Grenoble, du prestige aux vestiges olympiques

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Cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de 1968 ©AMMG
Cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de 1968
Les travaux olympiques ont changé le visage et l’image de Grenoble, avec la construction d’infrastructures et d’équipements, qui font aujourd’hui partie intégrante de son identité. Cinquante ans plus tard, rares pourtant sont ceux qui s’en souviennent et qui reconnaissent l’empreinte laissée par les Jeux un peu partout dans la ville.

Le 28 janvier 1964, le Comité international  olympique (CIO) choisissait Grenoble pour l’organisation des Xe Jeux d’hiver. Le compte à rebours était alors lancé pour la capitale des Alpes jusqu’à la date d’ouverture des Jeux, le 6 février 1968. Le défi était immense car il ne s’agissait pas uniquement d’accueillir les compétitions sportives, mais bien de saisir l’opportunité offerte par cet événement international pour accélérer la transformation de la ville. L’enjeu était de présenter au monde Grenoble comme une ville moderne et dynamique. 

Grenoble, ville candidate pour accueillir les JO

Le 30 décembre 1960, Albert Michallon, maire de la ville, dépose auprès du CIO la candidature de Grenoble pour les Jeux de 1968. Pourtant, "c’est Laurent Chappis, architecte et urbaniste, qui a initialement émis l’idée d’organiser les Jeux en Isère. Mais en réalité, il ne pensait pas à Grenoble, il pensait à Chamrousse" raconte Jean-François Lyon-Caen, architecte maître-assistant à l’École nationale d’architecture de Grenoble (ENSAG) et coordinateur de l’équipe de recherche architecture- paysage-montagne. 

Et pour cause ! En 1958, Laurent Chappis est nommé urbaniste en chef de Chamrousse par le Préfet de l’Isère, Francis Raoul, avec pour mission de relancer le développement de la station. "Sa proposition d’organiser les Jeux Olympiques à Chamrousse devait permettre d’assurer la réalisation de la station de Roche-Béranger, s’inspirant de la réussite des JO de 1960 à Squaw-Valley, en Californie, où les jeux furent le prétexte pour faire connaître au monde entier cette nouvelle station" ajoute-t-il. L’idée d’organiser les Jeux Olympiques séduit le Préfet de l’Isère, mais aussi Albert Michallon, maire de Grenoble. Et c’est finalement Grenoble, ville de plaine, qui se portera candidate, en associant plusieurs stations de ski dispersées dans trois massifs alentours : Autrans, Villard-de-Lans, Saint-Nizier-du-Moucherotte dans le Vercors, Chamrousse en Belledonne, et l’Alpe d’Huez dans l’Oisans. Grenoble qui était en concurrence avec Calgary (Canada), Lahti (Finlande), Sapporo (Japon), Oslo (Norvège) et Lake Placid (États-Unis), sera finalement choisie par le CIO le 28 janvier 1964.

Le chantier s’annonce gigantesque. L’organisation des Jeux nécessite des équipements sportifs, mais exige aussi des infrastructures et des services performants (transport, hébergement, télécommunications, etc.) dont la ville n’est pas pourvue. "En réalité, tout était à faire à Grenoble, mais aussi dans les stations", reconnaît Jean-François Lyon-Caen. Les investissements nécessaires vont au-delà des possibilités de la ville. Heureusement, l’État soutient fermement cette candidature. Pierre Chaix, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, spécialiste de l’économie du sport, rappelle que "le Président de la République, Charles de Gaulle, voit dans l’organisation de ces Jeux un moyen d’accroître le prestige de la France tout en mettant en œuvre des projets de modernisation des stations de sports d’hiver pour promouvoir le tourisme." Les sommes engagées pour les travaux seront donc colossales, mais largement prises en charge par l’État. Une aubaine pour l’agglomération grenobloise qui, asphyxiée par son propre développement, repensait déjà son plan d’urbanisme.

Une transformation urbaine nécessaire

Après la Seconde Guerre Mondiale, Grenoble et son agglomération connaissent une croissance économique et démographique sans précédent, passant de 166 000 habitants en 1954 à 236 000 en 1962. Cependant, la ville peine à structurer son expansion faute de planification et cette croissance révèle très rapidement un manque d’équipements et d’infrastructures. En 1962, l’architecte-urbaniste Henri Bernard est désigné par l’État, pour réaliser le Plan directeur du Groupement d’urbanisme de Grenoble, rassemblant Grenoble et ses vingt communes alentours. Deux mois après sa nomination, Henri Bernard rend son verdict : "Le premier objectif est de déverrouiller Grenoble." Selon lui, sept verrous font obstacle à son développement urbain : «le relief, les rivières, les voies ferrées, les terrains militaires, les cimetières, la nappe phréatique et les limites communales." Dans le Plan directeur qu’il achève en juillet 1963, Henri Bernard préconise donc le déplacement de la voie ferrée, la réalisation d’une voie express le long du Drac, le découpage du tissu urbain en mailles plus larges, mais aussi le déplacement au sud du centre de Grenoble avec la création d’un "centre urbain d’affaires". Lors du conseil municipal du 27 juin 1963, Grenoble approuve ce plan, malgré les réserves de nombreuses communes.

Constructions olympiques : l’immense chantier

Henry Bernard voit dans la sélection de Grenoble pour l’organisation des JO "un tremplin pour amorcer les premières infrastructures" de son Plan directeur. Mais lors des élections de mars 1965, Albert Michallon est battu par Hubert Dubedout et le changement de municipalité va remettre en question le projet. La préparation des JO de 1968 se trouve alors prise en tenaille entre l’urgence olympique et la volonté de la nouvelle municipalité d’amorcer une réflexion de fond sur la maîtrise de l’urbanisme grenoblois. Cette tâche est confiée à l’agence municipale d’urbanisme créée en janvier 1966. Les travaux de l’agence conduisent à l’abandon du Plan Bernard. 

Mais contrainte par le temps, la municipalité grenobloise doit lancer les travaux "olympiques". Grenoble n’accueillant que les épreuves de patinage et de hockey sur glace, les équipements sportifs construits dans la ville pour les JO sont finalement peu nombreux : patinoire, palais des sports, anneau de vitesse. Mais sont également construits les hôtels de ville, de police, et des Postes, les gares routière et ferroviaire, la Maison de la culture et le Conservatoire, l’Hôpital Sud et le Village olympique. Pour Jean- Michel Roux, enseignant à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de Grenoble et chercheur au laboratoire PACTE : "On a mis très opportunément dans l’enveloppe des JO toute une série d’équipements que de toute façon, la ville de Grenoble allait devoir construire … Les JO permirent d’en accélérer la réalisation et d’en obtenir les financements, créant un amalgame entre organisation des JO et modernisation de la ville."

Chantier du Stade de glace dans le parc Mistral. © AMMG


Ayant valeur de symbole, ces nouveaux bâtiments doivent allier modernité et esthétique. Construction de prestige, le chantier le plus important est sans aucun doute celui du Stade de glace, renommé par la suite Palais des sports. Avec son toit constitué de quatre imposantes voûtes en béton, conçu par les architectes Robert Demartini, Pierre Junillon et l’ingénieur Nicolas Esquillan, ce stade, toujours utilisé pour des manifestations culturelles ou sportives, reste la
trace la plus emblématique des Jeux à Grenoble. 

Deux nouveaux quartiers sont construits pour les JO. Le premier, l’actuel quartier Malherbe, aux abords de la nouvelle Maison de la culture, doit servir de centre de presse et héberger les journalistes. Le second accueille les athlètes. Dernier témoin sémantique de l’événement, il a conservé au fil du temps son nom de "Village olympique". Les travaux du Village olympique, confiés à l’architecte Maurice Novarina, débutent le 1er avril 1966 et s’achèvent en novembre 1967. Le Village olympique est reconverti en logements pour les Grenoblois dès la fin des Jeux, en mars 1968. Trente-cinq ans après les compétitions, l’ensemble sera labellisé "Patrimoine du XXe siècle", comme l’Hôtel de ville, le Palais des sports et la Maison de la culture. 

Les travaux des JO permirent de faire sauter certains "verrous" comme le préconisait le plan Bernard. La  voie ferrée qui enclavait la ville est ainsi déplacée 2,5 kilomètres plus au sud. Les entrées de villes sont aménagées, telles qu’on les connaît aujourd’hui : au nord, l’autoroute permet d’accéder directement à la Porte de France. Au nord-ouest, une sortie dessert l’axe des grands boulevards grâce au pont de Catane. Au nord-est, la route en direction de Chambéry, qui passe devant l’hôtel de Ville, est transformée en boulevard et au sud, l’U2 (la "Rocade") permet le contournement de la ville. "L’emplacement de ces équipements et de ces infrastructures suit une logique qui n’était pas si éloignée de celle du Plan Bernard. Ce Plan a été réalisé pour partie grâce aux JO qui ont donné l’impulsion accélérant sa mise en oeuvre", conclut Jean-Michel Roux. 

Tous ces équipements qu’il fallut rapidement et simultanément mettre en place contribuèrent à la réputation de modernisme et de dynamisme de Grenoble, mais la transformèrent en un immense chantier entre 1965 et 1967. Et la ville changea de visage en seulement trois ans.

Transformations en stations

Pendant que Grenoble est recomposée et agrandie, en altitude, les Jeux nécessitent d’importants travaux d’aménagement des accès aux principales stations olympiques et la création de quelques équipements colossaux : "Deux routes sont réaménagées pour accéder au plateau du Vercors : l’une par Saint-Nizier et l’autre par les gorges d’Engins. On construit également les premières déviations pour rejoindre l’Alpe d’Huez par la vallée de la Romanche, et la double route par Uriage-les-Bains pour monter à Chamrousse", détaille Jean-François Lyon-Caen. À Autrans, qui accueille les épreuves de ski de fond et de biathlon, un village olympique destiné à l’hébergement des skieurs est implanté en bordure du stade de neige qui sert de départ et d’arrivée aux épreuves. Les épreuves de saut à ski ont lieu à Saint-Nizier-du-Moucherotte où est construit un immense tremplin. Les stations de Villard-de-Lans et de l’Alpe d’Huez sont équipées respectivement d’une piste de luge et d’une piste de bobsleigh. 

Ayant la charge d’accueillir les épreuves reines de ski alpin, c’est la station de Chamrousse qui sera le site central des Jeux olympiques. "Elle est entièrement restructurée grâce au travail de Laurent Chappis. Les Jeux déclenchent la réalisation d’aménagements structurants pour l’avenir de la station", précise Jean-François Lyon-Caen. "Roche-Béranger est mise en oeuvre à partir de 1961 et les Jeux en ont accéléré l’essor. Dans le plan d’urbanisme dressé par Laurent Chappis, sont prévus un centre oecuménique, une piscine, le premier caravaneige… Chappis crée aussi le village de Bachat-Bouloud, unique en France. Ces huit bâtiments portés chacun par des collectivités territoriales et disposés en bordure d’une clairière au centre de laquelle se dresse toujours une sculpture de Pierre Székély, pouvaient accueillir 1000 enfants en classes de neige ou colonies de vacances. Chamrousse est alors un véritable lieu de création. Le projet développé par Laurent Chappis propose une station fonctionnelle fondée sur une vision raisonnée de l’aménagement de la montagne." Décor des Jeux olympiques pendant deux semaines, les stations de l’Isère ont bénéficié d’une promotion internationale. "Les Jeux ont donné un coup de projecteur extrêmement valorisant sur les Alpes françaises. L’impact touristique qui en a résulté est indéniable», conclut Pierre Chaix.

Grenoble, ville moderne et sportive

Les retransmissions télévisées, pour la première fois en couleur et en direct, à travers le monde entier, permirent de faire découvrir Grenoble et ses stations alentours à des dizaines de millions de personnes. Cette forte médiatisation de l’événement olympique renforcera l’image d’une ville sportive et moderne. "C’est un moment de bascule de la notoriété de la ville. Les Jeux olympiques vont apporter à Grenoble cette image de ville sportive qui ne transparaissait pas avant", estime Michel Raspaud, professeur à l’Université Grenoble Alpes, sociologue du sport au sein du Laboratoire sport et environnement social (SENS). "À travers ces Jeux, Grenoble était perçue comme une ville dynamique,
totalement innovante, en pleine transformation. C’était une petite ville industrielle de province, c’est devenu une grande ville moderne."

Les retombées ? Un effet direct sur l’attractivité de la région et un développement des sports de neige. "Les JO ont eu un impact clair en matière de tourisme. Les stations du Vercors se sont développées grâce à leur mise en lumière par les Jeux", décrit Michel Raspaud. "L’impact se répercute sur les pratiques sportives. On observe par exemple après les Jeux un important développement du ski de fond, sport qui était peu connu et peu pratiqué en France jusque-là et qui est devenu un sport très populaire. De la même manière, la compétition olympique de hockey sur glace, très enthousiasmante, a eu un impact sur le développement de ce sport partout en France, et en particulier à Grenoble, avec les succès qu’on lui connaît."


 

Publié le29 janvier 2018
Mis à jour le14 juillet 2019