The Conversation : "Comment gérer la rentrée scolaire avec des adolescents ?"

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Face aux incertitudes et aux consignes sanitaires, la rentrée qui s'annonce ne ressemblera à aucune autre. Pixabay License
Face aux incertitudes et aux consignes sanitaires, la rentrée qui s'annonce ne ressemblera à aucune autre. Pixabay License
Pour aider les adolescents à affronter la rentrée scolaire, et désamorcer les inquiétudes, il faut les impliquer dans les prises de décisions et expliquer le contexte de façon claire et adaptée.
Plus de 5,6 millions d’élèves du secondaire doivent revenir en cours, en collège et au lycée, début septembre, suivant le protocole sanitaire assoupli rendu public le 7 juillet dernier par le gouvernement. Interviewé sur France 2 ce jeudi 20 août, le ministre de l’Éducation nationale a confirmé que la rentrée scolaire aurait lieu le 1er septembre.


Or, en France, plusieurs articles de presse ont témoigné des réactions des adolescents face au confinement imposé par le gouvernement, souvent entre ennui, frustration et déprime.

Au Québec, une étude a montré également deux niveaux de vécu de cette situation. Certains adolescents témoignaient d’une forte dépression ou anxiété et d’autres se disaient soulagés, heureux d’échapper à la pression scolaire et de profiter de retrouver un peu de temps pour eux ou leur famille.

Les limites du virtuel

Alors même que de nombreuses études soulignent que l’usage intensif des écrans est délétère pour la santé des adolescents, il n’a jamais été aussi nécessaire de les utiliser. En effet, le numérique a permis de satisfaire à la fois les besoins d’apprentissage à distance et d’affiliation, en préservant virtuellement les relations sociales tout en nous protégeant précisément des « contacts humains ». En ce sens, « distanciation physique » ne veut pas dire « distanciation sociale ».

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Cependant, à un âge où les relations et activités extrafamiliales sont privilégiées, sortir, bouger, retrouver la liberté d’agir, retrouver « les potes », devenait une nécessité à la hauteur de la frustration de chacun. L’adolescent a besoin de sensations fortes, de sortir de la routine, de se faire plaisir avant tout.

L’entrée dans la puberté est un moment fort en bouleversement biopsychosocial, mais aussi en maturation cérébrale, marquée par la précocité du système limbique (siège des émotions) par rapport au cortex préfrontal (siège des fonctions cognitives de haut niveau).

Ce décalage maturationnel met les adolescents sous l’influence excessive des émotions. Par conséquent, le virtuel n’a pas toujours suffi. La puberté et les pulsions libidinales poussent les jeunes les uns vers les autres, et les adolescents, dans leur quête identitaire, ont besoin des pairs pour se construire et se confronter au monde.

Une reprise de l’école anxiogène

Dans ce contexte, la reprise de l’école peut permettre aux adolescents de mieux vivre la crise sanitaire. Cependant, elle peut aussi réactiver des inquiétudes ou en faire apparaître de nouvelles, d’autant plus que la période estivale a entraîné un certain lâcher-prise dans la population, malgré l’obligation de la poursuite des gestes barrières.

Il existe bien sûr la peur de la contamination mais aussi le risque d’échec scolaire après une si longue rupture dans l’apprentissage. Rappelons que le confinement et l’école à distance ont révélé de puissantes inégalités socio-économiques.

Au Québec, l’isolement volontaire raconté par les ados.


Ajoutons à cela l’anxiété et le stress post-Covid (dus par exemple à la perte d’un proche, un divorce, la perte d’un travail, la fragilité financière de la famille), la peur de se retrouver dans la vraie vie en appliquant (ou pas) la distanciation physique, la peur d’une rupture avec son ou sa petite amie, mais aussi ne l’oublions pas, la peur d’une situation de harcèlement ou d’exclusion sociale qui risque de reprendre.

La confrontation anxiogène aux personnes qui n’auront pas intériorisé les recommandations gouvernementales et ne trouveront aucun sens aux gestes barrières peut également empêcher le jeune et le personnel éducatif de reprendre sereinement le chemin de l’école. Comme me le disent des jeunes de mon entourage : « ça ne va pas être facile ni pour les prof ni pour les élèves. Je ne préfère pas trop y penser, c’est tellement compliqué que l’on pourrait passer des heures à réfléchir à ce qui pourrait arriver alors qu’au fond personne ne le sait réellement. On en parle beaucoup entre amis car on a tous le même stress et on se comprend » (M., entre en seconde).

« Les élèves vont peut être faire de leur mieux, mais je pense que ça va être vraiment difficile qu’il y ait zéro contact, surtout quand c’est leurs amis, ça va être un vrai bazar » (A., entre en terminale).

Ce que peuvent faire les adultes

Dans un premier temps, face à la diversité de ce que tout un chacun a entendu, vu, lu, il est impératif de libérer la parole, en groupe classe, ou en entretiens individuels pour les plus fragiles, l’important est que chacun puisse dire ce qu’il sait de l’épidémie, ce qu’il a ressenti pendant le confinement et le déconfinement (éventuellement ses peurs, cauchemars et anxiétés, afin de diminuer la charge émotionnelle), et ce qu’il en pense aujourd’hui.

Partager son vécu avec autrui, sans jugement, permet de voir que les autres ont d’autres opinions sur la question, ont réagi différemment, n’ont pas peur ou au contraire sont encore très anxieux.

Cela peut permettre de mieux comprendre ce qui se passe, de développer l’empathie et l’esprit critique, notamment sur tout ce qui est véhiculé par les médias, les familles ou les amis (les infox, les chiffres, les résultats scientifiques, etc.).

S’il est difficile pour un adulte de rassurer lorsqu’il se trouve lui-même face à l’inconnu, on peut tout de même montrer qu’on entend la détresse. Reconnaître c’est déjà désamorcer la tension.

On peut aussi leur demander ce qu’ils attendent des adultes dans l’établissement face aux gestes barrières (et aux éventuelles sanctions associées) et aux conditions de reprise de l’apprentissage car eux aussi s’interrogent sur tout ça. L’adolescent a besoin de cadre structurant pour se sentir protégé, a besoin de se sentir en sécurité d’agir et de penser face à une situation qui peut lui paraître dangereuse ou menaçante. Cela renvoie au concept d’attachement si important tout au long de la vie mais revu à la hauteur du bouleversement pubertaire.

« Entre amis, on sera toujours là les uns pour les autres si jamais quelqu’un n’a pas compris, et souvent nos amis nous aident à nous motiver » (M., entre en seconde).

« ça va nous faire bizarre de travailler dans ces conditions mais on n’a pas le choix, quand j’en parle avec mes potes, on se dit juste que ce sera étrange au début et qu’on finira par s’habituer. C’est pour notre sécurité donc c’est important de respecter les mesures mises en place » (R., entre en première).

Expliquer pour mieux accompagner

Dans un deuxième temps, il faut expliquer. L’adulte doit apporter une explication sur les différentes informations véhiculées avec les derniers chiffres officiels à l’appui.

Il doit également apporter une explication rassurante sur les comportements humains qui sont « normaux » dans une situation de crise : révolte, peine, indifférence, déni, panique, résignation, irrationalité… Pour cela, on prend appui sur les processus qui provoquent ou maintiennent ces états, tels que les ruminations mentales, l’intolérance à l’incertitude, le faible sentiment d’efficacité personnelle face à la situation ou encore la dissonance cognitive due aux attitudes contradictoires.

« on nous interdit de sortir de chez nous mais on nous demande d’aller voter »,
« on nous interdit le lycée mais on peut se retrouver dans les parcs et les bars ».

L’adaptation de la quantité d’informations et la forme sous laquelle elles sont présentées doivent s’adapter aux capacités de compréhension, de concentration et d’attention des élèves.

Parallèlement, les cours doivent reprendre sans stigmatisation ni reproches à ceux qui ont décroché pendant le confinement. À l’enseignant de réexpliquer les prérequis nécessaires à la leçon du jour et de prendre le temps, au lieu de penser qu’il faut aller plus vite pour rattraper le temps perdu.

La préoccupation de l’adolescent : « qu’est-ce que j’y gagne ? »

Toutes les injonctions autour de l’application des gestes barrières cherchent à imposer un comportement et font pression sur l’individu.

« Ce qui va être pénible c’est d’être contraint car j’aime mieux faire ce qui me fait plaisir. J’ai du mal avec ce qui est obligatoire, mais bon on n’aura pas le choix, je me demande comment ça va se passer » (E., entre en terminale).

En phase avec la théorie de l’autodétermination, qui montre comment tout comportement s’explique par les raisons qui les motivent, nous devons faire en sorte que les motifs extrinsèques (autrement dit non choisis par l’individu) puissent être intériorisés (appropriés) par les élèves.

Si on les laisse énumérer le type de comportements qui les arrangerait, et qu’on leur donne la capacité de discuter la pertinence de leurs choix comportementaux en lien avec les conséquences que ceux-ci peuvent avoir (pour eux et pour autrui), on peut amener les élèves à satisfaire les trois besoins psychologiques de base qui renvoient à nos sentiments d’autonomie, de lien social et de compétence/reconnaissance.

Autonomie, compétence, affiliation

Si je me comporte tel qu’on attend que je me comporte mais que ce soit devenu mon choix car cela a pris du sens à mes yeux, cela satisfait mon sentiment d’autonomie, et cela renforce mon sentiment de compétence car c’est associé à un effort de ma part, encouragé et reconnu par l’équipe éducative.

Je suis quelqu’un de bien (effet positif sur la façon dont les autres me perçoivent, satisfaction du besoin de reconnaissance) et je me comporte comme tous les autres de mon groupe scolaire (sentiment d’appartenance).

De plus, de tels échanges permettent à l’élève de penser à ses attitudes et comportements sociaux et d’en prendre conscience au lieu d’agir de façon automatique, inconsciemment, comme ce peut être le cas dans leur groupe social d’appartenance (familial ou amical).

Sans compter que les fermetures des écoles ont montré l’importance du présentiel, autrement dit, comme me le soulignait N, conseillère principale d’éducation lors d’un entretien :
« le lien affectif créé avec certains adultes de l’établissement et pour de meilleures conditions d’apprentissage ».

Dans ce contexte de rentrée scolaire inédit, le défi sera de faire valoir l’implication personnelle dans la gestion de la crise sanitaire, de passer de l’individuel au collectif, tout en rassurant chaque individu, de l’élève à l’enseignant.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le24 août 2020
Mis à jour le24 août 2020