La ville par laquelle transitent de nombreux touristes avant de se rendre au Machu Picchu s’est adaptée aux catastrophes sismiques qui ont jalonné son histoire.
Et si les tremblements de terre contribuaient parfois à l’essor et au développement d’une ville ? C’est ce que nous laisse entrevoir la cité inca de Cusco, au Pérou, dont l’histoire a été rythmée par les secousses telluriques.
Destination touristique prisée, la simple évocation de son nom éveille l’imagination et suscite l’émerveillement. Perchée à plus de 3300 mètres d’altitude dans la cordillère des Andes, Cusco fut d’ailleurs déclarée Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco dès 1983.
Mêlant les époques inca, coloniale et contemporaine, la ville péruvienne se caractérise par la cohabitation harmonieuse de ces héritages architecturaux. Cette particularité, décrite par l’historien George Kubler, est le résultat d’un passé riche et mouvementé. L’histoire, l’archéologie et la géologie mettent aujourd’hui en lumière la responsabilité des séismes dans ces transformations.
Pays de la ceinture de feu, le Pérou est régulièrement frappé par de violents séismes qui ravagent sa frange côtière. Le plus grand danger qui menace néanmoins les Hautes Terres andines réside dans la très grande mosaïque de failles qui découpe son relief. Leur cartographie et leur caractérisation sont, aujourd’hui encore, très incomplètes.
Un saint Patron des tremblements de terre
La capitale des Incas entretient une relation ambivalente avec les séismes. Si l’histoire et les caractéristiques des secousses sont encore mal connues, elles ont laissé une empreinte indélébile sur la ville. Le premier tremblement de terre majeur qui soit signalé dans les textes est celui de 1650. La ville est alors sous le joug espagnol depuis plus d’un siècle et s’affirme comme un nœud commercial important sur la route des métaux précieux reliant les Hautes Terres boliviennes à la côte Pacifique. Le séisme provoqua la ruine de la cité, mettant à bas la quasi-intégralité des édifices publics et religieux.
Paradoxalement, ce cataclysme déclencha une effervescence artistique et architecturale, posant les bases de la ville coloniale que l’on admire de nos jours. L’historien Hajovski établit d’ailleurs un lien étroit entre l’essor du Baroque andin, produit du mélange entre le mouvement baroque européen et les influences indigènes locales, et cet événement tellurique.
L’événement marqua aussi durablement les esprits, avec des effets psychologiques notables. Ainsi naquit au lendemain du séisme un culte particulier, dédié au Christ des tremblements de terre. Vénérée encore aujourd’hui durant chaque Lundi Saint, son effigie est également exhibée en procession après chaque secousse. La catastrophe affecta donc profondément l’inconscient collectif et la vie culturelle cusquénienne.
Les ruines incas déterrées par un séisme
Le 21 mai 1950, un autre violent séisme frappe la ville, causant la mort de plus d’une centaine de personnes. Près de 70 % des édifices sont alors détruits et les joyaux de l’architecture coloniale réduits à l’état de gravats.
Au-delà de la catastrophe humanitaire qui laisse 40 000 personnes sans logement, les habitants prennent à cette occasion « conscience du rang universel de leur ville natale », comme le note l’historien péruvien Tamayo Herrera. Des murs incas oubliés, car masqués par l’architecture coloniale, émergent alors des décombres, comme un pied de nez à la cité espagnole en ruine !
Une fois la ville déblayée, les autorités locales engagent de nombreux projets de reconstruction et de mise en valeur du centre historique. Plus question d’enfouir le passé précolombien, les reliques archéologiques de Cusco serviront désormais son développement. Au regard de l’aura touristique dont bénéficie la ville aujourd’hui, l’objectif semble atteint.
Si les recherches et témoignages historiques lèvent le voile sur les répercussions des séismes depuis la Conquête espagnole, on connaît très mal l’activité sismique de la région au cours de la période précolombienne.
Des séismes à l’époque précolombienne ?
Comme le répètent inlassablement les guides touristiques de la région, l’architecture inca présente de nombreux dispositifs architecturaux parasismiques, à l’image de ces blocs de pierre taillés, enchâssés les uns dans les autres à la façon d’un Tetris. L’ensemble de ces innovations est d’ailleurs parfois attribué au souverain inca Pachacuti lors de la grande reconstruction de Cusco au milieu du XVe siècle. Jamais pourtant la géologie ne s’est penchée sur l’éventuelle occurrence de séismes à la période inca.
Les laboratoires de Géophysique et d’Architecture de l’université de Grenoble (UGA), en collaboration avec l’institut Géologique péruvien (INGEMMET), explorent cette piste, en suivant une approche inédite dans la région : l’archéosismologie. Il s’agit d’étudier les désordres dans le bâti inca afin d’y déceler les traces d’un séisme majeur dans les siècles précédant la conquête espagnole. Parmi les traces les plus convaincantes figurent les déplacements et rotation de blocs de pierre ou encore les angles fracturés de ces mêmes éléments de maçonnerie.
En analysant de manière statistique les types de dommages, les chercheurs sont en mesure d’attester, ou non, de l’existence d’un tremblement de terre passé, et encore inconnu. Les premiers développements des recherches semblent accréditer l’hypothèse d’un événement majeur au cours du XVe siècle et plaideraient pour une réinterprétation de l’histoire de Cusco.
Les convulsions de la croûte terrestre pourraient-elles expliquer le « grand chantier » décidé par l’Inca Pachacuti dans les années 1450 ? C’est du moins ce qu’envisagent les chercheurs grenoblois.
Andy Combey
Chercheur en archéosismologie
Université Grenoble Alpes
The Conversation
L’Université Grenoble Alpes est partenaire membre fondateur du média en ligne The Conversation. Ce site internet propose de conjuguer l’expertise universitaire et le savoir-faire journalistique pour offrir au grand public une information gratuite, indépendante et de qualité. Les articles, sur un format court, traitent de dossiers d’actualité et de phénomènes de société. Ils sont écrits par des chercheurs et universitaires en collaboration avec une équipe de journalistes expérimentés. theconversation.com
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