La course au bon lycée : un vrai jeu de dupes ?
Le choix d’un lycée est, pour les collégiens et leurs parents, une réelle préoccupation. Mais sur quoi fonder ce choix ? Les critiques suscitées par le logiciel "Affelnet" (affectation des élèves par le Net : Le Monde du 25/03) révèlent l’importance des effets de réputation dans les vœux d’affectation. Peut-on se fier aux réputations ? Le "bon" établissement est-il de l’ordre de la réalité objective, ou de la chimère ?
Les résultats du bac ne sont pas une garantie de la valeur d’un lycée
La publication des données annuelles relatives aux "performances" des lycées donne en apparence un fondement objectif aux croyances concernant la valeur des établissements. Il n’est certes pas a priori déraisonnable de tenir les résultats du baccalauréat pour des indicateurs de la qualité d’un lycée. Mais cela soulève deux questions.
La première est de savoir comment faire une lecture intelligente de ces résultats. La seconde, qui nous paraît encore plus importante, est de savoir s’il n’y a pas, au cœur de ce choix méthodologique, une erreur fondamentale. Car on attribue par principe au lycée, et non aux élèves, des résultats qui sont obtenus, non par le lycée en tant que tel, mais par les élèves !
On fait comme si le lycée était le déterminant des résultats des élèves (le bon lycée produisant par hypothèse de bons résultats), alors que, pour l’essentiel, ce sont les élèves qui font la valeur d’un établissement, et non l’inverse !
Pour l’essentiel, la "qualité" d’un lycée ne dépend pas de lui
Il nous paraît nécessaire de dénoncer l’aveuglement devant le fait que les résultats de lycéens réunis dans un lycée sont dus d’abord à leur valeur scolaire propre, et non à ce qui serait une "qualité" propre au lycée. Trois réalités en témoignent.
La première est, paradoxalement, le poids des déterminants socio-économiques dans la réussite individuelle. Ne souligne-t-on pas à l’envi que l’École est impuissante à corriger les inégalités d’origine sociale ? Mais alors, cela signifie que l’appartenance sociale est le premier déterminant de la valeur scolaire d’un élève. Dans ces conditions, plus un établissement accueille des élèves socialement favorisés, et plus il augmente ses chances d’« avoir » de bons résultats, et d’être considéré comme un bon établissement.
La deuxième réalité est l’existence d’établissements très contrastés, désignés comme ghettos d’un côté, huppés ou favorisés de l’autre. Les établissements ghettos ne le sont pas devenus du fait d’un déficit de qualité, qui leur serait imputable. Ils ne se sont pas autoproduits comme établissements repoussoirs. Ils ne le sont devenus que du fait de leur implantation en quartier défavorisé, et de la nature du public dont l’accueil leur est imposé : on pourrait ici parler d’une "causalité macabre" ! Symétriquement, les "bons" lycées ne sont pas devenus tels du fait d’on ne sait quelle excellence intrinsèque, mais de leur positionnement urbain, et du public qu’ils ont la chance (ou l’opportunité) de pouvoir accueillir.
La troisième réalité est précisément celle des stratégies familiales de recherche de "bons établissements", qui se caractérisent en fait le plus souvent, qu’on le reconnaisse ou non, par la décision de fuir les établissements "mal fréquentés" (ceux où domine un public d’élèves en difficulté), et la recherche d’un lieu où l’on restera entre soi. Ainsi la recherche effrénée du meilleur établissement, en masquant la réalité de ses motivations, contribue-t-elle à donner consistance à la chimère du bon lycée.
Cependant, les établissements ne sont pas condamnés à l’impuissance
Si les résultats d’un établissement sont essentiellement déterminés par la valeur scolaire des élèves qui le fréquentent, cela ne lui enlève pas toute possibilité d’action. On a pu mettre en évidence, et c’est l’un des intérêts majeurs du travail réalisé par les services du ministère de l’Éducation nationale, que l’on pouvait imputer à certains établissements une "valeur ajoutée".
Celle-ci est mesurée par l’écart entre les résultats réellement constatés, et les résultats attendus en raison de trois paramètres : l’âge, l’origine socioprofessionnelle, et la valeur scolaire de départ des élèves. On peut observer que le choix de ces paramètres souligne qu’ils sont des déterminants essentiels de la réussite des élèves, et donc des établissements, si l’on apprécie leur valeur au moyen de ces résultats ! Mais les lycées ne sont pas impuissants, et peuvent corriger en partie les effets massifs des déterminants sociaux, en ajoutant de la valeur.
L’analyse des caractéristiques des établissements en difficulté d’un côté, les études de cas de lycées à forte valeur ajoutée de l’autre, permettent d’identifier des facteurs d’échec, ou de réussite.
Dans le premier cas, le récent rapport du CNESCO intitulé "Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ?" met en exergue des facteurs de "discrimination négative". Entre autres (p. 8) : "enseignants moins expérimentés, davantage de non-titulaires, climat scolaire moins favorable, entourages des pairs peu porteurs".
Dans le second cas, des enquêtes portant sur les lycées "valorisants" mettent en évidence, par exemple, des traits tels que : l’existence d’un projet commun, une forte relation de proximité adultes/jeunes, une vie scolaire foisonnante, des équipes travaillant en cohérence (Séverin Graveleau, Le Monde du 23/03/17).
Dans un cas comme dans l’autre, ce sont autant de pistes qui se dessinent pour permettre aux établissements d’avoir une réelle influence sur leurs résultats et de devenir meilleurs.
Meilleurs… c’est-à-dire capables d’ajouter de la valeur aux élèves qu’ils reçoivent.
Que faire alors pour que les lycées deviennent réellement acteurs dans la réussite de leurs élèves ?
Pourrait-on, cependant, inverser la "causalité macabre", qui condamne les uns à une double peine (subir le poids accablant des déterminants sociaux, et en être tenus pour responsables), et attribue aux autres une double récompense (bénéficier d’un recrutement très favorable, et se voir attribuer le bénéfice des bons résultats qui en découlent), d’une façon imméritée dans un cas comme dans l’autre ?
Il est clair qu’il conviendrait d’abord, et avant tout, d’augmenter la mixité sociale, soit par des mesures de carte scolaire, soit par une politique de remodelage territorial, soit, le plus vraisemblablement, en actionnant les deux leviers. C’est sans doute la condition sine qua non, par exemple, pour progresser vers des "climats scolaires favorables", et des "entourages de pairs porteurs" !
Il conviendrait également de prendre (enfin) au sérieux l’idée que la valeur d’un établissement est (pour partie) fonction de celle des enseignants qui y travaillent. Ce qui ne signifie pas, bien au contraire, que les enseignants des établissements ghettos ne sont pas bons. Ils sont souvent admirables. Mais que, si l’on veut être logique, il faut systématiquement mettre les meilleurs enseignants possible dans les établissements les plus difficiles.
Comme on ne pourra pas contraindre des enseignants titulaires, expérimentés, et de haut niveau, à venir enseigner en secteur d’éducation prioritaire, la seule solution serait de les y inciter, en augmentant significativement l’attractivité du travail d’enseignement dans ces zones (qui sont proprement zones "de mission"), par une reconnaissance sociale de l’importance primordiale de ce travail de "missionnaire".
C’est pourquoi on pourrait faire de l’enseignement en établissement difficile une voie d’excellence pour le développement professionnel des enseignants, en créant une catégorie de "professeurs en établissement difficile", qui soit équivalente (mêmes avantages, mêmes traitements) à celle des "professeurs de classes préparatoires". Travail de même importance sociale, même reconnaissance, même salaire !
Faute de s’engager dans la voie qu’ouvriraient de telles mesures, la course au bon lycée ne pourra que rester ce qu’elle est : un jeu de dupes.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le25 avril 2017