNRS construit son Programme interdisciplinaire de recherche pour le développement de l’énergie solaire (PIRDES), et en 1978 que se tient à New Delhi le congrès de la Société internationale de l’énergie solaire : « Le soleil, future source d’énergie de l’humanité ».

Il est à l’époque davantage question des cuisinières solaires ou des pompes thermodynamiques pour l’alimentation en eau dans le tiers-monde que des technologies plus « avancées », comme la production d’électricité par les panneaux photovoltaïques.

La technique vient de l’aérospatial et, à l’époque, le Watt installé de panneaux coûte 100 $ et le prix du kWh est prohibitif. Le coût des éoliennes est alors bien inférieur, mais il est encore beaucoup trop élevé pour produire une électricité compétitive face aux solutions conventionnelles.

Durant les quatre décennies qui ont suivi, un effort significatif sera déployé pour la recherche et développement mais aussi, et peut-être surtout, pour le financement d’un déploiement précompétitif : dans de nombreux pays, les politiques de subvention aux renouvelables se sont appuyées sur des « tarifs d’achats garantis », qui sécurisent les revenus des investisseurs, industriels et financiers.

Et, sur la durée, les résultats sont là, comme le montre la figure ci-dessous : alors qu’entre 1975 et 2015 les capacités photovoltaïques installées passent de 1 à plus de 50 000 MWe, le coût des panneaux chute de 100 $/We à 0,8 $/We aujourd’hui.

Coût du Watt installé/capacité cumulée installée mondiale en MW. Sascha Samadi/Wuppertal Institut

La raison expliquant cette division des coûts par plus de 100 a été identifiée très tôt par J.K. Arrow, un économiste des plus néoclassiques : il s’agit de l’« apprentissage par la pratique », soit le principe du « plus on fait et mieux on sait faire ».

Les travaux en économie du changement technique ont repris ce concept, en définissant une courbe d’apprentissage qui montre qu’à chaque doublement des capacités installées en photovoltaïque, on assiste à une baisse de 22 % en moyenne du coût du Watt installé.

Les leçons des trajectoires passées de progrès technique doivent être retenues : pour toutes les briques technologiques modulaires et produites en grande série – batteries, piles à combustibles, pompes à chaleur, électrolyseurs, stations de recharge – tout effort de déploiement, même initialement à perte, permettra de faire baisser les coûts.

Des « innovations de système » devenues incontournables

Dans tous les pays – industrialisés, émergents ou en développement – les coûts ont donc baissé au point que la production d’électricité renouvelable fait aujourd’hui partie des options privilégiées pour décarboner les systèmes énergétiques. Leur développement est massif.

Mais le problème change désormais de nature : la caractéristique des énergies renouvelables, éolienne et solaire, est en effet que leur production est intermittente, car dépendante de la météo, et donc non pilotable.

La question devient alors : la part de ces énergies intermittentes devenant non marginale, comment assurer l’équilibre entre l’offre et la demande sur le réseau électrique ?

Pour qu’un système électrique soit viable et économique il ne suffit pas en effet de produire à bas coût, encore faut-il que la production réponde à la demande… et ce à tout moment. Sinon c’est le « black-out » tant redouté des gestionnaires de réseaux du fait de leurs conséquences dramatiques pour l’économie et la société, et frôlé de justesse en janvier dernier.

D’où l’importance de toutes les solutions permettant l’équilibrage de l’offre et de la demande : flexibilisation des consommations (reports notamment), stockage de l’électricité (par des batteries produites en masse dans des gigafactories), mobilisation des batteries des véhicules électriques, enfin production de vecteurs secondaires (comme l’hydrogène) pour une réutilisation ultérieure.

On entre ici dans le domaine des nouveaux systèmes énergétiques décarbonés.

Pour les pays qui maintiennent une importante base électrique décarbonée (hydraulique et/ou nucléaire), ce problème d’équilibrage se pose, mais de manière moins aiguë… à la condition de garantir un parc en bon état de fonctionnement.

Pour la France, la question est celle de la durée de vie du parc nucléaire existant, mais aussi celle de la mise en œuvre d’un EPR « fiable et économique ».

Les innovations « en rupture » et leurs enjeux industriels

Dans certains cas, des innovations de système peuvent découler d’une combinaison originale de briques technologiques constituées de solutions matures ou pré-commerciales.

Il y a quinze ans, Nicolas Hayek (inventeur de la Swatch) proposait un schéma couplant système photovoltaïque et véhicule à hydrogène et, aujourd’hui, la Suisse expérimente des infrastructures de recharge pour les utilitaires à hydrogène. À l’horizon 2025 (demain !), des industriels projettent une production solaire photovoltaïque à grande échelle dans le Sud de l’Europe pour alimenter des électrolyseurs produisant de l’hydrogène, qui sera transporté dans des réseaux de gaz, initialement sous forme de mélange (hydrogène + gaz naturel).

Mais, le plus souvent, les innovations de système vont devoir s’appuyer sur de nouvelles technologies « en rupture », dans les grands réseaux comme dans les solutions décentralisées. Or, que ce soit dans le domaine du solaire photovoltaïque, des nouvelles batteries, des technologies de production d’hydrogène décarboné, mais aussi du nucléaire de quatrième génération, des ruptures sont en vue.

Pour les panneaux solaires photovoltaïques, on assiste au croisement entre les technologies solaires conventionnelles et celles des écrans plats qui vont permettre à la fois une augmentation des rendements et un changement d’échelle dans la production des panneaux, dans des processus de plus en plus automatisés.

Ainsi le poids de la main-d’œuvre dans les coûts de production va aller en baissant et l’ensemble des acteurs mondiaux devront revoir leurs usines. Les cartes industrielles sont aujourd’hui largement dans les mains de la Chine, mais elles pourraient être rebattues à l’avenir et l’Europe pourrait retrouver ses chances.

De même pour les batteries : le passage des batteries Li-ion à la technologie d’avenir Li « tout solide » permettra d’améliorer la sécurité, ainsi que les performances en autonomie et durabilité. Cela va entraîner une modification significative des outils de production dans le monde, pouvant permettre à la France et à l’Europe de se replacer dans la course.

Les technologies de l’hydrogène (électrolyseurs pour la production et piles à combustible pour les utilisations) ont le mérite de mobiliser les compétences en métallurgie et en mécanique existantes au niveau de la recherche fondamentale et appliquée et encore présentes dans bon nombre de secteurs en Europe.

Là aussi, les cartes peuvent être rebattues et l’Europe peut ambitionner de devenir un leader dans cette filière. C’est en tout cas l’objectif affiché dans les plans de relance post-Covid en France et dans le Green New Deal européen.

7 milliards d’euros pour lancer l’hydrogène vert en France. (France 24/Youtube, 2020).

Enfin, dans le domaine du nucléaire, de nouvelles solutions technologiques pointent à l’horizon. Avec une double perspective de rupture : le recours à de nouveaux concepts, relevant de la « quatrième génération » ; la plus petite taille des réacteurs (Small Modular Reactors).

Aux États-Unis, les projets Terrapower de Bill Gates ou NuScale, ceux de Rosatom en Russie, ceux du CEA ou du CNRS en France, s’inscrivent dans cette double perspective. Aux États-Unis encore, les projets fleurissent d’utilisation de l’énergie nucléaire pour la production en continu d’hydrogène décarboné.

Le développement de l’ensemble de ces innovations, soutenu par des politiques publiques, doit s’appuyer sur une bonne coordination de l’industrie et de la recherche, à l’échelle de l’Europe.

Dans le domaine de l’hydrogène par exemple, un « Airbus de l’énergie » pourrait permettre à l’Union européenne de retrouver une dynamique commune et de reprendre la course avec les pays asiatiques, qui ont connu dans le passé la plus forte croissance pour les énergies renouvelables, mais qui aujourd’hui misent et investissent massivement sur l’hydrogène.

Les promesses des systèmes « électricité + hydrogène »

On voit ainsi émerger un nouveau monde énergétique, qu’il est encore impossible de décrire avec précision tant est grande la multiplicité des innovations possibles et leurs combinaisons. Ce que l’on sait, c’est qu’il s’appuiera d’abord sur une électrification poussée, puis probablement sur l’hydrogène pour les usages non adaptés à l’électricité.

Par ailleurs, on ne peut plus considérer un monde énergétique centré uniquement sur des réseaux électriques centralisés. Le développement de l’hydrogène, couplé aux énergies décarbonées, permettra une production à des coûts très compétitifs et pour différentes échelles d’organisation des systèmes énergétiques : du local aux « plaques continentales ».

Dans ce contexte, les territoires deviennent une maille importante du paysage énergétique. Non seulement ils s’inscrivent dans le mouvement de décentralisation de l’énergie mais ils vont porter un volet de mixité des sources et des vecteurs décarbonés (électricité, hydrogène et chaleur) qu’il va falloir développer dans un souci d’optimisation énergétique à toutes les échelles.

Dans tous les domaines, de l’industrie aux transports, le couple « électricité + hydrogène » apparaît aujourd’hui comme l’option gagnante pour la décarbonation complète des systèmes énergétiques.


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le31 mars 2021
Mis à jour le31 mars 2021