Monsieur Blanquer et les collèges : la rançon de Pénélope ?
Le nouveau ministre de l’Éducation nationale cèderait-il à la tentation du « détricotage » ? Il semble avoir entrepris de vider de leur substance les deux grandes réformes lancées sous le quinquennat de François Hollande, dont celle touchant le collège. Or, une réforme n’est jamais qu’une tentative pour améliorer un état de choses. L’important est d’identifier les problèmes à résoudre, et les voies permettant éventuellement de le faire. Puisse le ministre s’investir dans cette tâche, au lieu de se contenter de parodier Pénélope.
Le contexte : triste pérennité d’une situation insatisfaisante
Afin de pouvoir dépasser le niveau des réactions épidermiques, simplement passionnelles, ou idéologiques, il est salutaire de rappeler le contexte et les enjeux de la réforme des collèges. Il ne faut pas perdre de vue que le collège a été assez unanimement considéré comme le « maillon faible » du système éducatif, dont il a concentré les crises. Depuis 1959, date de la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, l’opinion publique, les médias, et les politiques, ont associé volontiers les mots de collège et d’échec.
Or, aucune des réformes entreprises pour y remédier n’a vraiment donné satisfaction. Ni les « collèges d’enseignement secondaire » de la réforme Fouchet (1963), ni le « Collège unique » créé par René Haby (1975/1977), ni le projet de « collège démocratique » proposé par Louis Legrand (1983), ni le « collège de l’an 2000 » préconisé par François Dubet, ni la nouvelle « réforme du collège » mise en chantier par Jack Lang en 2002, ne sont parvenus à transformer durablement la situation ; voire, simplement, à entrer dans les faits !
Il faut en prendre acte : l’histoire de la réforme du collège n’est qu’une longue histoire de réformes plus ou moins avortées. Jusqu’à ce que le gouvernement socialiste ne décide (à notre avis : courageusement), au printemps 2015, de rouvrir « le dossier miné du Collège ».
Najat et Junie : même combat ?
La réforme proposée par la ministre Vallaud-Belkacem, et adoptée à une large majorité (51 pour, 25 contre, une abstention) par le Conseil Supérieur de l’Éducation (CSE) en avril 2015, mérite-t-elle qu’on se batte pour elle ? Telle la Junie de Britannicus, elle ne nous semble mériter ni excès d’honneur, ni indignité.
Ses motivations étaient, pour le moins, très louables. La volonté de concilier l’unité d’un cadre avec la pluralité des pratiques (faire que le collège unique ne soit plus un collège uniforme, en donnant des marges de manœuvre aux équipes de terrain). L’espoir de trouver des remèdes aux principaux maux dénoncés à l’envi depuis des décennies (ennui des élèves, aggravation de leurs difficultés : résultats décevants des collégiens de 15 ans mis en évidence par l’enquête PISA).
Le souci de tenir compte des spécificités et des besoins des différents élèves. Le souhait, moins de lutter contre l’élitisme, que de favoriser une plus grande réussite pour tous. Diversifier les enseignements, afin de mieux répondre aux besoins des élèves, tout en sauvegardant l’unicité du cadre national : de telles intentions ne sont-elles pas toujours d’actualité?
Les dispositifs introduits avaient le double mérite de concrétiser des idées claires, et d’avoir déjà été mis à l’essai sur le terrain. L’idée de donner du sens aux apprentissages, et de mieux renforcer l’acquisition des savoirs fondamentaux, en faisant concourir plusieurs disciplines à cette fin, dans le cadre d’enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). L’idée de valoriser l’enseignement des langues en avançant d’un an l’apprentissage d’une deuxième langue vivante. Enfin, l’idée de favoriser la réussite de chacun en instaurant un accompagnement personnalisé pour tous.
De la résistance au détricotage
Mais alors, pourquoi cette réforme a-t-elle été autant combattue ? On pourrait avancer l’hypothèse qu’elle a été perçue (avec souvent beaucoup d’arrières pensées, et une bonne dose de mauvaise foi), pour une réforme mortifère, conduite en quelque sorte « à la faux ». Une réforme qui supprimait, plus qu’elle ne construisait.
Ainsi on lui a reproché de mener tout droit vers un « collège allégé », avec une diminution des horaires consacrés aux disciplines traditionnelles, la suppression des classes bilangues et des sections européennes, et la disparition programmée du latin et du grec (langues ne bénéficiant plus de financement spécifique). De plus, la perspective de l’interdisciplinarité a fait redouter aux professeurs une perte de leur identité, dans un renoncement jugé coupable à l’excellence disciplinaire. Beaucoup d’enseignants n’ont été sensibles qu’à ce qu’ils perdaient ou avaient peur de perdre, sans voir ce que les élèves pouvaient gagner.
« Choqué » par la suppression « stupide » de dispositifs qui «marchaient bien », le nouveau ministre s’est lancé sans attendre dans un travail de restauration. L’arrêté, soumis au CSE le 8 juin, et applicable dès la rentrée, propose le rétablissement des classes bilangues, et du latin et du grec (sous la forme d’une option renforcée).
Mais aussi la fin de l’obligation des EPI, et la disparition du cadre national de l’accompagnement personnalisé. Autrement dit : d’une main on rétablit (ce que « les autres » avaient supprimé) ; de l’autre on supprime (ce qu’ils avaient fait). Faudrait-il conclure : à faucheur, faucheur et demi ?
L’urgence est à un changement de logique
On peut accorder que les suppressions faites par la réforme Vallaud-Belkacem étaient maladroites. Mais peut-on effacer des pertes par de nouvelles pertes ? Restaurer le statu quo ante en fauchant ce qu’une équipe précédente avait implanté est-il ce qu’il y a de plus urgent et de plus intelligent à faire ? Est-ce en se contentant de rétablir ce qui avait été supprimé, et de supprimer ce qui avait été instauré, que l’on pourra faire évoluer favorablement la situation ?
Procéder ainsi, c’est conforter ce qui constitue une difficulté majeure pour toute réforme : sa prise en otage dans les querelles politiciennes. Alors qu’une réforme n’a pour raison d’être que d’améliorer une situation en apportant des réponses à un problème dûment diagnostiqué. L’urgence est de revenir au diagnostic (qu’est-ce qui fait problème dans le collège aujourd’hui ?), pour rechercher, à partir de là, des solutions intelligentes. De s’entendre sur un « bien commun », en prenant en compte prioritairement les intérêts des premiers concernés, à savoir les élèves.
Plus encore que de temps long, l’action éducative a besoin d’une conduite éclairée. Il faudrait toujours rendre visible, et garder pour boussole à tout moment (surtout dans les moments de fièvre éruptive !), le lien entre un diagnostic, si possible partagé, et un traitement, lien qui seul peut donner sa pertinence à la réforme.
Le plus important serait donc de passer d’une logique de suppression/restauration à une logique de diagnostic/traitement. En évitant ainsi de succomber au penchant si français pour les guerres de religion, (entre par exemple « collège de l’exigence », et « collège démocratique »). Faute de quoi ce que l’on passera son temps à tricoter et à détricoter risque de n’être que le linceul du collège où tous les élèves pourraient enfin réussir…
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le13 juin 2017