The Conversation : "Comment les prêtres mariés vivent leur rupture avec l’Église"

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Renoncer à la vocation constitue l'une des transitions les plus brutales qui puisse exister. Gina Smith / Shutterstock
Renoncer à la vocation constitue l'une des transitions les plus brutales qui puisse exister. Gina Smith / Shutterstock
Certains se cachent, tandis que d’autres anticipent cette étape particulièrement brutale que constitue une renonciation à la vocation.
Un vif débat sur le mariage des prêtres anime aujourd’hui l’Église. Fin 2019, des centaines d’évêques latino-américains et amérindiens, réunis au Vatican, ont proposé de lever cette interdiction. Mais le pape François a renoncé en février 2020 à ouvrir cette perspective.


Le célibat des prêtres catholiques reste en effet un point central du droit canon. Le prêtre qui y renonce s’éloigne de fait de l’Église et s’expose à une mise à l’écart cinglante de la communauté. Il s’agit même de l’une des transitions les plus brutales qui puisse exister : en renonçant à leurs vocations, les prêtres perdent à la fois leurs emplois, mais aussi leurs professions et bien souvent leurs réseaux professionnels, familiaux et amicaux.

Pour mieux comprendre cette rupture induite par la rencontre amoureuse et ses conséquences, nous avons rencontré 30 prêtres mariés avec lesquels nous avons conduit des entretiens d’une durée de 45 minutes à deux heures.

Nos résultats permettent de dégager trois profils d’ex-prêtres, qui montrent tous que, même dans un contexte défavorable, voire hostile, la capacité d’un être humain à se redéfinir personnellement comme professionnellement demeure importante.

Ces trois profils correspondent à trois stratégies : se cacher, critiquer les critiques, et enfin communiquer pour faire évoluer les représentations.

« Déçu de moi-même »

La première stratégie, se cacher, traduit une volonté de développer la relation amoureuse en autonomie, le temps de pouvoir envisager les modalités pratiques de l’éloignement de l’Église. Ici la rupture avec l’Église est conçue à regret, tant le prêtre apprécie son travail mais sait ne pas pouvoir le faire en étant en couple. Comme en témoigne un prêtre interviewé : « Je sais que la direction que cela m’amène à prendre va peiner beaucoup de monde. Je pense ici à plusieurs prêtres comme à mes paroissiens. Je suis déçu de moi-même. »

L’impulsion provient généralement d’un évènement structurant. Deux cas apparaissent ici. Le premier est celui d’une dégradation de la santé du prêtre ou de sa compagne : « À force de faire des efforts pour se cacher, cela use les corps et les esprits. J’ai eu un pépin cardiaque qui m’a fait me dire que je ne pouvais pas continuer comme cela. Il fallait partir. »

Le second est la découverte de la relation : « Nous avons croisé un paroissien alors que nous étions à la terrasse d’un café sans aucune raison de l’être… La nouvelle s’est ensuite propagée. »

Là le prêtre ne peut rien faire d’autre que partir. La rupture est crainte.

Ici, l’expérience de prêtres étant partis dans des conditions comparables ne l’incite pas à l’optimisme : « Je me souviens d’un prêtre qui a dû partir dans l’urgence. L’évêque ne lui a même pas laissé l’occasion d’annoncer son départ à ses paroissiens. Il est parti dans la nuit avec sa conjointe qui travaillé dans une école dont on l’a chassé. De telles conditions vous font réfléchir. »

Partir signifie ici perde aussi son logement : « La hiérarchie ne souhaite pas que le prêtre marié demeure dans sa paroisse. Le départ est donc source de perte d’emploi et de logement. Je devrai donc me reposer que sur les revenus de ma conjointe et en plus on devrait déménager. »

Pour autant, le poids des circonstances le conduit à partir, quelles que soient les conditions matérielles.

« L’Église a tout faux ! »

La seconde stratégie voit le prêtre rentrer en opposition avec l’Église. Ici, il n’y a aucun regret comme avec le premier cas. Le prêtre est très critique, comme l’illustre par exemple ce verbatim : « L’Église nous conduit à voir la femme comme un danger alors que c’est tout l’inverse. C’est une opportunité de développement. L’Église a tout faux ! »

Au contraire, pour lui la conjointe a une influence positive sur la qualité de la pratique professionnelle de prêtre : « J’ai été un bien meilleur prêtre depuis que je suis avec Ursula*. Elle m’a ouvert à des réalités que mon isolement ministériel ne me permettait pas de cerner. J’ai pris conscience d’avoir été abusé par l’Église. »

La critique peut être encore plus radicale lorsque certains relient cet interdit avec les scandales récents de pédophilie : « Ne pas prendre en charge la sexualité des êtres humains, c’est s’exposer à des dérives comme prendre des personnes ayant des perversions. »

Un autre élément conduit à intensifier la colère du prêtre : l’hypocrisie de certains de ses collègues : « Plusieurs donneurs de leçons ne sont pas eux-mêmes exempts de tout reproche. Au contraire, nombreux sont ceux qui entretiennent des relations avec des paroissiennes sur la durée et qui dans le même temps condamnent ceux qui font la même chose. »

Cette hypocrisie, les prêtres n’en veulent pas : « Il est hors de question que nous vivions avec Chantal* une relation clandestine pendant des années. Cela n’est pas possible. Je ne pourrais pas accepter de lui faire subir cela ! »

Ici les couples se distinguent des autres cas où la conjointe comme le prêtre envisage une relation clandestine sur la durée. Là ce n’est pas envisagé.

Ce profil débouche sur un équilibre psychique assumé. En effet, le prêtre marié ne se définit plus comme prêtre. Son éloignement avec l’Église est total : « Je ne suis plus prêtre. Je n’ai pas besoin de l’Église pour avoir une relation avec Dieu. »

« On peut aider les autres sans être prêtre »

Le dernier profil voit se dégager un prêtre qui privatise son action professionnelle. Il estime ne plus avoir besoin de l’Église pour faire ce qu’il apprécie. La relation avec sa conjointe apparaît comme un signe de Dieu, comme en témoigne en interviewé : « Dieu a mis sur mon chemin Odette*. Je ne vois pas pourquoi je devrais m’opposer à sa venue. Je ne me suis pas questionné autre mesure car je ne voyais pas le problème. »

Face à cette rupture jugée inévitable, le prêtre se prépare en demandant des formations, ou encore en mobilisant ses paroissiens pour améliorer son employabilité. Le départ étant anticipé, il ne donne pas lieu à un surinvestissement émotionnel : « Je suis parti le cœur léger car je savais que je continuerai à faire ce que je voulais faire : aider les autres. On peut très bien aider les autres sans être prêtre. »

Pour autant, alors que les deux autres profils ne cherchent pas à avoir de relations avec l’Église après leur départ, l’ex-prêtre reste ici en lien avec elle en développant une militance envers les potentiels prêtres pouvant souhaiter quitter cette institution. Les expressions de cet engagement peuvent prendre des formes diverses. Le prêtre va par exemple s’engager dans des associations d’anciens prêtres pour obtenir une meilleure retraite.

Dans quelques cas, les ex-prêtres témoignent publiquement ou écrivent des livres retraçant leur parcours de vie. Cependant, cet engagement connaît des limites. Plusieurs soulignent qu’une trop grande notoriété peut entraîner des inconvénients qu’ils ne veulent pas vivre ou faire vivre à leurs proches : « Je témoignerais bien mais j’ai peur de ce que cela pourrait signifier pour ma femme et ma fille. Toutes deux sont dans une école catholique et je pense que cela n’arrangerait pas les choses. »

Bref, plus ça change, moins ça change…

Pour conclure, soulignons que le cas extrême des prêtres mariés peut être élargi à l’ensemble des salariés en situation de reconversion professionnelle. Il met en effet en évidence la capacité à pouvoir se reconstruire après une rupture. Faire le deuil de son identité professionnelle précédente peut en effet aboutir au meilleur, comme rebondir dans une profession souhaitée, mais cela empêche une remise en cause profonde de son activité et de son sens.

En cela, les prêtres qui font le choix du mariage apparaissent condamnés à reconstruire entièrement non seulement leur identité professionnelle, mais aussi le sens de celle-ci.


Les prénoms ont été changés.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le27 avril 2020
Mis à jour le5 mai 2020