The Conversation : "Dans la fabrique de « l’indice de réparabilité » en vigueur depuis janvier 2021"
Si la mesure tarde encore à être mise en application, elle a fait l’objet d’une importante communication publique et privée en ce début d’année. Officialisé par l’article 16 de la loi « anti-gaspillage pour une économie circulaire » du 10 février 2020, l’indice de réparabilité était discuté depuis déjà plus de deux ans en France.
À l’origine de ces discussions, la feuille de route pour une économie circulaire (FREC), présentée en avril 2018, dessinait les directions et objectifs politiques du quinquennat d’Emmanuel Macron en la matière.
L’une des 50 mesures demandait une « information simple » sur la réparabilité des objets. En parallèle, l’Union européenne lançait la même année des travaux conduits par le Joint Research Center (JRC) de la Commission européenne pour tracer les contours « repair score ».
Les études préparatoires à l’élaboration de l’indice ont commencé dès l’été 2018. Sous l’égide du commissariat général au développement durable et de l’Agence de la transition écologique (Ademe), cinq groupes de travail ont été créés (pour chaque catégorie de produit), réunissant producteurs, vendeurs, réparateurs, associations environnementales et de défense des consommateurs et représentants de labels liés à la réparation.
Travaillant dans le cadre de nos recherches doctorales sur l’économie circulaire, nous avons mené une vingtaine d’entretiens avec ces acteurs ayant participé de près ou de loin à l’élaboration de l’indice.
Les 5 critères de la « réparabilité »
Derrière la note sur 10 se trouve une grille de calcul, mise à disposition de manière obligatoire par les vendeurs sur leur site Internet. Elle tient compte de cinq critères, chacun représentant un aspect de la réparabilité : la disponibilité de la documentation, la « démontabilité », la disponibilité des pièces détachées, leur prix et enfin un critère spécifique à chaque catégorie de produit. Chacun pèse autant, c’est-à-dire pour 1/5e du score final.
Chaque critère est également divisé en sous-catégories – jusqu’à 4 pour la disponibilité des pièces détachées – qui traduisent les exigences en matière technique. Ils ne valent en revanche pas tous autant dans la formation de la note du critère.
Une des raisons principales de cette pondération inégale repose sur le fait que l’indice de réparabilité distingue deux « types » de pièces : celles « dont la casse ou les pannes sont les plus fréquentes » ; celles « dont le bon état est nécessaire au fonctionnement de l’équipement ».
Un score autodéclaré
Le calcul de l’indice est confié aux producteurs ou aux importateurs des objets concernés. C’est-à-dire qu’ils remplissent la grille de l’indice de réparabilité de façon autodéclarative pour chaque référence de produit qu’ils mettent sur le marché. Ils sont ensuite tenus de transmettre la note et le détail du calcul aux vendeurs qui, eux, devront l’afficher.
Puisqu’il s’agit d’obligations d’information relatives à la mise sur le marché de produits, c’est la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui sera chargée de contrôler la bonne application et le calcul de l’indice. Les sanctions n’interviendront qu’à partir de 2022, conformément articles 29 et 130 de la loi anti-gaspillage.
Ce caractère autodéclaratif peut surprendre, les pouvoirs publics l’ont justifié de deux façons : d’une part, le manque de moyens pour mettre sur pied un mécanisme de certification publique, compte tenu du nombre important de produits concernés ; d’autre part la confiance envers les consommateurs et la « société civile » pour faire remonter les manquements ou les triches dans l’affichage de l’indice de réparabilité.
Un instrument de marché
L’indice repose sur le principe clé selon lequel le consommateur orientera ses préférences d’achat en fonction des informations qu’il détiendra. En choisissant de mettre l’accent sur ce type d’instrument, l’État exprime une confiance envers les mécanismes de marché, ainsi qu’une posture particulière par rapport à celui-ci : il n’agit pas directement sur l’activité économique relative à la réparation. Il l’encadre, l’outille et la contrôle afin de laisser les « forces du marché » opérer au sein d’un cadre défini.
Loin de constituer un simple retrait de l’État dans le gouvernement des activités économiques, l’indice de réparabilité nous fournit un exemple de l’investissement matériel et intellectuel que nécessitent de tels outils.
La progression des performances énergétiques de l’électroménager oblige à réévaluer ces autocollants informatifs. https://t.co/P170BTGDVQ
— The Conversation France (@FR_Conversation) December 8, 2020
Pour construire un tel outil, il faut d’abord démontrer l’intérêt d’agir en faveur de la réparation et de le faire via une information délivrée au consommateur.
La nécessité d’encourager la réparation s’inscrit dans un objectif plus large de promotion du réemploi, via l’allongement de la durée de vie des produits électroniques. Ces dernières années, l’Ademe a produit de nombreuses études, notamment sur les emplois créés par l’activité de réparation, les bénéfices environnementaux de celle-ci et sur les bénéfices économiques pour les consommateurs.
Notons l’importance des chiffres dans la démonstration de pertinence : sont évoqués les 40 % seulement d’appareils en panne qui sont réparés, 100 millions de téléphones « dormant » dans nos placards, et les 220 000 emplois générés par la réparation. De manière générale, l’Ademe et le ministère de l’Environnement participent à diffuser l’idée que les Français demandent des produits plus écologiques.
Ensuite, la construction de l’indice lui-même nécessite un investissement institutionnel pour lui donner des caractéristiques à la fois utiles sur les plans social et environnemental et acceptables par les industriels. La réflexion en groupes de travail a permis de rendre visibles et de favoriser les discussions sur les détails de l’indice.
Deux éléments ont particulièrement été discutés : le prix des pièces détachées et le choix du « réparateur cible », c’est-à-dire le réparateur qui doit être privilégié dans la note.
Prix des pièces et respect de la concurrence
Penchons-nous d’abord sur le critère du prix des pièces détachées, qui a fait l’objet de nombreuses interrogations. Censé fournir une information complémentaire au prix du produit, l’indice de réparabilité n’avait initialement pas vocation à réinclure une notion de prix, même relative à un autre bien, dans son calcul.
D’une part parce que cela présentait un risque juridique relatif au droit de la concurrence et aux règles d’intervention de l’État dans la fixation des prix. Valoriser un prix bas des pièces détachées dans l’indice peut en effet revenir à fixer un « prix maximum » au-delà duquel le score du critère sera de zéro.
C’est malgré tout l’option qui a été choisie, puisque la grille de calcul actuelle établit : une note minimale si la moyenne entre le prix de la pièce détachée la plus chère et le prix moyen des autres pièces détachées dépasse 30 % du prix du produit neuf ; une note maximale si ce ratio est égal ou inférieur à 10 % (par exemple pour les téléviseurs).
Instaurer un prix plafond menaçait par ailleurs d’entraîner la convergence des prix par un effet d’entente informelle. Même dans les groupes de travail, il était donc délicat d’évoquer de vive voix les prix pratiqués par les fabricants, du fait de cette même possibilité d’entente, formel cette fois-ci.
Enfin, les travaux européens du JRC n’évoquent pas l’inclusion de ce prix dans le calcul du « repair score », le risque était donc d’enfreindre le régime européen de libre circulation des marchandises.
S’ils étaient soulevés par les fabricants eux-mêmes, ces risques ont exigé une collaboration entre ministères, puisque la DGCCRF est intervenue dans les groupes de travail pour cadrer la discussion.
Deux éléments ont finalement déterminé la décision d’intégrer le critère prix dans l’indice. D’une part, l’idée que le prix des pièces détachées était une composante fondamentale, sinon la plus importante, dans le choix des consommateurs. Ensuite le fait que le ministère de l’Environnement ait demandé aux participants de communiquer leurs positions sur ce sujet dans une « boîte noire », écartant le danger de la diffusion entre concurrents.
La question de l’autoréparation
L’autre interrogation centrale concerne la cible finale de l’indice. Contrairement à l’affichage de caractéristiques liées au passé des produits, celui de la réparabilité engage également son avenir. La question se posait donc : qui réparera les produits ?
Pour le calcul des critères de l’accès aux pièces détachées (critère n°3) et à la documentation (critère n°1), la position des associations était de favoriser un calcul de ces critères uniquement pour l’autoréparation (c’est-à-dire par les consommateurs eux-mêmes). À l’inverse, un certain nombre d’acteurs mettaient l’accent sur les risques pour l’usager en cas d’autoréparation, ou même sur la faisabilité technique et plaidaient pour que seule soit valorisée la réparation par des professionnels.
La sobriété en matériaux sera essentielle pour la transition énergétique ! Un consommateur sobre est un consommateur informé. A quand un yuka pour comparer les matériaux dans nos produits ? @FR_Conversation https://t.co/NenHJQrBU2
— Hache Emmanuel (@EcoHache) December 17, 2020
Les concepteurs de l’indice ont finalement trouvé un compromis en décidant de distinguer l’attribution des notes dans ces critères en fonction du réparateur final, selon deux catégories en ce qui concerne l’accès à la documentation (réparateurs et consommateurs), et quatre en matière d’accès aux pièces détachées (producteurs, distributeurs de pièces détachées, réparateurs, consommateurs).
Ainsi, un objet dont la documentation et les pièces détachées ne seraient accessibles qu’à un certain type de réparateurs professionnels ne pourra pas recevoir la note maximale sur les critères 1 et 3. Plus ils sont accessibles à l’inverse, plus le produit obtiendra un bon score.
Fruit d’une mise à l’agenda progressive de la question de la réparation et du travail institutionnel piloté par le CGDD et l’Ademe, la construction de cet indice a impliqué de croiser des intérêts et des savoirs techniques, économiques et juridiques pour orienter au mieux cet outil d’information du consommateur. C’est un exemple de gouvernement « par le marché », mis en place par un État en recomposition, désireux d’agir sur certains enjeux environnementaux et sociaux.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le4 mars 2021
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L'auteur
Doctorant en sociologie économique
Université Grenoble Alpes (UGA)
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