The Conversation : "Pour des écosystèmes apprenants au service des transitions"

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Présentation du cadre théorique d’une étude intitulée « Comprendre la dynamique des écosystèmes apprenants au service des transitions en Afrique ».
L’article présente le cadre théorique d’une étude intitulée « Comprendre la dynamique des écosystèmes apprenants au service des transitions en Afrique », commandée par Isadora Bigourdan (Campus de l’Agence française de Développement) à Sylvia Andriantsimahavandy, Raphaël Besson, Laëtitia Manach et Stéphane Natkin.

La transformation des modèles éducatifs dans le monde

Le monde est globalement en retard pour atteindre l’Objectif de développement durable 4 des Nations unies qui vise à « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et à promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». La Commission européenne souligne qu’à la fin de l’Agenda pour le développement durable (2030), environ 800 millions de jeunes ne posséderont pas les compétences nécessaires pour entrer sur le marché du travail. Il s’agira donc de les accompagner à l’âge adulte.

Or, la formation des adultes n’enregistre pas vraiment de progression au niveau mondial. Moins de 5 % des adultes âgés de 15 ans et plus participent à des programmes d’éducation et d’apprentissage dans près d’un tiers des pays. Les adultes en situation de handicap, les seniors, les réfugiés et les migrants, les groupes minoritaires et d’autres franges défavorisées de la société sont particulièrement sous-représentés dans les programmes d’éducation des adultes et se voient privés d’un accès à des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. Dans le même temps, le secteur de l’éducation est pourtant en pleine expansion économique, avec une demande toujours plus forte d’enseignement supérieur.

Le contexte mondial de l’éducation est donc ambivalent : d’un côté, on assiste à une crise de l’éducation (l’accès à l’école s’améliore mais les acquis qui y sont faits sont insuffisants à préparer les jeunes aux défis du monde dans lequel ils vont vivre) ; de l’autre côté, le marché de l’éducation est en expansion. Les sciences éducatives sont quant à elles bousculées par des transformations de fond et l’émergence de nouveaux acteurs, qui défendent de nouveaux modèles d’apprentissage et l’acquisition de nouvelles compétences pour faire face aux défis des transitions.

Les nouveaux acteurs de l’apprentissage

L’étude sur les écosystèmes apprenants au service des transitions en Afrique nous a permis d’identifier environ 200 dispositifs pédagogiques innovants conduits dans 12 pays africains (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Égypte, Madagascar, Mali, Maroc, Niger, Rwanda, Sénégal, Tunisie (en gras les trois pays focus)). Les porteurs de ces initiatives sont des acteurs académiques de la formation (universités, centres de formation d’apprentis, écoles d’informatique…), des tiers acteurs (tiers lieux, associations, fab labs, maker spaces…), des communautés d’apprentissage ou des incubateurs engagés sur les transitions sociales et environnementales. Ces initiatives récentes (moins de deux ans en moyenne), ont su démonter durant la Covid leur impact et leur importance dans la recherche de nouvelles solutions.

Pour comprendre l’émergence de ces nouveaux acteurs de l’apprentissage, il est nécessaire de se tourner vers les transitions. Les défis sociétaux et environnementaux que nous traversons (changement climatique, préservation des ressources naturelles, pauvreté, migrations, alimentation, accès à l’éducation, montée des extrémismes politiques, égalité femme-homme, crise sanitaire…) nous plongent dans un monde incertain et complexe. Pour autant, le système éducatif reste globalement basé sur les besoins d’une société industrielle du XXᵉ siècle, alors même que les compétences nécessaires pour aborder les problématiques de ce monde complexe sont tout autres.

En effet, dans un monde marqué par une succession de « crises sans fin », il apparaît indispensable de doter les individus d’une capacité de résilience et de réinvention pour faire face à de multiples transitions (sociales, numériques, démocratiques, écologiques, économiques), aux transformations permanentes du marché du travail et à l’émergence de métiers inimaginables voilà encore quelques années.

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Ce monde en transition induit l’acquisition de nouvelles compétences pour les individus. Ce constat tend à être partagé depuis quelques années par différents acteurs : le monde académique (notamment les recherches en sciences de l’éducation, en sciences cognitives et celles portées par le Centre de Recherche Interdisciplinaire), le monde de l’éducation et de la formation des adultes, les gouvernements et les organisations internationales (ONU), l’ensemble des agences de coopération et de développement (AFD, GIZ, USAID…), ou encore le monde de l’entreprise. La littérature existante (et notamment les rapports de WISE et ceux portés par François Taddei) s’accordent autour de quatre grandes familles de compétences clés :

  • Les compétences permettant la résolution de problème et la recherche de solutions.
  • Les compétences favorisant la créativité.
  • Les compétences permettant de travailler en coopération.
  • Les compétences favorisant l’encapacitation, le leadership, l’entrepreneuriat.

À ces quatre grandes familles de compétences doivent bien sûr s’ajouter un socle de compétences fondamentales (lire, écrire, compter), ainsi que les compétences « techniques » liées à des domaines spécifiques.

Les nouveaux modèles d’apprentissage promus par ces nouveaux acteurs de l’éducation s’ancrent dans le in situ, la pratique, le faire (learning by doing), les EdTech, dans les projets, les défis et les expériences.

Ils se déploient en mettant en l’accent sur l’autonomie, l’agilité, la recherche de solutions aux transitions, la créativité, l’apprentissage de pair-à-pair grâce à des communautés apprenantes, l’approche systémique et l’intelligence collective. Ils s’inspirent des méthodes de pédagogie active, développées par Freinet, Montessori ou Steiner-Waldorf. À l’instar du maître ignorant décrit par Jacques Rancière, ces pédagogies misent sur l’expérimentation pour favoriser l’autonomie et l’émancipation des individus. L’objectif n’est pas de remplacer « l’ignorance de l’élève par le savoir du maître, mais de [développer le] savoir de l’élève lui-même […]. Il s’agit de mettre la personne en situation de se servir de sa propre intelligence, non pour arriver au but mais pour se frayer un chemin » (Jacques Rancière). Il ne s’agit plus d’apprendre mais d’apprendre à apprendre, où l’apprenant devient acteur de son propre parcours d’apprentissage.

Les innovations pédagogiques déployées par ces nouveaux acteurs peuvent être fondées sur une évolution technologique ou sur les méthodes d’apprentissage elles-mêmes (qu’il s’agisse de modèles transmissifs, behavioristes ou socio-constructivistes). Les formes éducatives peuvent être formelles (intégrées à un système éducatif institutionnel), non formelles (non institutionnalisées car se déroulant hors du système éducatif établi) ou informelles (« tout autre type de formation créant une activité d’acquisition de compétence et/ou de connaissance de manière non systématisée voire non intentionnelle »). L’innovation pédagogique peut naître également de la réutilisation de pédagogies anciennes, partiellement abandonnées et qui sont recontextualisées (formations par l’apprentissage, par l’alternance, par la communauté, par le compagnonnage, etc.).

Pour des écosystèmes apprenants

Cependant, nous faisons l’hypothèse que ce foisonnement d’initiatives pédagogiques innovantes n’aura d’impact sur les transitions, le développement des territoires et l’apprentissage des individus et des organisations, que dans la mesure où ces initiatives sauront s’ancrer et se mettre en synergie au sein d’écosystèmes apprenants.

La notion d’écosystème apprenant est actuellement développée par différents travaux académiques issus des sciences politiques, éducatives ou territoriales. Elle se construit également à travers des organisations (Global Education Leaders Partnership, Net Edu Project, Unesco, WISE, EJ4, Learning Planet, etc.) et la mise en place d’expérimentations territoriales, qui cherchent à créer des « territoires apprenants contributifs » (Plaine Commune), ou des villes « éducatrices » et « apprenantes » (Unesco).

L’analyse de la littérature nous incite à considérer que les écosystèmes apprenants se définissent au travers des trois caractéristiques suivantes :

  • Des dispositifs d’apprentissage innovants, qui favorisent l’autonomie, la confiance, l’apprentissage de pair-à-pair, la pédagogie projets et l’approche systémique.
  • Un territoire apprenant. Un écosystème apprenant s’inscrit dans le hors les murs, sur le terrain, in situ et in vivo. Il promeut un processus de « territorialisation de l’activité éducative », afin d’apprendre non seulement dans, mais aussi par les territoires et les transitions. L’écosystème apprenant se sert du territoire comme lieu d’apprentissage et d’exploration de dispositifs pédagogiques innovants.
  • Une communauté apprenante. La gouvernance d’un écosystème apprenant se structure autant sur les institutions éducatives formelles (écoles, lycées, universités), que sur le capital humain, les individus, leurs communautés et leurs organisations. Il s’agit d’« investir dans les personnes » afin de renforcer leurs compétences, leur autonomie et leurs capacités d’adaptation et de résilience. Cet investissement « dans les personnes » induit une transformation de l’action publique éducative, vers des modèles de gouvernance davantage incrémentaux, horizontaux et coopératifs. Une gouvernance horizontale centrée sur les communautés d’apprentissage, où les différents acteurs participent et co-construisent le dispositif, de l’institution pédagogique à l’apprenant en passant par le corps enseignant, les acteurs du territoire et les usagers.
Les trois piliers de l’écosystème apprenant. Author provided

Transition et résilience

L’écosystème apprenant constitue la nouvelle « utopie éducative du XXIᵉ siècle ». Ces écosystèmes apprenants se composent de trois caractéristiques clés. L’intensité de ces caractéristiques peut varier en fonction des situations territoriales, mais elles sont indissociables l’une de l’autre. Car c’est bien l’articulation de ces trois dimensions qui permettra d’accroître l’impact des écosystèmes apprenants sur le développement et les transitions et de rendre, in fine, l’utopie réalisable. C’est aussi par leur capacité à créer des porosités entre les systèmes d’apprentissage académiques et les initiatives pédagogiques innovantes qu’ils réussiront à accroître leur impact. D’où l’enjeu de la reconnaissance des Tiers acteurs par les institutions publiques, les universités ou les grands bailleurs, dans leur capacité à assurer des fonctions d’intermédiation, d’expérimentation et de régulation. Des fonctions essentielles à la gouvernance des écosystèmes apprenants.

On le voit : les écosystèmes apprenants n’induisent pas de transformation radicale des modes d’apprentissage individuels, verticaux, hiérarchiques (science/action ; théorie/expérience ; enseignant/enseigné) et/ou circonscrits à un champ disciplinaire. Ils induisent davantage des logiques de « métissage » entre de nouvelles méthodes d’apprentissage et des formes éducatives plus traditionnelles. À cet égard, nous serions d’ailleurs enclins à revoir le titre initial de l’étude pour défendre la mise en œuvre d’écosystèmes apprenants au service de la résilience.

Si la notion de transition apparaît à bien des égards similaire à celle de résilience, les deux notions ne sont pas synonymes pour autant. La transition décrit « un changement profond, une transformation du système dominant », alors que la résilience désigne « la capacité d’un système à atténuer les chocs passés ou futurs ». La notion de transition apparaît comme une notion plus radicale que celle de résilience, puisqu’elle implique le passage d’un état à un autre et le changement d’un système dominant. La notion de résilience désigne davantage un processus, et la capacité des systèmes et des individus à s’adapter et à perdurer, sans nécessairement se transformer radicalement.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le2 février 2021
Mis à jour le2 février 2021