The Conversation : "La cruauté envers les animaux est-elle synonyme de violences envers les humains ?"
Ces faits divers sordides sont l’occasion de nous interroger sur la cruauté envers les animaux et son lien avec les violences envers les êtres humains.
Un vice qui pose question depuis l’Antiquité
La dureté des mœurs de son temps envers les animaux a inspiré à l’artiste William Hogarth sa fameuse fable picturale intitulée « les quatre étapes de la cruauté », réalisée en 1751. Dans cette série de gravures, l’artiste a représenté l’escalade cruelle d’un jeune Londonien, Tom Nero, de son enfance jusqu’à sa pendaison après avoir commis un homicide.
En concevant dans son quadriptyque une telle continuité entre la maltraitance infantile envers les animaux et les violences envers des humains, William Hogart condamnait les sévices subis par les animaux, dont il était trop souvent le témoin dans sa propre ville. Dans l’ouvrage « Anecdotes of William Hogarth, Written by Himself : With Essays on His Life and Genius, and Criticisms on his Work », il écrit à propos de cette série :
« Les gravures ont été réalisées dans l’espoir de corriger, dans une certaine mesure, ce traitement barbare des animaux, dont la seule vue rend les rues de notre métropole si pénibles pour tout esprit sensible. Si elles ont eu cet effet (…) je suis plus fier d’en avoir été l’auteur que je ne le serais d’avoir peint les Cartons de Raphaël. »
Ce réquisitoire qui blâme la cruauté envers les animaux et qui en fait un symptôme, voire une étape causale des crimes de sang, traduisait un sentiment déjà ancien à l’époque de Hogart. Les conduites cruelles envers les animaux commises durant l’enfance ont en effet été considérées depuis l’Antiquité par de nombreux penseurs comme un vice alarmant que les autorités éducatives et la société dans son ensemble devaient combattre.
Après Pythagore, le théologien Thomas d’Aquin, et les philosophes Montaigne, Kant et Locke y ont suspecté la trace d’une inquiétante insensibilité présageant de crimes futurs, idée reprise par la psychanalyste Anna Freud et l’anthropologue Margaret Mead, et également suggérée dans le livre de Michel Foucault consacré au meurtrier Pierre Rivière.
Depuis les années 1960, les liens entre les troubles psychiatriques et la maltraitance animale font l’objet d’innombrables études. L’histoire très médiatisée de tueurs en série comme Ted Bundy, auteur d’au moins 37 homicides, dont les meurtres d’animaux auraient précédé les meurtres humains, refait régulièrement surface.
Que nous disent les résultats des scientifiques qui ont étudié cette question ?
Corrélation entre maltraitance animale et violence envers les humains
L’une des premières tentatives d’inscrire ce phénomène dans un cadre psychiatrique a été dessinée par John Mac Donald durant la seconde moitié du XXe siècle. Communément désignée comme la « triade de Mac Donald », cette configuration de signes présageant des violences futures s’est fondée sur l’analyse d’une centaine de patients d’un hôpital psychiatrique du Colorado aux États-Unis qui avaient pour point commun d’avoir proféré des menaces de mort. Ainsi, des patients qui avaient été diagnostiqués énurétiques après 5 ans, ceux qui avaient commis des actes de pyromanie et ceux qui avaient été cruels envers les animaux durant l’enfance présentaient, selon Mac Donald, un risque majoré de commettre des violences graves une fois adultes.
Bien que la psychiatrie ne s’appuie plus aujourd’hui sur cette conceptualisation pour l’analyse des conduites à problèmes des enfants et des adolescents, car les trois facettes de la triade ne sont finalement pas aussi fortement liées que cela avait été suggéré, celle-ci a sensibilisé de nombreux psychiatres et travailleurs sociaux à ce que pouvait révéler les violences envers les animaux.
De nombreuses autres études ont porté sur le sujet des liens entre maltraitances des animaux et violences interpersonnelles. La revue scientifique Research in Veterinary Science a recensé pas moins de 96 publications sur ce thème depuis 1960. Dans 98 % des articles, une corrélation entre les violences envers des humains et la maltraitance animale était effectivement relevée.
La force de ce lien statistique a conduit plusieurs agences publiques à porter leur attention sur la manière dont les gens traitaient les animaux, afin de déceler ou d’analyser les violences envers les personnes. Depuis 2015, la police américaine collecte des données sur les actes de cruauté envers les animaux domestiques, qui sont ensuite mises en relation avec des violences familiales ou des homicides.
En psychiatrie, le manuel de référence servant à catégoriser les troubles mentaux prend lui aussi en compte, depuis 1987, les violences commises envers les animaux pour diagnostiquer un problème de comportement. Au Royaume-Uni, les travailleurs sociaux sont sensibilisés au sujet et comptabilisent les signes de maltraitance animale dans leurs indicateurs de problèmes familiaux. En effet, il n’est pas rare que les auteurs de cruauté aient été témoins de violences familiales, ou aient eux-mêmes été physiquement maltraités ou sexuellement abusés dans leur enfance
Ainsi, selon une étude menée par Frank Ascione à l’université de Denver, les enfants victimes de violences sexuelles auraient une probabilité d’être auteurs d’actes de cruautés envers les animaux multipliées par cinq.
Cependant, il faut souligner qu’il existe une grande variété de modalités de violences envers les animaux, ainsi que d’espèces animales maltraitées, qui toutes n’ont pas la même signification.
Catégorisations animales
Du point de vue psychologique, arracher les pattes à une araignée n’a aucune commune mesure avec le fait de rouer de coups un chat que l’on a emprisonné dans un sac en plastique. En effet, indépendamment de la proximité biologique des autres espèces avec la sienne (qui détermine fortement l’empathie qu’elles suscitent), l’espèce humaine catégorise les animaux selon des critères anthropocentriques, c’est-à-dire influencés par des intérêts humains, matériels ou affectifs, et qui sont fortement modulés par la culture. Par exemple, s’il est vraisemblable que dans toutes les parties du monde, les poissons jouissent d’une reconnaissance bien inférieure à celle des grands anthropoïdes, la considération accordée à des animaux comme la vache ou le cochon varie selon les contextes géographiques.
Dans cette optique, blesser un animal qui jouit d’un rang élevé dans l’échelle sociozoologique (qui reflète la valeur que la société attribue aux différentes espèces d’animaux) apparaît plus inacceptable que de s’abattre sur une espèce pour laquelle il existe moins d’inhibitions culturelles à sa maltraitance. C’est la raison pour laquelle, pour prédire les violences graves envers des humains, les violences commises envers des animaux sociozoologiquement proches comme des chats ou des chiens constitueraient un indicateur statistique plus adéquat, comme l’avait déjà pressenti l’anthropologue Margaret Mead.
Qui par le feu, qui par noyade
Les modalités de cruauté mises en œuvre ne se valent pas toutes non plus. Il a été suggéré que certaines méthodes de violence permettaient un plus grand détachement que d’autres, qui impliquaient plus de proximité, voire un contact physique.
Dans une étude américaine menée auprès de 314 personnes incarcérées, la modalité la plus fréquemment employée était l’utilisation d’une arme à feu (77 cas), ce qui garantit une certaine distance physique entre l’auteur et l’animal. Les autres méthodes étaient les coups (43 cas), l’utilisation de poison (17 cas), le jet d’un animal sur un mur ou un objet (9 cas), l’étranglement ou l’étouffement (6 cas), les coups de couteau (6 cas), la noyade (5 cas) et les brûlures (5 cas).
Selon d’autres travaux, les délinquants violents avaient été plus enclins que les autres à commettre des actes de cruauté impliquant une plus grande proximité physique comme frapper, donner un coup de pied, piétiner, poignarder, verser des produits irritants, brûler, démembrer.
Dans une autre étude menée auprès de 257 personnes incarcérées aux États-Unis indiquait que deux indicateurs ressortaient particulièrement pour prédire statistiquement les violences envers les humains. Le premier était un indicateur quantitatif : avoir été à plusieurs reprises auteurs de cruauté envers des animaux. Le second était de nature qualitative : avoir poignardé un animal (ce qui implique un contact physique) était particulièrement prédictif de violences envers des humains.
Les limitations des études
L’une des limites de plusieurs de ces études réside dans la taille souvent restreinte des échantillons de participants sur lesquels elles s’appuient (qui contiennent rarement plus d’une centaine de personnes) ainsi que dans l’absence de groupes permettant une comparaison stricte.
Lorsque l’on apprend, par exemple, que 21 % des 354 tueurs en série d’une étude de référence avaient commis des cruautés envers des animaux, ou que 46 % d’auteurs d’homicides sexuels avaient maltraité des animaux durant leur adolescence, il manque une information importante : quel est le pourcentage d’actes de cruauté au sein de la population générale ?
Une deuxième difficulté résulte de ce que très souvent, les faits de cruauté envers les animaux ne sont pas dénoncés (ou le sont moins dans certains contextes culturels), ou ne sont pas enregistrés. Dans l’étude la plus importante menée sur les tueurs de masse ayant sévi aux États-Unis entre 1982 et 2018, des traces de cruauté envers les animaux n’ont été retrouvées que pour 10,2 % d’entre eux.
Cependant, dans le cas d’autres types d’homicides comme les meurtres en série, les données semblent très différentes. Des auteurs ont ainsi indiqué avoir retrouvé des éléments indiquant que 73 % des tueurs en série avec actes de sadisme qu’ils ont étudié avaient blessé ou tué des animaux.
Un lien qui interroge notre rapport aux représentations animales
Le lien entre les comportements cruels envers les animaux et les humains a également fait l’objet de larges études épidémiologiques qui permettent de répondre à certaines des limitations mentionnées. Michael Vaughn, de l’Université de Saint Louis, aux États-Unis, a ainsi constitué un échantillon anonyme représentatif de 43 000 personnes.
Les participants à cette enquête ont notamment répondu à 31 questions portant sur des conduites délinquantes, comme frapper quelqu’un, mettre le feu, utiliser une arme lors d’une bagarre, etc. Lorsque Vaughn a comparé les personnes ayant commis des actes de cruauté envers les animaux à ceux qui n’en avaient jamais commis, il est apparu que le taux de délinquance des premiers était plus élevé pour toutes les questions, sans exception !.
Construite selon une méthodologie similaire, la première étude française sur les violences commises par les adolescents envers les animaux, récemment publiée dans la revue Journal of Interpersonal Violence, a porté quant à elle sur près de 12 300 élèves âgés de 13 à 18 ans.
Il est ressorti que 7,3 % d’entre eux avaient commis de telles violences (une seule fois pour 44 % des auteurs, à deux reprises pour 15 %, et plus de deux fois pour les 41 % restants). La majorité des cruautés avait été perpétrée seul (55 %), et un quart d’entre elles impliquaient une autre personne. Les animaux maltraités étaient principalement des chats (22,5 %), des chiens (13,9 %) ou des oiseaux (11,6 %), mais aussi des rongeurs (8,2 %) et des poissons (6,4 %).
Concernant le profil des auteurs, ceux-ci étaient majoritairement des garçons, et ils étaient plus fréquemment auteurs de harcèlement scolaire. On a également observé chez eux des déficits d’attachements sociaux et des symptômes d’anxiété et de dépression. Enfin, plus les adolescents soutenaient des pratiques d’expérimentation animale impliquant éventuellement de faire souffrir des cobayes, plus ils avaient de probabilités d’avoir commis des sévices envers des animaux. Cela était également le cas de ceux qui adhéraient plus fortement à l’idée d’une différence fondamentale de valeur entre les humains et les animaux.
Ce dernier résultat suggère qu’au-delà des facteurs psychopathologiques et de marques de déviance générale qui affectent les auteurs de violence envers les animaux, les représentations largement partagées concernant l’infériorité de ces derniers et la légitimité de leur instrumentalisation pourraient contribuer à ces comportements. Ainsi, il se pourrait que les contenus culturels très largement acceptés dans nos sociétés quant à la hiérarchie des espèces fassent le lit de conduites cruelles, que la loi pourtant réprouve…
Mis à jour le8 septembre 2020
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L'auteur
Professeur de psychologie sociale, Membre de l'Institut universitaire de France (IUF)
Directeur de la MSH Alpes (CNRS/UGA)
Université Grenoble Alpes (UGA)
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