Natalia Bazoge est maître de conférences en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), chercheure au laboratoire "Sport et environnement social" (SENS) et spécialiste de l’histoire genrée du sport.
Les femmes n’avaient pas leur place aux Jeux olympiques antiques, ni dans les tribunes, ni sur les stades. À l’origine de la rénovation de ces Jeux, Pierre de Coubertin était également très hostile à la participation des femmes dans la version moderne de la compétition : "Les Jeux olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs. Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte." Alors comment les femmes ont-elles fait leur place aux JO ?
Depuis quand les femmes peuvent-elles concourir dans les épreuves olympiques ?
Natalia Bazoge. Les femmes sont admises aux Jeux olympiques depuis 1900, mais au début, elles ne pratiquent, en démonstration, que des sports compatibles avec leur féminité et leur "fragilité naturelle". Leur participation se limite donc à des disciplines dites féminines, anciens loisirs de l’aristocratie comme le tennis, la natation ou le fleuret, dans le souci de protéger leur corps, mais aussi de respecter la décence et d’éviter tout effort violent et continu. L’idéologie largement répandue, véhiculée notamment par les médecins, est que le corps des femmes n’est pas adapté à la pratique intensive d’un sport et qu’il doit être préservé pour la maternité. À partir de 1928, les femmes sont autorisées à concourir dans la compétition officielle.
Pour quelles raisons le CIO change-t-il d’avis ?
N. B. En 1925, Pierre de Coubertin démissionne de la présidence du CIO et est remplacé par Henri de Baillet-Latour qui est beaucoup moins hostile à la présence des femmes aux JO. Mais c’est surtout la pression exercée par Alice Milliat, présidente de la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF), qui va changer la donne. En France, sa fédération multisports est la seule qui organise des compétitions pour les femmes, les sportives y sont donc toutes licenciées. Alice Milliat milite activement pour la participation des femmes aux JO et n’arrivant pas à faire entendre raison à Pierre de Coubertin, elle crée la fédération sportive féminine internationale (FSFI) en 1921. Elle va même jusqu’à organiser en 1922 les premiers Jeux olympiques féminins qu’elle sera contrainte de renommer «Jeux mondiaux féminins». Ils se tiendront tous les quatre ans, jusqu’en 1934. Souhaitant récupérer le contrôle du sport féminin, les fédérations sportives internationales font également pression pour que les pratiques soient encadrées. Ces trois facteurs combinés, la démission de Coubertin, la pression de la FSFI et celle des fédérations internationales, font que le CIO infléchit sa position et autorise la participation des femmes.
Comment la situation évolue-t-elle ensuite ?
N. B. L’évolution est lente, car les femmes n’ont pas encore accès à toutes les disciplines. En 1928, aux Jeux olympiques d’Amsterdam, on compte 277 femmes, soit 9,6% des participants. En 1964, à Tokyo, elles sont 678, ce qui représente 11,5%. Il faut attendre les années 90 pour que ce pourcentage augmente significativement. En 1994, le CIO amende la charte olympique en y inscrivant un axe sur l’égalité homme-femme. Il y aura ensuite une politique incitative de la part du CIO pour la parité dans les délégations. Mais ce n’est qu’en 2012, que les femmes sont enfin autorisées à concourir dans les 26 disciplines olympqiues.
Subsiste-t-il encore des différences entre les épreuves féminines et masculines aux JO ?
N. B. Aujourd’hui, il n’y a plus de disciplines sportives interdites aux femmes. Mais c’est assez récent. La dernière fédération à s’être ouverte aux femmes en France est la fédération de boxe, en 1989. Les femmes n’y étaient pas admises car les représentations associées à ce sport - la force, le combat, la violence - en font un sport "masculin". Aux JO cependant, des différences subsistent entre hommes et femmes puisqu’aujourd’hui certaines épreuves ne
sont toujours pas autorisées aux hommes. La natation synchronisée et la gymnastique rythmique restent réservées aux femmes. L’argumentaire est inversé : les représentations associées à ce sport font appel à certaines qualités, comme la grâce et l’esthétique, que les hommes ne sont pas censés posséder. Ces sports sont perçus comme des sports "féminins". La question de l’acceptabilité de l’homosexualité des sportifs est bien sûr sous-jacente.
Les Jeux de Grenoble ont-ils été particuliers pour les femmes ?
N. B. Les Jeux de 1968 sont marqués par la mise en oeuvre des premiers tests de féminité. Il s’agissait alors d’un contrôle gynécologique visuel pratiqué par des médecins avant les épreuves, et d’un test génétique réalisé avec un frottis buccal : le test du corpuscule de Barr qui visait à détecter le chromosome XX présent chez les femmes. À l’issue de ce test, psychologiquement très difficile pour les athlètes, un certificat de féminité était délivré. Aux JO de Grenoble, le test d’une skieuse autrichienne, Erika Schinegger, se révéla négatif. La compétition lui a donc été interdite. Par la suite, elle a changé de sexe et est devenue Erik Schinegger. À partir de 1991, le test utilisé était un test ADN, plus fiable, visant à repérer le chromosome Y. Mais ces tests de féminité, très critiqués, n’ont été abandonnés que très tardivement, en 1999, engendrant aujourd’hui suspicions et contestations lorsqu’une femme est jugée trop "masculine"…