The Conversation : "La pépinière urbaine de l’AFD : un nouveau régime de gouvernance de l’innovation urbaine ?"

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Atelier de préfiguration de la pépinière urbaine à Ouagadougou (Cabanon Vertical) Raphaël Besson, Author providedAtelier de préfiguration de la pépinière urbaine à Ouagadougou (Cabanon Vertical) Raphaël Besson, Author provided
Atelier de préfiguration de la pépinière urbaine à Ouagadougou (Cabanon Vertical) Raphaël Besson, Author provided
Pensé comme un outil d’intervention agile et complémentaire des instruments AFD traditionnels, la pépinière urbaine promeut de nouveaux modes de faire plus participatifs.

Raphaël Besson (PACTE/Villes Innovations) a accompagné les équipes de l’Agence Française de Développement dans la création de la démarche pépinière urbaine, en coopération avec Catherine Piekarec, Laurie Tallotte (Algoé) et Julien Brouillard (Dédale). Il nous livre ses premières analyses sur ce nouvel outil d’innovation urbaine dont il analyse avec Charles Ambrosino et Magali Talandier les modalités de gouvernance.


Présente dans 108 pays, l’Agence Française de Développement (AFD) soutient chaque année plus de 2500 projets de développement. Dans le champ du développement urbain, l’AFD intervient dans de nombreuses villes à travers le monde. Mais elle peine à accompagner des projets urbains pensés avec les acteurs du territoire, en laissant une place à l’expérimentation et à la sérendipité.

Les modèles de l’urbanisme tactique, frugal, participatif ou transitoire cadrent mal avec les objectifs et les enjeux d’une grande Banque de développement faits d’économie d’échelle, de réduction des risques et des coûts de transaction. Cependant, face à des besoins urgents d’aménagement et à la faible appropriation de grands projets de régénération urbaine, l’AFD a lancé en 2018 un dispositif pilote de « pépinière urbaine », afin d’ouvrir la voie vers de nouvelles modalités d’action urbaine.

La pépinière urbaine, un « catalyseur d’initiatives citoyennes »

Pensé comme un outil d’intervention agile et complémentaire des instruments AFD traditionnels, la pépinière urbaine promeut de nouveaux modes de faire plus participatifs, ainsi que la réalisation d’initiatives urbaines innovantes centrées sur des microprojets concrets, temporaires et/ou évolutifs. L’objectif étant de produire des résultats à court terme, certes plus limités, mais co-construits et appropriés par les usagers et la société civile.

Pour développer ce dispositif, l’AFD s’est inspirée des outils du design stratégique, du « lean management » et d’une myriade d’actions publiques « innovantes », censées ouvrir de nouvelles perspectives pour la gouvernance des projets urbains. Ces nouvelles modalités de la fabrique urbaine soulèvent de nombreuses questions. La pépinière urbaine est-elle symptomatique de l’émergence d’un nouveau régime de gouvernance de l’innovation urbaine ? Les expérimentations de la pépinière urbaine ont-elles des effets transformatifs sur les modes d’intervention classiques des maîtrises d’ouvrage et de l’AFD ? Observe-t-on des processus de fécondation, d’hybridation, ou des stratégies de récupération, voire d’ignorance réciproques ?

Pour commencer à explorer ces problématiques, nous nous fondons sur une première campagne d’évaluation de l’AFD sur la mise en œuvre des pépinières urbaines en Inde, en Tunisie et au Burkina-Faso. Nous nous appuyons également sur une hypothèse que nous testons actuellement avec des chercheurs du laboratoire PACTE de Grenoble (C.Ambrosino et M.Talandier) : il existerait trois types de régimes urbains de l’innovation. Le régime de la démonstration, le régime de l’exploration et le régime de la transformation.

De la démonstration à l’exploration

La pépinière urbaine se différencie des projets de Smart Cities, d’éco-quartiers ou de grands programmes de renouvellement urbain. Ces grands projets sont inspirés par des modèles déterminés, verticaux et descendants, où les acteurs publics, associés aux acteurs privés, jouent un rôle central. Ils participent d’un régime de la démonstration, où les objectifs à atteindre sont clairs et font l’objet d’une évaluation à l’aide d’indicateurs préétablis. Les actions entreprises doivent déboucher sur des réalisations exemplaires, des démonstrateurs modèles et transférables immédiatement. On pense ici à certains projets de quartiers-laboratoires ou villes vitrines des nouvelles technologies, à l’image des projets “Giant-Presqu’île”(Grenoble), Masdar (Abou Dhabi, Émirats Arabes Unis) ou New Songdo City (Corée du Sud)

Atelier de préfiguration de la pépinière urbaine en Tunisie. Laurie Tallotte, Author provided


La pépinière urbaine se démarque d’un tel régime, dans la mesure où l’acteur public (en l’occurrence l’AFD), n’impose pas un modèle d’innovation technologique, sociale ou environnementale, mais cherche davantage à créer les conditions de l’innovation pour des citoyens, des entrepreneurs ou des maîtrises d’ouvrage locales.

Il s’agit moins de planifier et de vérifier des hypothèses préétablies que d’accompagner des dynamiques ascendantes et des expérimentations dont on ne sait pas à l’avance si elles adviendront ou non. Ce régime de l’exploration promeut des projets d’animation temporaire d’espaces vacants et des démarches « d’essai-erreur », afin de tester avant d’adopter des solutions innovantes. Ce modèle incrémental et horizontal oblige à des « bricolages institutionnels » entre les acteurs privés/publics et la société civile. Pour cela, il favorise le lancement d’appels à projet ouverts, et recourt à des « Tiers de confiance ». Ces Tiers sont désignés les « Pépiniéristes », et ils peuvent être constitués par des maîtrises d’ouvrage publiques ou des Organisations de la Société Civile (OSC). Ils jouent un rôle essentiel dans la mesure où ils sont en charge des fonctions de régulation et d’intermédiation entre des acteurs multiples (AFD, bureaux d’études, entreprises, acteurs publics ou privés, société civile…) et des enjeux de court et de long terme.

Expérimenter « in situ »

Cette conception exploratoire de l’innovation urbaine a conduit l’AFD à identifier trois sites pilotes. En Inde, le déploiement de la pépinière a été testé dans le cadre du programme CITIIS (city investments to innovate integrate and sustain).

Piloté par un pépiniériste, l’Institut National des Affaires Urbaines (NIUA), ce programme a accompagné le lancement d’un appel à projets national, afin de sélectionner une quinzaine de projets innovants dans les quartiers défavorisés des villes indiennes. Pour aider les villes et les sociétés d’aménagement dédiées dans la conception de leurs projets, un atelier national a été organisé en septembre 2018 dans l’India Habitat Center de New Delhi. Grâce à des formats d’animation favorisant la participation et des démarches apprenantes, cet atelier a permis d’acculturer les participants aux nouveaux modèles de régénération urbaine intégrant les enjeux de mobilité durable, d’e-gouvernance, d’innovation sociale ou organisationnelle.

En Tunisie, la pépinière urbaine se déploie dans le cadre des programmes PROVILLE, des programmes de réhabilitation de quartiers d’habitation informels mis en œuvre par le Ministère de l’Équipement et l’Agence de Réhabilitation et Rénovation Urbaine (ARRU) et financés par l’AFD. L’action de la pépinière s’est pour l’instant concrétisée par la mise en place d’un pépiniériste (constitué par le groupement d’ONG Handicap International-Labess-Kandeel), la réalisation de diagnostics participatifs dans quatre quartiers du Grand Tunis et le lancement d’un appel à projets auprès des associations locales et des habitants de Tunis, afin de les accompagner dans le développement de microprojets urbains innovants à impact social et environnemental.

Au Burkina Faso, la pépinière urbaine s’inscrit dans le cadre du projet de développement durable de Ouagadougou (PDDO2). Mise en œuvre sur une durée de 18 mois par un pépiniériste (composé du GRET et de Handicap International), la pépinière a d’ores et déjà conduit un certain nombre d’actions : diagnostics d’usage, ateliers de co-conception organisés sur huit sites avec la réalisation de premiers aménagements transitoires.

À travers ces différentes intentions, la pépinière urbaine promeut un nouveau modèle de fabrique urbaine, moins vertical et davantage sensible aux ressources latentes des territoires, qu’elles soient matérielles et/ou idéelles. Elle met en lumière d’autres dynamiques, tout aussi prégnantes, de créativité, de solidarité et d’invention de solutions frugales, « bricolées » et alternatives.

Moins déterminé, ce régime de gouvernance de l’innovation urbaine laisse une place au hasard, à l’expérimentation et au développement non planifié d’espaces urbains.

Pour autant, ce régime de l’exploration est-il en capacité de modifier en profondeur le régime dominant de l’action urbaine des maîtrises d’ouvrage locales, des États ou des grands bailleurs internationaux ? Les micro-innovations de la pépinière urbaine sont-elles susceptibles d’induire, par effet d’accumulation, des transformations radicales des modes de gouvernance urbaine au sein de l’AFD ? C’est tout l’objet de notre second article qui interrogera la capacité de l’AFD et des maîtrises d’ouvrage locales à se saisir des innovations de la pépinière urbaine, et à relever le défi des transformations « from below ».The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le9 décembre 2019
Mis à jour le27 avril 2022