"Les caractéristiques du deuxième tour de l'élection présidentielle 2017 rendent plus incertaines et passionnantes les élections législatives."

Entretien avec Pierre Martin
Société Article
Pierre Martin © Heriberto Aguirre
Pierre Martin
Pierre Martin est politologue, spécialiste de l'analyse des élections en France et à l’étranger. Il est ingénieur de recherche CNRS, affecté au laboratoire de sciences sociales Pacte, et il enseigne en master à Sciences Po Grenoble.

Qu'est-ce qui différencie l'élection présidentielle 2017 des précédentes ?

Pierre Martin C'est la première fois que le président sortant décide de ne pas se représenter, non pas parce qu'il ne le peut pas, mais parce que, très clairement, il se trouve dans une situation de faiblesse politique telle qu'il estime ne pas pouvoir être réélu. C'est un événement sans précédent. Tous les présidents sortants qui le pouvaient se sont représentés : De Gaulle en 1965, Giscard en 1981 et Mitterrand en 1988.
Autre phénomène nouveau : l'élection primaire qui s'est tenue au sein de la droite. On a bien vu que cela aussi constituait un événement majeur, mobilisant plusieurs millions d'électeurs. Enfin, dernière grande nouveauté : la présence attendue du Front national (FN) au second tour de la présidentielle, après sa percée en 2014 aux élections européennes. Quand Jean-Marie Le Pen arrive au second tour en 2002, c'est la surprise. Cette fois-ci, la situation est nouvelle, car, d'une part, la présence au second tour de Marine Le Pen paraît comme presque certaine, et d'autre part, sa victoire au second tour paraît comme presque impossible. Ce qui signifie, au fond, que l'élection présidentielle va se jouer au premier tour...

Que va-t-il falloir observer dans la campagne d'ici le 1er tour ?

P. M. Il va falloir être attentif à la suite de la construction de l'offre électorale jusqu’à son officialisation le 20 mars 2017 par le président du Conseil constitutionnel. Si Manuel Valls avait remporté l’élection primaire du Parti socialiste (PS), il aurait été le porte-parole de la politique menée depuis cinq ans. Au contraire, Benoît Hamon va porter la critique de ce bilan. Le résultat de cette élection change beaucoup de choses et pas seulement pour le PS ! Ce qui se passe pour un parti retentit obligatoirement sur tous les autres. Pour Emmanuel Macron, ce n'est pas la même chose que l'un des tenants de l'aile gauche du PS l'ait emporté plutôt que Manuel Valls. Cela change aussi les choses pour Jean-Luc Mélenchon, François Fillon et Marine Le Pen. Autre question, qui aura les 500 signatures ?  Quid des candidatures surprises ? Si Michèle Alliot-Marie et Henri Guaino parviennent à être candidats, ils représenteront une gêne pour François Fillon.

L'affaire Fillon qui contribue à affaiblir le candidat LR-UDI va-t-elle continuer à dominer l'actualité ?

P.M. Il va falloir regarder les sujets qui s'imposent pendant le débat de la campagne électorale. L'affaire Fillon qui contribue à affaiblir le candidat LR-UDI va-t-elle continuer à dominer l'actualité ? Dans ce cas, un second tour Macron / Le Pen serait possible. Outre l'affaire Fillon, quels autres thèmes vont dominer ? Est-ce que ce sera l'immigration ? La sécurité sociale ? Le terrorisme ? L'emploi ? Cela peut orienter l'opinion dans des directions différentes. Qui aura la capacité à imposer ses thèmes ? En 2012, avec le discours du Bourget, François Hollande avait incarné une position de gauche d'affrontement vis-à-vis du monde de la finance. Cela lui avait permis de résister à la montée de Jean-Luc Mélenchon, de se présenter comme une alternative à Nicolas Sarkozy et de faire parler de l'économie et du social plutôt que de l'immigration, terrain de Marine Le Pen. Enfin, nous allons observer les événements extérieurs, une grève, une crise sociale, et la capacité des candidats à s’en saisir. Rappelons-nous les difficultés de Lionel Jospin face aux grévistes de LU en 2002. Il avait donné l'impression que l'État était impuissant. Cela lui avait fait beaucoup de tort et sa campagne avait été percutée par cet événement.

Sur quelles bases faudra-t-il apprécier les résultats des deux tours de l'élection présidentielle ?

P. M. Il faudra se poser trois questions. Un, pourquoi certains électeurs votent-ils et d'autres pas ? Deux, sur quels critères la majorité des électeurs va-t-elle faire son choix entre les différents candidats ? Trois, pourquoi un candidat l'emporte-t-il par rapport aux autres? Il existe une classification des enjeux électoraux qui distingue les enjeux consensuels des enjeux conflictuels. Un enjeu consensuel est une question sur laquelle l'immense majorité du public et des responsables politiques est d'accord quant à l'objectif à atteindre. Le chômage par exemple. Jamais un candidat ne dira :"Votez pour moi, je vous promets plus de chômeurs !"
Il est essentiel de connaître le pays, de savoir à quoi ressemble la population dans telle région, tel canton, telle ville, tel quartier. Autrement, on ne peut pas exploiter la richesse du résultat électoral.
Un second type d’enjeux existe : les questions politiques sur lesquelles il y a désaccord quant à l'objectif, comme l'immigration ou la laïcité. L'immigration est-elle, ou non, un problème ? Dans la plupart des pays, les structures électorales – ce qui fait qu'un parti politique est important ou pas –, se font sur les enjeux conflictuels. Ces enjeux conflictuels déterminent la réponse à notre 2e question, mais ce n'est pas forcément ces enjeux qui seront décisifs au 2e tour de la présidentielle. Prenons l'affrontement Sarkozy-Hollande en 2012. J'aurais tendance à penser que Sarkozy était dominant sur l'aspect conflictuel, mais qu'il a perdu parce qu'il a été rejeté sur le bilan, sur des aspects consensuels.
Pour répondre à ces questions, il faudra analyser les résultats effectifs et ceux des grandes enquêtes par sondage effectuées le jour du vote ou juste après. En France, les résultats sont donnés par bureaux de vote, ce qui permet une proximité avec le terrain. Il faut les confronter – prudemment –, avec les données sociologiques de l'Insee. Cela permet de formuler des hypothèses, d'avoir des indices par exemple sur les catégories sociales qui ont le plus voté. Puis, il faut croiser ces hypothèses avec une autre source d’information, celle des sondages réalisés au moment de l'élection pour voir si les indices convergent. Comme dans une enquête policière où le coupable n'avoue jamais ! Parce qu'on ne connait jamais le vote personnel de chaque électeur. Les données individuelles des sondages reposent sur des déclarations dont on ne peut garantir qu’elles sont vraies. D'où l’importance de savoir analyser les résultats électoraux. Pour y parvenir, il est essentiel de connaître le pays, de savoir à quoi ressemble la population dans telle région, tel canton, telle ville, tel quartier. Autrement, on ne peut pas exploiter la richesse du résultat électoral.

Quel sens auront les élections législatives qui se tiendront après la présidentielle ?

P. M. Ces deux élections qui se suivent et engagent le pouvoir national sont une spécificité française. Si le président élu n'a pas une majorité à l'Assemblée, il peut se retrouver tout de suite en cohabitation. On pourrait parler d'une élection à quatre tours car c'est seulement à la fin du 4e tour, c'est-à-dire du 2e tour des législatives, que l'on sait qui a le pouvoir. L'élection présidentielle est décisive dans la dynamique qu'elle impulse. Elle donne le maximum de chances au camp du président fraîchement élu de gagner les législatives, parce qu'il est en état de grâce. Cette dynamique a été observée en 2002 pour Chirac et l'UMP, en 2007 pour Sarkozy et l'UMP, et en 2012 pour Hollande et le PS.
On pourrait parler d'une élection à quatre tours car c'est seulement à la fin du 4e tour, c'est-à-dire du 2e tour des législatives, que l'on sait qui a le pouvoir.
Cette fois, les caractéristiques du 2e tour de l'élection présidentielle rendent plus incertaines et passionnantes les élections législatives. Les électeurs vont-ils voter au second tour de la présidentielle par défaut ? Quel sera l'enjeu si Marine Le Pen arrive au second tour ? En 2002, les élections législatives ont été très importantes, parce qu'elles ont montré que l'élimination de la gauche au second tour de lélection présidentielle était, en quelque sorte, un accident puisque dès le 1er tour des législatives, le paysage s'est refermé sur une droite dominée par l'UMP et une gauche dominée par le PS, le FN arrivant loin derrière.
Aujourd’hui, on s'attend à ce que Marine Le Pen soit au second tour parce que le FN est plus fort qu'il ne l'était avant. Va-t-il devenir la force dominante de l'opposition ? Si Emmanuel Macron gagne la présidentielle, son mouvement emportera-t-il les législatives, marginalisant le PS et la droite LR-UDI ? Le mode de scrutin va jouer... Si, au premier tour des législatives, le FN est le premier parti en termes de suffrages comme il l'a été aux européennes et aux régionales et qu'il se retrouve à l'issue du 2e tour avec un nombre ridicule de députés alors là, cela posera un problème de représentativité de l'Assemblée... Les élections législatives vont pouvoir mesurer, au fond, les transformations profondes du système partisan.
Publié le8 mars 2017
Mis à jour le12 mai 2017