Yoann Bourgeois : "Jouer partout, tout le temps, avec tout le monde."

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Yoann Bourgeois (au centre) à EST, lors de l'Atelier du joueur, le 12 avril 2017 © Pablo Chignard
Yoann Bourgeois est co-directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble (CCN2). Les 10, 11 et 12 avril 2017, il est venu à la rencontre des étudiants et personnels de l’Université Grenoble Alpes pour les faire participer à un stage un peu particulier : l’Atelier du joueur. Rencontre.

Qu’est-ce que l’"Atelier du joueur" ? 

Yoann Bourgeois À l’origine, c’était un temps où je conviais des artistes issus de différents champs (musiciens, comédiens, circassiens, danseurs…) pour se ressourcer l’été. Pendant mes vacances, je louais une maison à la campagne et j’organisais des semaines intensives de jeu, orienté vers les arts de la scène. J’ai fait ça pendant quelques années, quand j’étais interprète dans une compagnie de danse, Maguy Marin.  D’emblée, je me suis intéressé à deux sortes de jeux – je me fie à la catégorisation de Roger Caillois dans son livre Les jeux et les hommes –, les jeux de vertige et les jeux de simulacre. Au fur et à mesure des années, des joueurs sont revenus et des complicités sont nées de ces semaines de jeu. Le visage de ma compagnie s’est formé.  J’ai eu ensuite le désir de transmettre cette matière de jeux à tous, quel que soit l’âge, quelle que soit la capacité physique. 

Que signifie pour vous être "joueur" ? Pourquoi continuez-vous d’approfondir cette notion ?

Y. B. Le joueur est un modèle d’humanité. C’est quelqu’un qui sait transformer toute contrainte en règle du jeu. Pour moi, le jeu est un moment de vie particulièrement intense. Dans l’Atelier du jeu, j’ai mis en relation deux champs lexicaux : celui du jeu et celui du travail avec le terme atelier, car être joueur, ça peut se travailler. Et c’est ce que je fais. Quand on est joueur professionnel comme moi, on doit jouer à 20h30 le soir. Chaque soir, je me demande si j’ai la capacité en moi de mobiliser cette nécessité de jouer et pas de faire semblant, pas de jouer parce qu’il le faut. Cela me plait de parler du jeu, parce que je trouve que les arts de la scène, largement institutionnalisés dans notre pays, sont coincés aujourd’hui dans des étaux disciplinaires. En passant par le jeu, je déjoue ces catégories qui me semblent parfois un peu improductives. C’est aussi que mon travail se situe à la lisière, que je ne peux pas dire que je fais de la danse ou du cirque…

En quoi cela vous intéresse-t-il de travailler auprès d’amateurs comme les étudiants et les personnels de l’université ?

Y. B. Ce qui m’intéresse, c’est de jouer partout, tout le temps et avec tout le monde. Mon plaisir personnel dans le jeu est là : expérimenter une multiplicité de formes et de modalités. C’est souvent dans la transmission des choses élémentaires que je reconnecte à l’essentiel.  Vous menez de nombreuses actions culturelles dans les territoires.

Pourquoi est-il important pour vous de sortir des murs de la MC2 ?

Y. B. Je suis très peu dans les murs de la MC2 !  Je suis beaucoup partout. Faire des spectacles, pour moi c’est une manière de déjouer le drame de n’avoir qu’une seule vie. C'est à chaque fois vivre une aventure globale qui n’est pas qu’artistique, qui est une modalité de production, de diffusion, de communication poétique, d’organisation du temps. C’est passer d’un rêve à la réalisation. En termes de rapport au public, aux populations, c’est d’une grande vitalité pour moi de pouvoir jouer dans la même semaine sur une grande scène internationale et dans un champ à la montagne. J’aime ces grands écarts-là.  

En quoi déjouez-vous la mort ?

Y. B. L’un des ressorts fondamental de l’art, c’est une certaine résistance à la mort. Sous ce prisme, on pourrait dire que les pyramides d’Egypte sont l’une des réponses les plus exemplaires puisqu’elles arrivent à tenir debout, à venir jusqu’à nous, du fond des ans. Mais, quand on prend un peu de hauteur, il se peut qu’on ait le vertige parce que les pyramides d’Egypte, comme tout le reste, dans 10 000 ans, ce sera de la poussière. Rien ne résiste au temps qui passe. A l’échelle de nos petites vies, on peut avoir l’illusion que des choses demeurent, mais en changeant d’échelle, on ne peut pas se voiler la face longtemps. C’est pour ça que j’ai choisi un art qui ne travaille pas contre, mais avec ou dans le temps qui passe. On écrit des durées quand on fait des spectacles, mais elles sont in-enregistrables, elles se font ici et maintenant. Ce type de résistance à la mort – ici et maintenant – a à voir avec la suspension et l’éternité.

Publié le27 avril 2017
Mis à jour le27 avril 2017