Une croissance infinie dans un monde fini ?

Entretien avec Catherine Figuière
Société Article
Catherine Figuière est maître de conférences habilitée à diriger les recherches en économie politique à l’Université Grenoble Alpes. Elle poursuit ses travaux sur le développement durable au Centre de recherche en économie de Grenoble (CREG), qu’elle a dirigé de 2012 à 2016. Elle s’intéresse particulièrement au concept d’écologie industrielle.
L’activité humaine ne peut plus être conçue, réfléchie en dehors des cycles naturels dans lesquels elle s’insère.
"À la question ‘notre modèle de croissance est-il encore viable dans le contexte du changement climatique ?’, la réponse est non ! Cette croissance-là n’est pas tenable.

Stricto sensu, la croissance est définie comme la création de richesse. C’est quantitatif, c’est le PIB. Le développement, lui, est qualitatif : il prend en considération la nature de la richesse produite, sa répartition et les évolutions structurelles qu’elle induit. Si dans un pays, la richesse produite va à la corruption des élites, il y aura de la croissance mais il n’y aura pas de développement. En revanche, si, avec cette richesse, des routes, des écoles, des hôpitaux sont construits, il y aura du développement. Le développement nécessite une production de richesse, mais la croissance en elle-même n’est pas une finalité. Ce qui est fondamental, c’est l’utilisation de cette richesse.

Aujourd’hui, nous allons dans le mur car notre système de production de richesse est en train d’épuiser les ressources naturelles. Dans les années 70, avec les crises pétrolières, nous avons pris conscience de la finitude de notre monde. Depuis, se développe l’économie écologique qui prône notamment un ré-encastrement des activités humaines dans les cycles naturels, alors que l’économie standard propose d’internaliser certaines contraintes environnementales dans son modèle.

Jusqu’à maintenant pour produire une unité de richesse, on consommait autant voire plus d’unités de ressources naturelles, énergie comprise. Aujourd’hui, il nous faut découpler, c’est-à-dire continuer à produire des richesses (en réfléchissant aux besoins qu’elles viennent satisfaire) en consommant moins de ressources naturelles et moins d’énergie. Ce découplage se met en place, lentement et de façon parcellaire. L’écologie industrielle constitue l’un des moyens d’accélérer le processus. Cette appellation peut sembler paradoxale mais elle ne l’est pas tant que ça.

Depuis trop longtemps, on raisonne "end of pipe" : on prélève, on crée de la richesse, on génère des déchets et de la pollution, et quand il y a un problème important, à la fin du processus, alors seulement on s’en préoccupe. Le principe fondateur de l’écologie industrielle est de boucler les flux de matière et d’énergie, de renoncer au concept de déchet, en particulier dans l’industrie.

Ce modèle est notamment mis en pratique à Kalundborg au Danemark, où une cinquantaine d’entreprises de différents secteurs implantées à proximité les unes des autres sont liées : les déchets des unes sont exploités par les autres. La gestion intelligente des besoins en matières premières et des rejets a permis de créer une ‘symbiose industrielle’. En favorisant la connaissance respective des acteurs, en limitant le transport et donc la production du CO2, le territoire devient l’échelon pertinent du développement durable.

On produit ainsi la même richesse, mais dans le cadre de relations contractuelles de long terme entre les acteurs. C’est une autre logique, un véritable changement de paradigme, qui pose le problème de la concordance des temps : le temps long de la nature et de sa reproduction, le temps court des marchés financiers et des contraintes qui en découlent pour le financement des entreprises et des activités nouvelles de la transition écologique.

L’activité humaine ne peut plus être conçue, réfléchie en dehors des cycles naturels dans lesquels elle s’insère. Parce que nous voyons bien que nous sommes en train d’épuiser les ressources naturelles et de créer les conditions de la disparition de la vie humaine sur Terre."

 

Publié le25 janvier 2019
Mis à jour le4 mars 2019