The Conversation : "Enseigner avec un visage masqué : un défi ?"

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La perception visuelle des informations qui se dessinent sur le visage des interlocuteurs, ainsi que leur traitement, sont des processus déterminants pour la compréhension et la mémorisation des phrases. Shutterstock
La perception visuelle des informations qui se dessinent sur le visage des interlocuteurs, ainsi que leur traitement, sont des processus déterminants pour la compréhension et la mémorisation des phrases. Shutterstock
Masquer le visage des enseignants et de leurs élèves risque de constituer un facteur d’instabilité dans les échanges en classe. Quelques conseils pour anticiper les difficultés.
La crise sanitaire inédite à laquelle nous sommes confrontés aura un impact singulier sur la classe, avec l’introduction généralisée des masques. Masquer le visage des enseignants et de leurs élèves risque de constituer un facteur d’instabilité majeure dans la relation didactique. Il est nécessaire d’en prendre conscience pour anticiper les difficultés auxquelles tous seront confrontés lors de la réouverture des établissements.

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En effet, la perception visuelle des informations qui se dessinent sur la face de celui ou de celle qui énonce la parole et de celui ou celle qui la reçoit, ainsi que leur traitement, sont des processus déterminants pour la compréhension et la mémorisation des phrases échangées et du cours en général. Ces étapes influencent l’ensemble des paramètres de la relation d’enseignement.

Entre émotions et prosodie

Le visage transmet des informations de plusieurs natures. Celles-ci sont d’abord de nature émotionnelle. Un échange indispensable pour que s’établisse une relation d’empathie entre enseignants et enseignés. C’est la lecture de ces émotions qui permet d’instaurer des conditions de sécurité affective favorables à l’apprentissage.

S’y ajoutent des éléments de nature kinésique, que l’on accompagne une interrogation d’un mouvement de tête ou que l’on souligne par une mimique un accord, une liaison qui apporte un complément d’information

Par ailleurs, des éléments d’ordre articulatoire de nature plus strictement linguistique – le resserrement des lèvres, leur arrondissement, l’écartement des maxillaires – sont des informations complémentaires utiles pour la compréhension langagière. Ce sont en général des éléments plus pertinents en situation d’apprentissage d’une langue étrangère, mais tout aussi utiles pour la perception de tous types de messages. Il n’y a qu’à observer les regards des personnes assistant à une conférence, scrutant attentivement le visage du conférencier, pour s’en convaincre.

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Enfin, c’est pas le visage que passent des informations de nature prosodique ou « musicale » d’ordre macrokinésique, très étroitement liés à la gestuelle globale du corps, et à la micro-kinésie vocale.

Masquer le visage aura pour conséquence de dépouiller le message d’éléments d’information qui sont tous, dans leur imbrication les uns avec les autres, indispensables pour une perception globale du message, des conditions de son énonciation aux émotions qui s’y rattachent. C’est donc un défi majeur auquel enseignants et enseignés seront confrontés.

Engagement corporel

C’est en masquant la face que certains prendront conscience à quel point l’oral est conditionné par un engagement corporel global, dans lequel le visage joue un rôle central. Que reste-t-il aux enseignants obligés de porter un masque ? Les gestes, la voix, le regard.

Les enseignants devront amplifier les mouvements du corps envers les élèves, tout en respectant le mètre fatidique de la distanciation sanitaire ! Ils vont devoir jouer, mimer, encore plus qu’avant, le contenu de leur cours, véhiculer tout ce qui peut l’être à travers les mouvements du corps, porter littéralement le message avec les gestes et les attitudes, puisque les mimiques seront occultées.

Les gestes qui accompagnent la voix seront plus décisifs qu’auparavant pour transmettre un message. Shutterstock


Il sera alors essentiel de renforcer la connexion par le regard avec chacun de ses élèves, ainsi qu’avec l’ensemble de la classe. Il faut prendre conscience des stratégies de balayage visuel de l’ensemble groupe, sans oublier de fixer chacun des enseignés, de manière à le rattacher aussi bien au groupe qu’à ce qui est énoncé.

Reste l’utilisation de la voix, de la manière la plus appropriée possible. Puisque le masque déforme ou filtre, nous conseillons aux enseignants de veiller à bien articuler, sans oublier que certains élèves, plus visuels que d’autres, seront fortement perturbés par le fait de ne pas pouvoir se raccrocher aux expressions du visage de l’enseignant.

Il s’agit de moduler la mélodie, les intonations, exagérer dans certains cas, de manière à ce que le message demeure vivant, et soit même encore plus vivant que d’ordinaire, du fait de cette situation inédite. Veiller cependant à maîtriser ses cordes vocales, à ne pas les agresser en parlant encore plus fort que la normale : les visages masqués peuvent amener à vouloir compenser avec une intensité vocale trop importante qui peut occasionner des dégâts.

L’harmonisation des mouvements du corps avec le regard ainsi que les variations d’intonation et de rythme, et l’accentuation de leur cohésion avec le contenu du message, sont autant de facteurs indispensables pour appréhender cette nouvelle contrainte, dans des sociétés dans lesquelles le visage se présente traditionnellement sans aucun obstacle physique au regard.

Inventer une nouvelle manière de communiquer en classe, mais aussi d’enseigner et d’apprendre, avec des visages masqués, cela constitue un vrai défi pour tous !The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le7 mai 2020
Mis à jour le7 mai 2020