The Conversation : "Une fonction achats qui priorise l’écologie dans ses indicateurs dynamise la performance économique de l’entreprise"

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Certaines entreprises tentent de prendre en compte les enjeux écologiques de leurs activités via un compte de résultat environnemental. Shutterstock
Certaines entreprises tentent de prendre en compte les enjeux écologiques de leurs activités via un compte de résultat environnemental. Shutterstock
Plusieurs exemples montrent qu’une stratégie plus responsable légitime les acheteurs, limite les conflits avec les fournisseurs, favorise l’intelligence collective et stimule l’innovation.
En période économique difficile, le premier réflexe des entreprises est d’exiger de la fonction achats de la performance économique, à travers des demandes de réductions des coûts supplémentaires auprès des fournisseurs, voire des allongements des délais de paiement… Ce réflexe est celui de « l’ancien monde » : pervers, contreproductif et anachronique.


Vis-à-vis de leurs fournisseurs, certaines entreprises deviennent des répulsifs à force d’exigences incessantes de réductions de coûts. En rognant leurs marges, elles limitent leur capacité d’autofinancement et donc leur capacité d’innovation. Des secteurs complets de sous-traitance sont ainsi affaiblis.

Il est indéniable que les entreprises ont besoin de rétablir leur santé financière. Mais pour ce faire, il convient de prioriser l’écologie dans les stratégies d’achats, comme condition sine qua non de la performance économique.

Certes, l’écologie n’apparaît pas (encore !) dans les comptes des entreprises (à l’exception de quelques pionniers, Kering, par exemple, qui propose un Compte de résultat environnemental). Mais, comme l’a souligné Henri de Castries, ancien PDG d’Axa, les entreprises ne survivront pas dans un monde à +4 °C, invivable et accessoirement inassurable.

À partir de quatre études de cas, nous proposons quatre explications qui montrent que mettre l’écologie au cœur de la fonction achats permet d’améliorer les performances de l’entreprise.

Augmentation de la performance des acheteurs

Dans bon nombre d’entreprises, le premier indicateur de performance achats est la réduction des coûts, puis suivent les indicateurs de qualité, de livraison, etc.

De nombreux acheteurs ne se sentent pas légitimes vis-à-vis de leurs fournisseurs par rapport à cette exigence prioritaire de coûts, d’où une perte de sens dans leur travail. Il en résulte de la souffrance, car leurs valeurs personnelles ne sont pas alignées avec leurs actions. Nous avons ainsi observé des scores d’engagement, au sein de département achats d’entreprises du CAC 40, inférieurs à ceux des autres départements.

Il existe, certes, des indicateurs RSE (responsabilité sociale des entreprises) dans la performance achats, mais il s’agit majoritairement d’indicateurs de respect des réglementations ou de conformité des fournisseurs. Ils sont plutôt déresponsabilisants en faisant peser la responsabilité de la RSE sur les fournisseurs.

Prioriser des indicateurs écologiques dans la performance achats, tels que la diminution des émissions de CO2, des consommations énergétiques, la préservation de la biodiversité ou la valorisation des déchets, va redonner de la légitimité aux acheteurs et créer du sens. Ces derniers seront plus engagés et donc plus performants.

Favorisation de l’intelligence collective

Donner la priorité à l’écologie dans les indicateurs Achats va augmenter les interactions de cette fonction avec les autres départements de l’entreprise, car l’écologie est un objectif légitime partagé par tous.

Cela va par conséquent l’amener à travailler davantage en transversal avec des fonctions avec lesquelles elle était peu impliquée jusqu’à présent (en particulier, le commercial, la recherche & développement (R&D) et l’innovation).

Le décloisonnement accroît non seulement la productivité, mais favorise surtout une intelligence collective vectrice d’innovation et de performance économique. Preuve en est des résultats obtenus par Sagemcom, leader dans les terminaux communicants.

Son directeur achats explique : « Notre objectif est de diminuer l’usage des ressources tout au long du cycle de vie des produits. Pour ce faire, nous avons énormément collaboré avec la R&D et nos fournisseurs et nous nous sommes engagés dans l’écoconception. Sur notre dernier décodeur, on a réussi, non seulement, à utiliser 100 % de plastique recyclé pour la coque inférieure, mais on a aussi diminué sa surface, du coup la taille de la coque, celle des emballages. On a alors augmenté le nombre de produits par palettes. C’est une baisse des coûts totaux et 186 000 tonnes de CO2 économisées lorsque l’ensemble du parc aura été remplacé. Toutes nos innovations environnementales contribuent à diminuer les coûts totaux et elles constituent aussi un avantage concurrentiel pour remporter les appels d’offres ».

Abandon des conflits avec les fournisseurs

Comme nous l’avons déjà montré, les demandes régulières de réduction de coûts sont conflictuelles et nuisent à la qualité de la relation. Elles signifient souvent un enrichissement de l’une des parties au détriment de l’autre.

Partir d’un indicateur écologique permet aux deux parties de partager un objectif d’ordre supérieur et d’œuvrer ensemble pour le bien commun et non plus pour les intérêts d’une seule partie. Dans l’écologie, les deux bénéficient de la valeur créée.

S’agissant de la révision des indicateurs, le directeur achats de Blédina, numéro un français de l’alimentation infantile, souligne : « La certification “B Corp” nous a incités à revoir nos traditionnels indicateurs Achats (Coût-Qualité-Délai) et à valoriser des indicateurs d’impact sur notre écosystème agricole local (sourcing local, soutien des agriculteurs, préservation des ressources, biodiversité…). Le soutien dans la durée d’agriculteurs facilite le déploiement d’une agriculture régénératrice et la conversion de parcelles au bio, pour répondre à une demande croissante de nos clients. Ces nouveaux indicateurs nous permettent de réconcilier le bien commun avec le business ».

Pour Blédina comme pour les agriculteurs, cela se traduit par une plus grande performance économique en termes de chiffre d’affaires et de pérennité de business.

Pour l’entreprise belge Spadel d’eaux minérales embouteillées, la priorité est d’être neutre en carbone à court terme en limitant les démarches de compensation. Il a été décidé que la réduction des émissions de CO2 conditionne une partie de la rémunération variable des acheteurs.

Le responsable des achats du groupe souligne : « Si on envisage un achat impactant négativement notre bilan carbone, il faut le justifier auprès du Comex et trouver des solutions alternatives ».

La direction des achats a alors priorisé un fournisseur de préformes, Plastipak, capable de proposer une réduction du poids des bouteilles PET (Polyéthylène Téréphtalate). Entre 2018 et 2019, ce sont plus de 2 000 tonnes de matières plastiques économisées et 4 600 tonnes de CO2. Au final, être neutre en carbone signifie une baisse des coûts pour Spadel et du chiffre d’affaires supplémentaire pour son fournisseur Plastipak.

Stimulation de l’innovation

Les recherches montrent que les contraintes écologiques obligent à appréhender les choses sous un angle neuf. Elles stimulent la créativité, a fortiori l’innovation, pour réduire les ressources utilisées, améliorer les procédés, trouver des débouchés aux sous-produits… Au final, les coûts baissent, la productivité augmente et parfois même les revenus s’accroissent.

Prenons l’exemple du constructeur PSA. Sur son site de Charleville-Mézières, PSA travaille avec son fournisseur Dalkia sur l’optimisation énergétique. La mise en place d’un contrat de performance énergétique avec partage des gains est déjà une approche innovante, lorsque l’on sait que le partage des gains est utilisé par moins de 30 % des clients. Le projet aurait pu s’arrêter à ce stade.

Mais l’idée a été de récupérer la chaleur fatale de la fonderie pour alimenter en chaleur bas carbone des logements sociaux de la ville, où résident les salariés de PSA. La vente de cette énergie devient un complément de revenus pour PSA. Le coût de revient de ses pièces diminue. De son côté, Dalkia fournit la ville en chaleur bas carbone avec un prix du kWh réduit de 15 % pour le consommateur et évite le rejet de 7 000T de CO2 par an. De cette démarche créative, il en résulte un impact positif sur l’environnement, l’économique et le social.

À Charleville-Mézières, PSA récupère la chaleur de sa fonderie pour chauffer les logements sociaux de la ville. Shutterstock


Les acheteurs sont très rarement moteurs sur ces projets alors que ce sont eux qui achètent la maintenance industrielle, l’énergie, etc. Prioriser des indicateurs écologiques plutôt que des indicateurs de coûts les poussera à réfléchir différemment avec les fournisseurs.

Nous sommes convaincus que c’est en changeant d’indicateurs que nous pourrons changer notre vision du monde. La finance s’inscrit dans cette dynamique : un « groupe de travail sur les informations financières relatives au climat » (Task Force on Climate-related Financial Disclosures, TCFD) a notamment été créé pour repenser les indicateurs financiers des entreprises.

Pourquoi la fonction achats ne créerait-elle pas également un groupe de réflexion sur ses indicateurs de performance au vu des enjeux climatiques ?The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le5 avril 2021
Mis à jour le8 avril 2021