The Conversation : "L’éducation physique et sportive, discipline mal-aimée des élèves ?"

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L’EPS semble aujourd’hui tiraillée entre les aspirations à des pratiques renouvelées (Cross Training, Yoga, Futsal…) et une forme de tradition relative aux activités sportives plus communément enseignées (athlétisme, sports collectifs). Shutterstock
L’EPS semble aujourd’hui tiraillée entre les aspirations à des pratiques renouvelées (Cross Training, Yoga, Futsal…) et une forme de tradition relative aux activités sportives plus communément enseignées (athlétisme, sports collectifs). Shutterstock
Si plus de 50 % des élèves souhaitent plus d’heures de cours d’EPS, d’autres redoutent de se trouver confrontés au regard des autres sur leur apparence physique. Éclairages.

Cet article a été coécrit avec Ilyes Saoudi, agrégé d’EPS et stagiaire au laboratoire SENS de l’Université Grenoble Alpes.

Dans l’exposé de la proposition de loi visant à renforcer la pratique sportive durant le cursus scolaire, enregistrée en février 2021 au Sénat, le sénateur Michel Savin avance que « l’Éducation physique et sportive (EPS) est trop souvent perçue comme une contrainte ». Cette affirmation sous-entend-elle que l’EPS serait une discipline mal-aimée ?

Puisque 57 % des élèves jugent le nombre d’heures d’EPS insuffisant, d’aucuns pourraient éluder la question. Quelques études soulignent que l’EPS constitue une des matières les plus appréciées par les élèves, tant à l’école primaire, qu’au collège et au lycée. En particulier, une étude menée aux États-Unis met en évidence que les meilleurs souvenirs des élèves en EPS sont souvent liés à la pratique d’activités sportives plaisantes ou encore au sentiment de compétence éprouvé suite aux progrès réalisés. Mais la situation est plus contrastée qu’elle n’y paraît.

Selon certains travaux scientifiques, si le cours d’EPS peut enchanter la journée d’un élève, il peut aussi devenir le cauchemar hebdomadaire d’autres. En effet, les pires souvenirs des élèves en EPS sont souvent liés à un sentiment de gêne éprouvé dans la pratique physique, un manque d’intérêt pour les activités proposées, ou encore à la difficile mise en image de son corps.

Images du corps

Plus particulièrement, les filles semblent plus nombreuses que les garçons à exprimer un avis critique vis-à-vis de l’EPS et y éprouvent moins d’intérêt. Il en découle un engagement moindre dans les séances d’EPS et un taux de dispense au baccalauréat toujours deux fois supérieur à celui des garçons.

Ce malaise peut en partie s’expliquer par les stéréotypes pro-masculins souvent véhiculés par les activités sportives pratiquées en EPS. Il peut aussi résulter de l’appréhension liée au regard de l’autre sur son apparence physique, crainte plus souvent ressentie par les filles et particulièrement susceptible d’être activée par la mise en jeu des corps. Ce même mécanisme pourrait aussi expliquer pourquoi les souvenirs d’EPS de certains élèves obèses peuvent se révéler particulièrement négatifs en EPS, notamment en natation où le corps est à la vue de tous.

Une option sport-santé contre le décrochage en EPS (France 3 Hauts-de-France, 2019).


Par ailleurs, au cours de la scolarité, on observe une progressive diminution du plaisir perçue chez les élèves en EPS. Avec l’âge, les élèves semblent de plus en plus s’engager dans cette discipline pour répondre à des pressions externes (comme les notes) ou internes (par exemple, éviter un sentiment de culpabilité), au détriment de motivations plus intrinsèques (tels le plaisir ou l’importance liés à la pratique).

Cet écart semble encore plus marqué dans les filières professionnelles, par rapport aux filières générales et technologiques : un plus grand nombre de lycéens y déclarent ne plus souhaiter se rendre en EPS s’ils en avaient le choix. Cette différence peut en partie expliquer l’écart de réussite observé en EPS entre les élèves des filières générale et technologique et ceux issus de filières professionnelles.

Matière en mouvement

Les rapports entretenus par les élèves avec l’EPS apparaissent donc à géométrie variable. Ce constat a été mis à jour avec force par le confinement lié à la pandémie de Covid-19 au printemps 2020. En dépit des efforts fournis par les enseignants d’EPS pour s’adapter à une situation pédagogique inédite, les niveaux d’activité physique chez les jeunes ont chuté lors de la fermeture des établissements scolaires.

Cette période pointe alors les difficultés des élèves à organiser de manière autonome leur propre activité physique et a catalysé d’intenses débats quant au rôle de l’EPS. En particulier, quels contenus proposer aux élèves pour donner à la fois l’envie, mais aussi les outils nécessaires à l’organisation de leur activité physique ?

L’EPS semble aujourd’hui tiraillée entre les aspirations de la jeunesse tournées vers des pratiques physiques renouvelées (Cross Training, Yoga, Futsal…) et une forme de tradition relative aux activités sportives plus communément enseignées et familières des enseignants (athlétisme, sports collectifs…). Gageons que ces débats ouvrent à des perspectives fertiles quant à un engagement durable dans l’activité physique chez les adolescents.

Quelle place pour l’enseignant ?

Il est curieux de noter à quel point l’image d’une EPS dépréciée traverse avec récurrence la trajectoire de cette discipline scolaire. Par exemple, les travaux historiques de Thomas Bauer et Jean‑Marc Lemonnier soulignent à travers l’étude de films populaires, comme Au revoir les enfants (1987), Péril Jeune (1994) ou Les Profs (2013), la fréquente représentation de cours de « gym » ou de « sport » autoritaires, ennuyeux, voire ridicules ! À tel point que cette image d’une matière « mal-aimée » devient parfois structurante des discours des acteurs en EPS, s’arc-boutant parfois autour de la défense d’une discipline perçue comme malmenée et peu considérée par l’institution scolaire.

Mais, question plus centrale à nos yeux, comment susciter, chez tous les élèves, une relation positive avec l’EPS ? D’une part, certaines rares études menées dans des contextes scolaires particuliers, comme au réputé lycée Henri IV à Paris ou dans des Sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), fournissent des données précieuses quant aux rapports différenciés que bâtissent les élèves avec cette matière scolaire.

D’autre part, il semble qu’in fine ce soit l’enseignant qui puisse « faire la différence » dans la relation progressivement construite par l’élève avec l’EPS. En particulier, des modèles contemporains de la motivation, comme la théorie de l’autodétermination, permettent d’identifier des styles pédagogiques propices à la construction d’une relation de plaisir avec l’EPS.

La recherche scientifique peut alors pleinement participer de la réduction d’inégalités liées au sexe, à la corpulence ou à l’établissement d’origine des élèves. Il en va ici de penser l’intervention de (futurs) enseignants qui ne sauraient se contenter du constat d’une discipline scolaire inégalement bien-aimée.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le31 mai 2021
Mis à jour le31 mai 2021