Entretien réalisé à Grenoble auprès de Rémy Slama et Claire Philippat, qui conduisent leur travaux au sein de l’équipe d’épidémiologie environnementale de l’Institut pour l’Avancée des Biosciences (IAB), un centre Inserm-CNRS-UGA.
Qu’est-ce qu’on appelle les perturbateurs endocriniens ?
Rémy Slama C’est l’une des grandes catégories de dangers pour la santé et l’environnement. Par rapport à d’autres types de dangers comme les cancérigènes, les perturbateurs endocriniens (PE) ont la particularité d’être définis à la fois par leur mode d’action et par l’existence d’un effet sanitaire. Pour être précis, ce sont des substances ou des mélanges qui altèrent le fonctionnement du système hormonal et qui, de ce fait, entraînent un effet adverse sur la santé de l’individu, ou sur la population, ou encore sur la descendance des individus exposés. Nous faisons référence à la population parce que certains effets biologiques ne sont néfastes qu’à l’échelle de la population : par exemple, une perturbation très forte du sexe ratio. Cette définition des PE montre bien que quand on parle de PE, on ne parle pas d’une famille chimique précise, comme on dirait "les phénols", ou une famille d’usage comme on dirait "les pesticides" ; les PE se trouvent dans de nombreuses familles d’usages (médicaments, pesticides, cosmétiques, mycotoxines naturellement présentes dans l’alimentation…) et des familles chimiques différentes, allant de certains métaux lourds à des phénols ou des phtalates. C’est toute la force et la complexité de cette définition qui concerne des centaines, voire des milliers, de substances de notre environnement.
Comment ces perturbateurs endocriniens se retrouvent-ils dans notre alimentation ?
Claire Philippat Ils peuvent d’abord être présents naturellement dans la substance. Les phytoestrogènes (présents dans le soja) et les mycotoxines sont des perturbateurs endocriniens naturels connus. Par exemple, la zéaralénone est créée par des champignons que l’on retrouve sur certaines céréales comme le blé. Les PE peuvent aussi être ajoutés au moment de la production alimentaire : cela inclut les pesticides et les médicaments utilisés dans l’élevage comme les analgésiques tels que le paracétamol. On soupçonne la prise d’analgésique par la femme enceinte de pouvoir entraîner des malformations des organes génitaux masculins chez le nouveau-né. Enfin, les PE peuvent être présents dans les emballages, comme c’était le cas avec le Bisphénol A, qui est maintenant interdit en France.
Notre rapport à l’alimentation est anxiogène. Trouvez-vous cela justifié ?
R. S. Si l’on se place sur le temps long, il faut réaliser qu’il y a eu un bouleversement profond de l’alimentation et de ses effets sanitaires. Du Moyen-Age au XVIIIe siècle, il y avait beaucoup plus de risque qu’aujourd’hui de décéder à court terme à cause de l’alimentation. Nous avons fait des progrès absolument fantastiques, avec le contrôle du risque bactérien dans l’alimentation. Autrefois en France, on mourait de faim, et aussi des agents infectieux ; ensuite, on a progressivement éradiqué les grandes famines, mais on a continué à décéder d’agents infectieux difficiles à détecter dans notre alimentation. La révolution pastorienne à la fin du XIXe siècle a permis de comprendre ce qu’était une bactérie, comment la détecter, empêcher son développement : on sait mettre en place un contrôle strict de la chaîne du froid, on pasteurise, on stérilise... En plus du problème des déséquilibres alimentaires, les questions qui se posent aujourd’hui portent sur le risque chimique. À l’époque pré-pastorienne, ces perturbateurs endocriniens qui, aujourd’hui, nous aident parfois à lutter contre le risque bactérien, n’existaient pas, à l’exception des PE naturels que j’ai déjà évoqués. Ces substances causent à présent des préoccupations sur le long terme. On peut aussi en mourir, mais à petit feu, et probablement beaucoup moins fréquemment – en tout cas beaucoup plus tard – qu’on mourrait des troubles alimentaires dans les siècles passés. Les effets sanitaires des perturbateurs endocriniens ne sont peut-être pas aussi graves que le risque infectieux, ils sont à plus long terme, mais ils couvrent une gamme extrêmement vaste qui va des malformations congénitales, aux troubles du neurodéveloppement, jusqu’au cancer et à des pathologies comme le diabète et l’obésité, qui sont très graves et ont un coût pour la société gigantesque. Mais l’alimentation n’est que l’une des voies d’exposition à ces substances, et les perturbateurs endocriniens ne sont que l’une des causes de ces pathologies multifactorielles.
L'Institut pour l'avancée des biosciences L'Institut pour l'avancée des biosciences est un institut de renommée internationale dans la recherche biomédicale fondamentale et translationnelle basée à Grenoble. La stratégie scientifique de l’IAB repose sur une série d'expertises scientifiques englobant le continuum biologique, de la molécule aux populations, couvrant la génétique, l’épigénétique, la signalisation et la chromatine, la biologie cellulaire, les interactions cellulaires-matricielles, la pathologie moléculaire, les interactions de parasite hôte, l'immunologie et l'épidémiologie environnementale. Plus d'informations : iab.univ-grenoble-alpes.fr
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