Pourquoi tant de haine au volant ?

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Sommes-nous plus agressifs au volant d'une voiture ?
Au détour d’un feu rouge, insultes et invectives sont monnaie courante sur la route. La voiture encouragerait-elle l’agressivité ? Émilie Berdoulat, psychologue clinicienne, s’est penchée sur le phénomène.
La voiture n’est pas un  moyen de transport comme les autres.  Émilie Berdoulat, psychologue clinicienne au Laboratoire interuniversitaire de psychologie (LIP) à Grenoble, en est convaincue : « Pour beaucoup de gens, la voiture est presque un prolongement de soi. C’est un bout de chez eux, une autre ‘pièce de vie. » Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, elle étudie les conduites automobiles agressives et transgressives. « Les gens sont agressifs au volant pour des raisons très différentes. Il y a, par exemple, celui que j’appelle ‘l’agressif justicier’ qui n’est pas agressif au quotidien, mais qui le sera en voiture pour punir ceux qui se comportent mal sur la route. » Dans son véhicule, vitres fermées et pied sur l’accélérateur, le conducteur se sent à l’abri, ce qui peut transformer son comportement. « Au volant, on ne pense pas que l’autre m’a peut-être coupé la route ce jour-là parce qu’il était préoccupé. On le prend personnellement. Les expressions faciales nous échappent et l’on se trompe souvent dans l’intention que l’on prête à l’autre. »

Lieu de guerre

Émilie Berdoulat a réalisé une typologie des conducteurs à partir de ses travaux sur trois groupes d’individus : le tout-venant âgé de 18 à 70 ans, des gens en stage de récupération de points pour le permis de conduire et un groupe de personnes incarcérées pour des délits routiers. Cela l’a menée à caractériser quatre profils. Sur la route, aux côtés de l’« agressif justicier », on croise le « respectueux », courtois au volant quoi qu’il arrive et adepte du covoiturage, l’« agressif situationnel » qui recherche des sensations fortes et est enclin aux excès de vitesse et enfin l’« agressif dominant ». « Ce profil relève de la psychopathologie. Il s’agit de personnes qui font de la conduite automobile un lieu de guerre. Leur besoin de domination s’observe aussi par le type de véhicule qu’ils conduisent, souvent imposant. » Elle s’intéresse particulièrement aux aspects motivationnels de cette typologie en vue d’adapter les prises en charge. « Les personnes incarcérées pour un délit routier ne font pas de rééducation à la conduite. Leur faire repasser le permis ne suffit pas. Il faut leur apprendre à réinvestir le véhicule dans son rôle premier de moyen de déplacement. » Pour les autres, la prévention primaire est primordiale. « Conduire, ce n’est pas simplement connaître les panneaux, c’est aussi vivre ensemble. »
Publié le14 juin 2017
Mis à jour le30 juin 2017