Résultats d’une étude en psychophysiologie montrant que les attitudes politiques liées à un large ensemble de phénomènes autoritaires sont associées à une moindre capacité à faire face au stress.
La question de savoir si et comment l’environnement façonne la psychologie des individus est une question fondamentale en sciences sociales.
La recherche montre que des facteurs macro-sociaux comme les inégalités structurelles, l’instabilité sociopolitique et le risque de violence se reflètent au niveau de la population dans l’approbation de la hiérarchie entre les groupes et la motivation au contrôle social punitif.
Ces réactions psychologiques au niveau individuel sont à leur tour liées à un large ensemble de phénomènes autoritaires comme le racisme, le sexisme, l’homophobie, la persécution ethnique.
Tous les individus ne réagissent cependant pas de la même manière. Depuis plusieurs décennies, l’on s’accorde à penser que les attitudes autoritaires sont liées à de moindres capacités d’adaptation émotionnelle, cognitive et comportementale aux événements, situations, contextes évalués comme incertains ou menaçants. Toutefois, l’analyse de ce phénomène a peu investi les mécanismes physiologiques fondamentaux. C’est précisément l’objet d’une étude récente.
Attitudes autoritaires
L’autoritarisme de droite et l’orientation à la dominance sociale sont deux dimensions distinctes de l’autoritarisme, la première étant orientée vers l’obéissance et la seconde vers l’exercice du pouvoir.
L’autoritarisme de droite a été initialement conceptualisé par le philosophe allemand Theodor W. Adorno dans l’ouvrage Études sur la personnalité autoritaire (1950), et a fait l’objet depuis de raffinements à la fois théoriques et psychométriques. On considère que l’autoritarisme de droite comprend trois facettes : une adhésion rigide aux normes sociales, une grande importance attribuée à l’obéissance et au respect de l’autorité, et une attitude punitive à l’encontre des personnes s’écartant des normes sociales.
L’orientation à la dominance sociale a été conceptualisée par les professeurs de psychologie américains Jim Sidanius et Felicia Pratto dans l’ouvrage Social Dominance (1999). Cette notion désigne une orientation générale envers les relations intergroupes, reflétant une préférence pour des relations hiérarchiques, inégalitaires.
Selon les professeurs de psychologie néo-zélandais John Duckitt et Chris Sibley, les attitudes autoritaires expriment des motivations (à la sécurité, à la dominance) rendues chroniquement saillantes chez les individus par leur environnement social.
Cette proposition repose sur de nombreuses études montrant que la menace sociale augmente le niveau d’autoritarisme.
Cependant les individus varient significativement dans leurs réponses à la menace, et les causes de cette variabilité demeurent mal comprises. Une possibilité est que les gens varient dans leur physiologie et que certaines de ces variations encouragent l’adoption d’attitudes sociopolitiques particulières. C’est ce que nous avons tenté d’éclaircir en menant une recherche en laboratoire impliquant des mesures physiologiques.
Vulnérabilité au stress
L’exposition à un stresseur (facteur de stress) provoque un ensemble de réponses physiologiques impliquant le système nerveux autonome au sein duquel le nerf vague joue un rôle prépondérant.
Ce nerf crânien agit comme un frein sur le cœur : face à une menace, son influence diminue rapidement pour permettre notamment une augmentation de la fréquence cardiaque et des réponses défensives (attaque, fuite, immobilisation), et dans un contexte de sécurité son influence augmente pour favoriser un état de calme et permettre ainsi un comportement prosocial (coopération, aide, altruisme).
On parle de « flexibilité physiologique » pour désigner cette capacité d’un organisme à ajuster son niveau d’excitation physiologique en synchronie avec l’environnement.
Une altération de la flexibilité physiologique (par exemple en raison d’une surexposition à des stresseurs) se traduit par un stress maintenu constant, un état d’hypervigilance, une surestimation chronique de la menace, de moindres tendances prosociales, l’expression rigide de comportements défensifs.
Dans une étude que nous avons réalisée en France, 198 personnes ont dans un premier temps répondu à un questionnaire comprenant une échelle de mesure de l’autoritarisme de droite et une échelle de mesure de la dominance sociale.
Dans un second temps, nous avons enregistré leur activité vagale (à partir d’un électrocardiogramme) en trois moments : au repos, pendant un épisode de stress d’une vingtaine de minutes (réalisation devant l’expérimentateur de trois tâches d’échec forcé), et enfin durant une phase de récupération post-stress.
Mise sous tension
La recherche montre que deux aspects rendent la réalisation d’une tâche particulièrement stressante : la menace socio-évaluative (qui survient lorsque de mauvaises performances peuvent révéler l’absence d’une compétence socialement valorisée) et l’échec forcé (qui survient quand les efforts produits n’améliorent pas les résultats obtenus).
Pour la première tâche d’échec forcé de notre étude, les personnes devaient identifier l’émotion exprimée par des visages présentés sur un écran de manière subliminale. Un retour sur la performance était donné après chaque essai, 80 % des retours étaient négatifs et ce indépendamment de leur acuité réelle dans la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles.
Pour la deuxième tâche, les personnes devaient résoudre autant d’anagrammes que possible pendant un temps limité. Plusieurs anagrammes étaient insolubles. Enfin, pour la dernière tâche, les personnes devaient réaliser à haute voix un exercice de soustraction en série, le plus rapidement possible. À chaque erreur, les personnes devaient reprendre la tâche à son début. Durant chaque tâche, l’expérimentateur exhortait régulièrement les personnes à fournir plus d’efforts (« Concentrez-vous », « Dépêchez-vous un peu », « Faites un effort »).
Un premier résultat montre que plus les personnes avaient des scores élevés aux échelles d’autoritarisme, plus leur réaction physiologique au stress était élevée. Un second résultat montre que plus les personnes avaient des scores élevés aux échelles d’autoritarisme, plus leur récupération physiologique post-stress était faible. Les attitudes autoritaires seraient donc associées à une moindre flexibilité physiologique et ainsi une moindre capacité à faire face au stress. Or ces attitudes déterminent nos comportements sociopolitiques.
Rôle de l’environnement
La flexibilité physiologique des personnes est déterminée par des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux. La littérature scientifique a identifié une diversité de facteurs de stress environnementaux comme la sévérité du partage inéquitable des ressources au sein des groupes, l’importance de l’agression dans le maintien de la dominance, le manque de soutien social.
La recherche antérieure montre qu’un environnement inégalitaire, incertain, violent peut provoquer des déviations du comportement social comme l’inhibition des conduites affiliatives, c’est-à-dire des interactions positives contribuant aux liens entre individus mais aussi l’augmentation de la fréquence des agressions, et des troubles du comportement agonistique (hyper-agressivité, crainte excessive).
L’ensemble de ces déviations est lié à une altération de la flexibilité physiologique.
Notre recherche suggère que les attitudes politiques sont également susceptibles d’être affectées par un environnement stressant. Plus précisément, un environnement inégalitaire, incertain, violent peut altérer la flexibilité physiologique et favoriser ainsi les attitudes et comportements hostiles orientés vers le renforcement du statu quo (discrimination, agressions motivées par l’intolérance).
Relativement au contexte pandémique, d’aucun pourrait spéculer que le cumul important de facteurs de stress (menace pathogène, manque de contrôle, manque de prédictibilité, renforcement des inégalités) est favorable à l’augmentation de phénomènes autoritaires aujourd’hui illustrée par une restriction des libertés fondamentales.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.