The Conversation : "Petit guide de survie en télétravail subi"

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La mise en place d'un télétravail subi doit en priorité reposer sur un cadre défini, clair, diffusé et accepté par tous les acteurs. Matthew Henry / Burst, CC BY
La mise en place d'un télétravail subi doit en priorité reposer sur un cadre défini, clair, diffusé et accepté par tous les acteurs. Matthew Henry / Burst, CC BY
Repérer les inconvénients de cette pratique pour mieux les contourner peut notamment permettre de s’adapter à une situation qui n’a pas été choisie.
Pour faire face aux mesures de confinement liées au coronavirus, les entreprises s’organisent, notamment en télétravail. Cette organisation du travail, plus ancienne qu’il n’y paraît, avait déjà fait l’objet d’un regain d’intérêt suite à la paralysie des réseaux de transports, durant les récentes mobilisations contre le projet de réforme des retraites. Toutefois, nous assistons aujourd’hui à une forme tout à fait inédite de télétravail : un télétravail subi, peu (ou pas) anticipé, sans volonté express du salarié et/ou de l’encadrement ni réelle préparation en amont, et qui plus est pour une durée indéterminée…

Nous proposons ici un petit guide de survie à une situation aussi inédite que potentiellement problématique, tant pour les salariés que pour les organisations.

Identifier les inconvénients

Le télétravail présente certains avantages… mais également des inconvénients certains ! Les repérer constitue une première étape fondamentale, notamment pour les anticiper, voire les prévenir.

Le télétravail permet au salarié de réduire le temps et le stress liés aux transports, d’améliorer sa qualité de vie personnelle et familiale, d’ajuster les temps professionnels, sociaux, familiaux et personnels, et de diminuer sa fatigue physique, voire mentale.

Pour l’entreprise, le télétravail présente des atouts économiques (productivité et réactivité accrues des salariés, réduction des coûts immobiliers), sociaux (meilleure qualité de vie des salariés) et environnementaux (pollution et empreinte carbone moindres). C’est un outil de flexibilisation de l’activité de travail tout à fait intéressant et adapté à un contexte économique de plus en plus évolutif.

Toutefois, le télétravail peut accroître le blurring, phénomène désignant une frontière de plus en plus floue et perméable entre sphères professionnelle et privée. Il peut également augmenter le temps de travail effectif des télétravailleurs, la charge de travail perçue et/ou réelle (notamment en supprimant les temps de pause), accroître le sentiment d’isolement, menacer le sentiment d’appartenance et la culture d’entreprise, voire générer des conflits entre le télétravailleur et sa famille (ou proches), victimes de cette « conquête » du travail au détriment du privé.

L’impossibilité de « contrôler physiquement » le télétravailleur peut mener à un contrôle électronique plus strict (contrôle des heures de connexion, du délai de réponse, statut affiché « en ligne », etc.) parfois mal accepté, mais également à un sur-investissement du salarié en quête de reconnaissance.

Notons enfin certains conflits pouvant émerger de la prise en charge ou non des coûts d’équipements (outils et TIC voire mobilier de bureau, fournitures, etc.) liés à la pratique du télétravail.

Attention aux zones grises !

Le télétravail est traditionnellement choisi, pensé en amont entre les parties prenantes, adapté aux caractéristiques du travail et du télétravailleur et mis en place progressivement dans le cadre d’une négociation collective, traduite par un accord ou une charte.

La mise en place d’un télétravail subi et, souvent, dans l’urgence, doit en priorité reposer sur un cadre défini, clair, diffusé et accepté par tous les acteurs : quelle répartition des tâches ? Quelles plages horaires de travail ? De disponibilité ? De réunion ? Quelles modalités de communication ? Quels circuits d’informations ? Via quels outils ? Outils devant autant que possible être adaptés, cohérents avec l’activité de travail, et les télétravailleurs formés à leur usage (via e-learning notamment).

Au niveau du contrôle : comment le travail est-il évalué ? À partir de quels critères ? De quels outils de contrôle ? La supervision et le contrôle directs étant ici complexes, une approche par les objectifs et les résultats tendent à être privilégiés, ces critères devant autant que possible être acceptés par tous. La question de la confiance et de l’autonomie prennent ici le pas sur le contrôle managérial classique.

Au niveau du télétravailleur, l’urgence est de s’aménager un espace dédié, isolé et ergonomique (quand cela est possible), de faire des pauses régulières (notamment une vraie coupure déjeuner) et de progressivement développer des rituels de travail en lien avec le cadre fixé par l’entreprise. Il est également vivement recommandé de « faire comme » si on allait au bureau : se réveiller à une heure précise, se préparer, ne pas rester en pyjama ou en tenue de sommeil, afin d’éviter un inconfortable entre-deux.

Cette déspatialisation et respatialisation du travail doit permettre d’endiguer travail et hors-travail, de prévenir l’apparition de zones grises, tant au niveau physique que mental (bien qu’une totale imperméabilité soit peu envisageable).

À moyen terme, l’organisation en télétravail doit toutefois développer une vraie politique de prévention, tant au niveau des troubles musculosquelettiques (TMS) qu’aux niveaux visuel et technosocial.

Une opportunité de repenser le travail

À terme, une fois les mesures de confinement levées et le retour à la normale acté, il conviendra de tirer les leçons de cet épisode exceptionnel : la mise en place d’un télétravail subi pourra, par la force des choses, amener à repenser les organisations classiques du travail, les modèles managériaux ancrés depuis des dizaines d’années, ainsi que le rapport au travail.

Bien que tous les métiers ne soient pas adaptés au télétravail, ni tous les salariés aptes à télétravailler, cet épisode nous démontrera assurément les capacités de résilience des organisations, c’est-à-dire leur capacité à rebondir face à l’inattendu.

Nouvelles relations entre manager et managé ? Nouveaux équilibres travail et temps libre ? Nouvelle place accordée à l’autonomie ? À la confiance ? Il ne tiendra qu’aux entreprises et à leurs directions d’y réfléchir, de relever ce challenge, de prendre de la hauteur par rapport à la période vécue et, dans l’idéal, de co-construire avec les salariés de nouvelles manières de travailler.

Une évolution des mentalités reste souhaitable : sortir de la culture du présentiel, ne plus associer présence à performance, lutter contre le présentéisme en ligne, etc. Cet épisode aura également, peut-être, un impact sur l’application du droit à la déconnexion, spécificité française encore trop peu développée dans les organisations, ou encore sur le développement de robots de téléprésence en entreprise.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le26 mars 2020
Mis à jour le26 mars 2020