The Conversation : "Inondations en Afrique : une nouvelle ère hydroclimatique"
Nulle région au monde n’est à l’abri des dégâts causés par des crues exceptionnelles, que ce soient celles qui ont touché l’Europe centrale en 2002 ou le Mississippi en 2011, ou bien des phénomènes plus localisés du type des crues-éclairs qui ont ravagé l’arrière-pays niçois en cet automne 2020.
Ce qui s’est produit cet été dans certaines régions du Sahel et singulièrement dans celle du cours moyen du fleuve Niger présente cependant toutes les caractéristiques d’une entrée dans une nouvelle ère hydroclimatique.
Aujourd’hui l’intensification climatique se manifeste essentiellement sous forme de chocs localisés, dont les effets se propagent à l’ensemble de la sous-région, qui joue un rôle d’amortisseur. La poursuite de l’augmentation des températures va accroître l’intensité et l’extension de ces chocs, générant des déséquilibres socio-économiques de grande ampleur, une tendance dont les inondations de cette année sont peut-être un signe avant-coureur.
Réchauffement climatique et inondations dévastatrices
La question récurrente posée aux scientifiques lors de tout événement extrême est de savoir si on peut « l’attribuer au changement climatique ». Une question légitime puisque le réchauffement global a dépassé 1 °C en 2015 (par rapport à une référence du début de l’ère industrielle) et n’est jamais retombé sous cette valeur au cours des cinq dernières années.
Vu l’impossibilité de faire des « essais cliniques » avec une seconde terre épargnée par la hausse anthropique de l’effet de serre, cette question peut se traiter via des simulations climatiques dans le monde factuel de l’augmentation du CO2 atmosphérique, que l’on compare avec des simulations pour un monde contre-factuel tel qu’il aurait été sans progression des émissions de CO2. Ceci a permis d’attribuer irréfutablement la tendance à la croissance de la température aux émissions anthropiques, en conformité avec la théorie de l’effet de serre.
La théorie et les modèles s’accordent également sur le fait qu’une atmosphère plus chaude présente un potentiel de pluies plus violentes, notamment parce qu’elle peut contenir plus d’humidité : on parle d’intensification hydroclimatique, telle que mise en évidence récemment sur l’Afrique de l’Ouest où les périodes sèches sont plus sévères mais interrompues par des séquences pluvieuses plus intenses.
L’attribution d’inondations hors-normes au seul réchauffement climatique est un sujet plus délicat. Les précipitations ne sont pas seules en cause, les dynamiques sociodémographiques et les changements d’usage des sols jouant aussi un rôle. C’est donc une problématique de changements globaux dont le réchauffement climatique n’est qu’une composante. Elle accroît la probabilité d’occurrence d’une séquence pluvieuse exceptionnelle telle que celle d’août 2020 au Sahel, mais ses effets hydrologiques peuvent être amortis ou amplifiés selon que la capacité d’absorption de l’eau du complexe sol-végétation est plus ou moins importante.
Le cas du Niger : crue locale et crue régionale
Pour bien apprécier ce qui s’est joué cet été, quelques rappels sur l’hydrologie du Niger sont nécessaires. Ce fleuve prend sa source dans les montagnes du Fouta-Djalon en Guinée, où les précipitations sont plus abondantes que dans les contrées semi-arides que le fleuve traverse en aval. Ces précipitations sont pilotées par la mousson africaine et atteignent leur maximum au cours de l’été (juin à septembre), produisant une crue qui se propage en s’amplifiant tant qu’il pleut sur la région, de manière analogue à la fameuse crue du Nil.
Après la fin de la saison des pluies, cette crue continue sa propagation vers l’aval en s’étalant, mais reste bien marquée : elle atteint son maximum dans la région de Niamey, quelque 2 600 km en aval, entre mi-décembre et mi-janvier. La valeur du pic de crue peut varier fortement d’une année sur l’autre, selon que la saison a été plus ou moins abondante sur la Guinée et le Sahel et selon la temporalité de ces pluies – plus ou moins réparties ou concentrées au cours de la saison.
Des digues ont été construites pour faire face à cette montée annuelle des eaux. À Niamey, elles ont été dimensionnées sur la base des observations réalisées depuis qu’une station de mesure hydrométrique a été mise en service en 1929. Jusqu’en 2012, le débit maximal n’avait jamais dépassé 2 500 m3/s. Alors observé pour la première fois, il a provoqué le déplacement de plus de 500 000 personnes.
Le 8 septembre 2020, le niveau du fleuve a dépassé la cote des 7 mètres, un nouveau record, qui correspond à un débit estimé à 3 300 m3/s (cette valeur est une estimation qui demande à être précisée, étant donné qu’on atteint là des niveaux jamais mesurés et donc pour lesquels les courbes de tarage doivent être extrapolées). Les digues, inadaptées, se sont rompues par endroit, inondant tous les quartiers de la rive droite – y compris l’Université Abdou Moumouni.
Tout autant que son niveau exceptionnel, c’est la date d’occurrence de cette crue qui marque une rupture avec les observations passées. Une crue locale entre le 15 août et le 15 septembre a toujours existé, mais jusqu’au tournant du XXIe siècle, son niveau demeurait nettement plus faible que celui associé à la crue régionale (dans un rapport de deux tiers environ).
Or depuis 2010, on observe régulièrement comme cette année une crue locale plus forte que la crue régionale. En 2012 où le pic de la première a été de 2500 m3/s, le maximum de la seconde n’a été, lui, que de 1 700 m3/s.
Une nouvelle ère hydrologique au Sahel
Les pluies observées sur la région sont cette année clairement excédentaires, avec des anomalies particulièrement élevées dans la région du Niger moyen, où elles atteignent localement près de 200 %. Sur la ville de Niamey pourtant, elles n’ont pas dépassé les records observés en 1952 ou 1998.
Dans la bande de climat soudanien, entre le Sahel et le golfe de Guinée, les précipitations sont au contraire déficitaires. Cette situation de dipôle se rencontre lorsque la Zone de convergence intertropicale (ZCIT) se situe à des latitudes anormalement septentrionales. Elle n’a rien d’anormal en soi et constitue un des éléments caractéristiques de la variabilité climatique naturelle dans cette région tropicale où les pluies sont pilotées par la mousson africaine.
Au Sahel, pas de retour à la normale après la « grande sécheresse » https://t.co/tp2AfRIEQV pic.twitter.com/iJrimevWig
— The Conversation France (@FR_Conversation) November 12, 2018
Les inondations de 2020, pour exceptionnelles qu’elles soient, s’inscrivent par ailleurs dans un contexte de recrudescence de ces phénomènes sur toute l’Afrique de l’Ouest depuis une quinzaine d’années, recrudescence que l’on peut attribuer à l’effet conjugué de l’intensification pluviométrique et des changements d’usage des terres : un travail récent mené à l’Institut des géosciences de l’environnement montre que sur les affluents du Niger, la crue décennale des années 1960 a dorénavant une chance sur deux de se produire tous les ans, alors même que la pluviométrie annuelle reste inférieure à ce qu’elle était lors de cette période humide.
S’adapter à ce nouveau contexte
Outre des pluies intenses qui ont débuté le 8 août sur la ville de Niamey et des sols plus ruisselants, il y a – au moins – trois autres phénomènes qui ont joué un rôle important dans l’inondation exceptionnelle de 2020 : d’une part, de forts apports des affluents de rive droite en amont de la ville, causés par des pluies élevées sur le nord-est du Burkina Faso dès la fin du mois de juillet. D’autre part, la remontée des eaux souterraines, liée à une modification durable de l’hydrologie régionale. Enfin, un ensablement du lit du Niger à Niamey qui a pour conséquence une côte plus importante pour un même débit.
Les inondations sans précédent qui ont touché Niamey au mois de septembre, et au-delà une grande partie de la région sont donc en fait le résultat de tendances régionales lourdes et de facteurs plus circonstanciels liés à la structure de la saison des pluies 2020.
Cette nouvelle ère hydroclimatique implique de mettre en œuvre des politiques d’adaptation, déjà largement identifiées : agroforesterie et petits ouvrages en zone rurale pour faciliter l’infiltration de l’eau, révision des schémas d’assainissement dans les villes et de manière plus générale actualisation des normes hydrologiques qui servent de base au dimensionnement des infrastructures.
Le fait qu’il existe des leviers d’adaptation ne doit au demeurant pas faire oublier la responsabilité des pays fortement émetteurs de GES, qui doivent prendre des mesures d’atténuation drastiques et rapides pour éviter que les pays les plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique soient de moins en moins habitables.
Abdou Ali, directeur du département information et recherche du Centre régional Aghrymet à Niamey au Niger, a contribué à la rédaction de cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le26 novembre 2020
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Les auteurs
Directeur de recherche, hydro-climatologue, spécialiste du cycle de l’eau en région tropicale
Institut de recherche pour le développement (IRD)
Gérémy Panthou
Hydro-climatologue
Université Grenoble Alpes (UGA)
Théo Vischel
Maître de conférences en hydrologie
Université Grenoble Alpes (UGA)
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