The Conversation : "École : évaluations nationales, est-ce le bon moment ?"
Entre le 14 septembre et le 25 septembre pour les CP et CE1, jusqu’au 2 octobre, dans le cas de la sixième, les élèves de toute la France passeront des évaluations en français et en maths, tandis que des tests de positionnement sont reconduits à l’entrée en seconde. Dans quelle mesure des évaluations de début d’année peuvent-elles donc être bénéfiques, pour qui, et de quel point de vue ?
Diagnostic nécessaire
Il existe une différence radicale entre un test biologique, et l’évaluation scolaire : l’ignorance n’est pas une maladie. D’un côté, il s’agit d’apporter une réponse claire (« positif », ou « négatif ») à une question précise (cet individu est-il atteint par le virus ?). De l’autre côté, il s’agit de se prononcer sur des niveaux, tant individuels (élèves) que collectifs (classes, ou établissements). Les réponses sont alors toujours discutables, car l’évaluation n’est pas une science.
Elle n’en demeure pas moins, dans le champ des activités d’enseignement et d’éducation, une nécessité, dans le cadre d’un modèle d’action « diagnostic/traitement » (ou : identification/adaptation ; ou encore : « mesure » objective/exploitation pédagogique). Comme l’a affirmé avec force le Conseil scientifique de l’éducation nationale, il s’agit d’« évaluer pour mieux aider chaque enfant », en articulant un diagnostic, si possible scientifique, avec une intervention pédagogique, alors éclairée. On observe et situe (évaluation), pour pouvoir ajuster (exploitation pédagogique).
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Dans ces conditions, il est logique de vouloir diagnostiquer au plus tôt. Dans leur rapport consacré aux « évaluations nationales du deuxième degré (sixième et seconde) », les inspecteurs généraux écrivent que, s’ils constatent que la question du calendrier des opérations a préoccupé le collège, cela ne les empêche pas de plaider pour une évaluation s’effectuant avant la fin du mois de septembre.
Risques indéniables
Cependant, si les intentions du ministère qui impose ces évaluations précoces (en tout début d’année) peuvent être jugées indiscutablement bonnes, leur réalisation soulève des difficultés, et expose à un certain nombre de dangers. Tout d’abord, parce que le modèle qui légitime l’organisation d’évaluations précoces impose à l’évaluation d’être diagnostique, c’est-à-dire de permettre une analyse et une compréhension de la situation observée.
Or, le risque existe, pour des évaluations nationales, de fonctionner comme des évaluations normatives, qui privilégient comparaisons et classements. Le CSEN n’affirme-t-il pas que « seules des évaluations nationales permettent de situer chaque élève par rapport à une référence nationale » ?
C’est ici moins la mesure objective des connaissances et compétences des élèves qui importe, que l’identification de besoins d’enseignement différenciés. C’est bien ce qu’affirment les textes officiels de rentrée. Les professeurs doivent pouvoir « identifier dès le début de l’année les besoins de leurs élèves » pour « mettre en œuvre au plus vite l’aide personnalisée nécessaire ». Il s’agit de « poser un diagnostic précis sur les besoins des élèves pour mieux les aider ». La précision du diagnostic prévaut sur ce qui serait la scientificité d’une mesure. Le besoin de situer ne doit pas venir étouffer celui d’analyser et de comprendre.
Par ailleurs, les conditions d’un diagnostic serein sont-elles réunies, surtout après l’année folle que viennent de vivre les élèves ? N’y a-t-il pas un retour trop brutal à la dure réalité des épreuves scolaires, pour des élèves que les six mois précédents sont loin d’avoir placés dans des conditions optimales pour apprendre ?
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On peut adresser à ces évaluations nationales des reproches d’ordre technique : les codes d’accès sont inutilement complexes ; la passation est chronophage ; certaines épreuves sont mal calibrées, et d’une durée inadéquate. Mais on peut surtout craindre des effets négatifs d’ordre psychologique ou social : stress produit par la dimension obligatoire de l’évaluation, tant pour les élèves que pour les familles ; échec stigmatisant pour des élèves « assommés » en début d’année.
Rien n’est joué d’avance
En évaluation, le difficile est de trouver un équilibre, entre le trop, et le trop peu. Et de pouvoir faire ce qu’il faut, au moment opportun. Mais les choses ne sont pas enfermées dans un scénario écrit à l’avance. En définitive, tout dépendra de la façon dont les enseignants s’emparent (ou non) de ces évaluations, et de l’usage concret qu’ils en font. De ce point de vue, tout espoir n’est pas perdu.
En effet, si le rapport 2020 de l’IGESR constate, pour le deuxième degré, un « intérêt limité des enseignants », le rapport 2019/096, consacré aux évaluations nationales dans le premier degré, fait état d’une « adhésion massive aux tâches proposées ». Certes, des réserves ont été formulées, sur la durée des séquences, ou sur certains exercices, en particulier en mathématiques. Mais le principal regret est qu’« on ne voit pas ce qui est fait des évaluations au niveau circonscription », cette absence de visibilité pouvant faire naître des soupçons de finalités cachées. Les enseignants attendent « un soutien pour l’exploitation pédagogique des résultats ».
Trois grands scénarios sont alors envisageables :
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Le coup d’épée dans l’eau, si ces évaluations ne servent qu’à nourrir des statistiques, sans que cela entraîne un changement significatif des pratiques.
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Le glissement, selon la pente du contexte néo-libéral, vers une opération de simple évaluation normative, se traduisant par des classements, et des mises en concurrence.
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Et l’émergence effective d’un outil novateur pour « renforcer l’aide qui sera apportée à chacun des élèves ».
Lequel l’emportera ? Comme le chante Guy Béart (dans « Fille d’aujourd’hui ») : « Qui peut le savoir ?/On apprend après ».
Mis à jour le14 septembre 2020
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L'auteur
Professeur honoraire (Sciences de l’éducation)
Université Grenoble Alpes (UGA)