The Conversation : "Débat : Vers des conventions citoyennes universitaires pour le climat et la biodiversité ?"
Si le titre de l’article nous oblige, la proposition pédagogique me semble limitée surtout s’il s’agit pour les universités d’avoir un impact sur tous les étudiants.
Qui va venir dans chaque discipline enseigner le réchauffement climatique ? Va-t-on faire un cours de réchauffement climatique par discipline isolée ? Un pour spécialistes du droit, un autre pour physiciens, pour historiens, ou bien une présentation générale, superficielle et indigeste des innombrables articles en ligne ? Comment être à la hauteur des enjeux sinon en rassemblant les étudiants dans une réflexion commune quels que soient les parcours ?
Difficile c’est vrai, car pour l’essentiel, l’université procède par disciplines académiques spécialisées et/ou par adéquation avec les professions liées au monde socio-économique et industriel. Dans le monde d’avant, ce fut un succès. Il ne faut pas toujours se flageller. Mais là, ça ne marchera pas.
Accompagner, dans l’urgence, les étudiants vers ce futur lourd de menaces incontournables met au défi les universités au cœur même de leur modèle d’éducation et de formation. Ces problèmes globaux, extrêmement complexes, ne se laissent pas projeter sur les disciplines de l’université et les enseignements associés. Comment inventer des outils et des formes pédagogiques en étant déjà dans l’état d’urgence écologique et climatique ?
Essayons de regarder comment faire en prenant la convention citoyenne pour le climat comme repère.
Les « wicked problems » ou problèmes rebelles
Pour entrer dans cette exploration pédagogique, on a besoin d’un cadre de réflexion construit et partagé, qui aborde la spécificité de ces problèmes globaux si complexes et si difficiles pour tous.
En 2014, Michael Torman de la Banque Mondiale décrivait le réchauffement climatique comme un « wicked problem ». Déjà, en 2008, Richard J. Lazarus, professeur de droit à l’université de Harvard, parlait du changement climatique comme d’un « super wicked problem ». Et bien d’autres auteurs ont développé cette approche.
Les « wicked problems » ont été identifiés et nommés à l’université de Berkeley, en Californie par deux théoriciens du design, Horst Rittel et Melvin M. Webber. Leur article de 1973 intitulé « Dilemmes dans une théorie générale de la planification » est en ligne. C’est toujours une référence importante. Le résumé déjà indique que cela peut effectivement être le cadre recherché : « La recherche de bases scientifiques pour affronter les problèmes de politique sociale est vouée à l’échec, en raison de la nature de ces problèmes. Il s’agit de “wicked problems”, alors que la science s’est développée pour traiter des “tame problems”. Les problèmes de politique ne peuvent être décrits de manière définitive. En outre, dans une société pluraliste, rien ne ressemble au bien public incontestable ; il n’existe pas de définition objective de l’équité ; les politiques qui répondent aux problèmes sociaux ne peuvent être ni correctes ni fausses de manière significative ; et il est insensé de parler de “solutions optimales” aux problèmes sociaux à moins d’imposer d’abord de sérieuses réserves. Pire encore, il n’y a pas de “solutions” au sens de réponses définitives et objectives. »
Les traductions de wicked et tame me sont ici une difficulté sérieuse. Dans leur article de 2017, « Les formes d’innovation publique par le design : un essai de cartographie », les chercheurs Jean‑Marc Weller et Frédérique Pallez parlent de situations réputées épineuses. On trouve bien sûr pour wicked, méchant mais aussi complexe, pernicieux, rebelle voire pervers (Bruno Latour, « Où atterrir », 2017), et pour tame, dompté, maîtrisé, apprivoisé…
Penser le réchauffement climatique comme un « wicked » problème ou un « tame » problème, qui décrivent deux approches opposées de l’action en société, nous aide à penser l’accompagnement des étudiants. Le prisme « wicked problem » souligne que ce n’est pas la seule rationalité scientifique et technique, qui va fonder notre réponse à ces défis mais l’émergence d’une conscience collective et citoyenne, construite elle rationnellement avec les étudiants même si dans l’urgence du temps.
La convention citoyenne pour le climat : une mine d’or pour les universités ?
Dans le contexte de cette réflexion pédagogique, la convention citoyenne pour le climat se présente comme une démarche exploratoire, que l’on peut tenter de situer à partir de ce cadre des « wicked problems ». Cette convention a rassemblé 150 profils pour représenter la diversité de nos concitoyens.
J’ai entendu certains des participants expliquer à quel point cette expérience avait transformé leur approche du réchauffement climatique, de la vie quotidienne jusqu’aux enjeux planétaires. C’est ce que rapporte Stéphane Foucart dans sa récente chronique du Monde : « Ce n’est que lors de la convention que nombre des 150 citoyens sélectionnés ont découvert la gravité du problème climatique. Et, pourtant, l’écrasante majorité d’entre eux a approuvé des propositions ambitieuses. »
Ils ont travaillé et ils ont appris en travaillant. Ils se sont approprié collectivement des connaissances et des informations multiples. Ils ont construit des propositions communes qu’ils partagent aujourd’hui avec nous. Ce qu’il en sortira ou pas pour notre société au plan politique n’est pas ici mon propos d’enseignant. Je regarde la convention citoyenne comme une expérience collective et engagée d’apprentissage par le faire hors du commun.
Comment construire rapidement ensemble une conscience collective ancrée dans le réel, qui permette à la société de se mettre en route ? A cette aune, c’est sinon une mine d’or, en tous cas une source d’inspiration pour les universités qui cherchent comment accompagner tous les étudiants sur ces questions aux enjeux immenses pour leur vie future.
7 sessions de 3 jours pour chercher, comprendre et valider ensemble
Thierry Pech, co-président du comité de gouvernance de la convention, a souvent souligné l’efficacité du processus. Le travail s’est déroulé en sept sessions de trois jours. Chaque session comprenait des thématiques, des méthodes et des actions bien précises.
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De la session 1 à la 4, on note trois fois « identifier » dans les objectifs et deux fois « décoder ». Probablement, je l’imagine, des heures à consulter des experts, des témoins, des acteurs, à noter, à transpirer dans les échanges, à chercher à comprendre en s’aidant les uns les autres.
À partir de la session 5, on trouve trois fois « valider ». Valider est un verbe qui pèse lourd. Dans le monde de l’université, la validation résulte de l’échange scientifique, de l’épreuve de l’esprit critique, de la controverse ouverte, partagée, rigoureuse et productive. Pas facile, exigeant mais au cœur de l’idéal universitaire basée sur la méthode scientifique. Valider ensemble, c’est vérifier que la proposition d’action est fondée sur des informations justement validées, sur des connaissances évaluées, même, et surtout si elles s’avèrent limitées.
Des conventions citoyennes universitaires, c’est faisable !
Sept sessions de trois jours, un calendrier qui précise des étapes, des objectifs de session en session, la convention citoyenne a montré par l’expérience, que tenter l’exercice est faisable avec les moyens et les compétences des universités. On parle ici de quatre semaines. Une année universitaire, c’est environ 25 semaines. 75 semaines pour une licence en trois ans.
Le nombre d’étudiants en France approche les 3 millions. Créer des conventions citoyennes universitaires de quatre semaines doit d’abord être une expérimentation avec un nombre d’étudiants limité.
Quand j’entends les préoccupations, de plus en plus souvent le découragement ou les angoisses des étudiants autour de moi, je ne doute pas qu’on les trouverait au rendez-vous d’une proposition comme une convention citoyenne universitaire, y compris pour la construire ensemble. Ils, elles sont tou·te·s majeur·e·s et nos concitoyen·ne·s.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le10 juillet 2020
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L'auteur
Professeur de physique
Université Grenoble Alpes
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