The Conversation : "Débat : Pourquoi il n’y aura pas de grand retour des États-Unis sur la scène climatique"

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Le 14 septembre 2020, le candidat Biden évoque le changement climatique et les méga-incendies sur la Côte Ouest des États-Unis dans un discours au Muséum d’histoire naturelle du Deleware. Photo Shutterstock non contractuelle
Le 14 septembre 2020, le candidat Biden évoque le changement climatique et les méga-incendies sur la Côte Ouest des États-Unis dans un discours au Muséum d’histoire naturelle du Deleware. Photo Shutterstock non contractuelle
S’il n’a pas la majorité au Sénat, Biden devra batailler pour tout projet conséquent de renforcement des ambitions de réductions des émissions de gaz à effet de serre de son pays.
Le 5 novembre 2020, le démocrate Joe Biden annonçait sur Twitter que les États-Unis réintégreraient l’accord de Paris, qui fixe depuis 2015 la gouvernance climatique mondiale, dès son entrée en fonction le 20 janvier 2021 ; pour rappel, le président sortant Trump avait déclaré le retrait de son pays de l’accord en juin 2017, une décision cohérente pour celui qui a souvent qualifié les changements climatiques de « canular ».


Mais c’est une autre date qui doit retenir notre attention.

Quelques semaines plus tôt en effet, le 22 septembre 2020 lors d’un discours adressé à l’Assemblée générale des Nations unies, le président chinois Xi Jinping déclarait, à la surprise générale, que son pays commencerait à faire baisser ses émissions de CO2 avant 2030, pour atteindre d’ici 2060 la « neutralité carbone » ; cette neutralité correspond à l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre qui pénètrent dans l’atmosphère et celles qui sont absorbées par les puits à carbone – comme les terres et la biomasse – ou encore celles qui pourraient, un jour peut-être, être retirées de l’atmosphère.

« Depuis le début de ce siècle, il était évident que la Chine aurait la voix décisive pour le futur de la politique climatique globale », analyse Adam Tooze, professeur d’histoire à l’université Columbia. Mais c’est la première fois en trente ans de négociations climatiques, souligne l’universitaire, que le plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre s’engage à décarboner son économie. Xi a changé le débat.

Dans un tel contexte, que peut Biden ?

Incontournable Chine

Pour les États-Unis, première puissance mondiale, la montée du grand capitalisme émergent qu’est la Chine a surdéterminé toutes les négociations climatiques, depuis l’aube des négociations, à partir de la fin de la décennie 1980, jusqu’à aujourd’hui. Les choses ne changeront pas avec Joe Biden.

En juillet 1997, les sénateurs Robert Byrd (démocrate) et Chuck Hagel (républicain) avaient fait voter une motion affirmant que les États-Unis ne devaient signer aucun protocole sur le climat qui porterait de sérieuses atteintes à leur économie sans engagement des pays du Sud (comprendre la Chine). 95 voix pour la motion, 0 contre… et avec 45 sénateurs démocrates présents, dont Joe Biden.

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En un demi-siècle, la richesse de la Chine a progressé de manière vertigineuse. Le PIB chinois représentait quelque 3 % du PIB mondial en 1972 (en dollars courants). C’était plus de 16 % en 2019. Cette même année, le PIB total de la Chine a atteint 23 460 milliards de dollars, celui des États-Unis, 21 374 (chiffres exprimés en parité de pouvoir d’achat, PPA). En matière de PIB par habitant (qui peut approximer le niveau de vie), la Chine est cependant loin derrière les États-Unis, 16 117 dollars contre 62 527.

S’il est aujourd’hui difficile de considérer la Chine comme la première économie du monde, elle en a toutefois pris le chemin.

Que peuvent les États-Unis ?

S’il n’a pas la majorité au Sénat (on le saura en janvier 2021), Biden devra batailler pour tout projet conséquent de renforcement des ambitions de réductions des émissions de gaz à effet de serre de son pays.

Trump a défait toute une série de réglementation proclimat de la présidence Obama, une bonne centaine. Le nouveau président, là encore, devra batailler pour restaurer chacune de ces mesures, il devrait néanmoins y parvenir ; mais tous les dommages ne pourront être réparés.

Quant à proclamer l’objectif de « neutralité carbone » pour 2050, vu l’intransigeance du parti républicain, il n’y a à peu près aucune chance qu’il puisse être partagé au Sénat et à la Chambre des représentants. Pour certains observateurs, cependant, un compromis pourrait être envisageable.

En août 2020, la vice-présidente Kamala Harris a annoncé qu’elle proposerait dès le début de la présidence Biden une réunion entre les nations les plus émettrices de gaz à effet de serre pour accroître les ambitions de la COP26, qui se tiendra à Glasgow en décembre 2021… Attendons.

La Chine a « pris la main » sur le climat

La Chine, ce sont des dimensions tout autres que celle des pays européens. Cette réalité n’est pas si banale à rappeler.

En 2017, cet immense pays composé de 27 provinces a émis 9 810 millions de tonnes de CO₂. La seule province du Shandong (situé à l’Est du pays) en a émis, à elle seule, plus que l’Allemagne (respectivement 800 contre 787 millions de tonnes). Celle du Hunan (située au sud) à peu près autant que la France (respectivement 305 et 346 millions de tonnes).

Il faut prendre la mesure des défis titanesques qui attendent la Chine pour atteindre un pic de ses émissions de CO2 en 2030 et la neutralité carbone en 2060 (plutôt 2070, disent des experts chinois).

Les chiffres (que l’on ne discutera pas ici) donnent le tournis : au moins 180 milliards de dollars d’investissements dans la transition énergétique, chaque année pendant des décennies, seront nécessaires ; car il s’agira de doubler la production hydroélectrique, de multiplier par 6 celle de l’énergie nucléaire, par 9 la production d’électricité à partir des éoliennes et par 16 celle en provenance du solaire ; Pékin devra aussi engager la capture et le stockage du carbone (CSC) à grande échelle et quelque 3000 centrales à charbon devront être fermées,

Transformer les systèmes énergétiques, industriels, les infrastructures, les modes de produire et de consommer, prendra du temps. On ne change pas la base matérielle d’une économie, que ce soit en Chine, aux États-Unis ou ailleurs, d’un claquement de doigts.

Comme toujours, la Chine avance à propre son rythme, sur le temps long, de « pierre en pierre », sans « promettre de succès ostensible dans les cent jours », pour reprendre les mots du philosophe et sinologue François Jullien.

Quant au retour des États-Unis sur la scène climatique, on sait déjà qu’il sera laborieux. Alors qu’il faudrait agir dans la plus grande urgence, c’est certainement à un tournant réaliste que l’on assiste en matière de politique climatique. Et le réalisme, ou plutôt la lucidité, est toujours un moment difficile.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Publié le13 novembre 2020
Mis à jour le13 novembre 2020