The Conversation : "De l’autorité éducative : non à la fessée, oui à la discipline"

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Le refus de la violence n’entraîne pas la peur de s’imposer, et d’imposer des règles. Shutterstock
Le refus de la violence n’entraîne pas la peur de s’imposer, et d’imposer des règles. Shutterstock
La multiplication des actes de violence contre les enseignants d’une part, et le vote du projet de loi interdisant la fessée d’autre part, repose la question de l’autorité éducative.

La multiplication des actes de violence contre les enseignants d’une part, et le vote par l’Assemblée d’un projet de loi interdisant la fessée d’autre part, reposent d’une façon aiguë la question de l’autorité éducative. Un réexamen de cette notion s’impose. Les textes pédagogiques de Hegel peuvent nous être, à cet égard, d’un grand secours.

Comme l’avait rappelé Durkheim, l’autorité est le ressort essentiel de l’action éducative. L’émoi provoqué par les agressions récentes d’enseignants vient rappeler que l’autorité est une condition de possibilité du travail professoral. La souffrance qui se développe chez des enseignants empêchés d’effectuer sereinement leur tâche est accentuée par le sentiment qu’ils éprouvent de ne pas être soutenus, dans cette épreuve, par leur hiérarchie (cf. phénomène #pasdevagues).

Des moyens réglementaires, et un appui institutionnel, seraient nécessaires pour assurer une autorité jugée indispensable à la fois pour prévenir, et pour réprimer, les contestations ou agressions répréhensibles des élèves. Mais cela peut-il justifier une dérive autoritariste ?

Une « force » excluant la force

Le vote d’une loi interdisant toute violence, physique ou psychologique, exercée à l’encontre d’un enfant « sous prétexte de son éducation », vient rappeler que l’exercice de l’autorité éducative est contraint par d’infranchissables limites. Les personnes ayant autorité n’ont pas droit à la violence.

Alors qu’un « droit normal de correction » était reconnu, aux parents comme aux enseignants, par une jurisprudence constante, fessées et gifles viennent ainsi d’être mises, par le législateur, au ban des actes éducatifs. Mais cela doit-il installer la peur d’intervenir, et justifier une dérive laxiste ?

La loi interdisant la fessée contraint à réfléchir aux rapports entre l’autorité et la force. Car l’autorité est, paradoxalement, une « force » excluant la force ! L’autorité peut se définir en effet comme le pouvoir de se faire obéir sans employer la force. Elle n’existe donc que si elle est acceptée, c’est-à-dire considérée comme légitime par ceux sur qui elle s’exerce. On est moins dans l’ordre de la légalité que dans celui de la légitimité. On utilisera d’autant plus la force, en se réclamant de la légalité, qu’on aura moins d’autorité.

Car l’autorité est de l’ordre de la disposition personnelle. Elle ne se décrète pas ! Ce n’est pas le pouvoir qui confère de l’autorité, mais l’autorité qui confère du pouvoir. D’où le paradoxe de la fermeté sans violence. Exercer une violence fait perdre son statut à l’autorité, dont elle marque la ruine. On peut même faire preuve d’autorité sans jamais punir.

Il faut donc que le détenteur de l’autorité éducative puisse s’affirmer, comme personne digne d’être respectée, écoutée, et à qui l’on obéit sans crainte ni contestation. La légitimité de l’éducateur, parent ou professeur, se construit tout au long de la relation éducative, par le moyen d’une attitude de fermeté bienveillante.

Bienveillance ne signifie pas laxisme

Mais alors, pas plus que fermeté ne signifie violence, bienveillance ne signifie laxisme. Le refus de la violence n’entraîne pas, bien au contraire, la peur de s’imposer, et d’imposer des règles. Il faut savoir imposer un cadre de vie et de travail, sans lequel il n’y a pas d’éducation possible.

Il faut avoir le courage de dire non quand il le faut, c’est-à-dire quand sont en jeu des comportements moralement ou socialement inacceptables (ex : agresser autrui) ; et rester constant dans le respect des règles sans lesquelles ne sont possibles ni le travail d’apprentissage en classe, ni le travail éducatif au sein de la famille. L’interdiction de la fessée ne doit pas nous conduire à jeter le bébé (la fermeté) avec l’eau du bain (la violence).

Selon Hegel, qui nous paraît ici d’une lucidité indépassable, l’éducation doit éviter deux erreurs opposées : l’erreur répressive, et l’erreur laxiste. L’erreur répressive est marquée par la négation de la liberté au nom de l’autorité. Or l’éducation ne peut être qu’éducation à la liberté, par la liberté : « L’éducation… doit être, essentiellement, plus un soutien qu’un accablement du sentiment de soi qui s’éveille, c’est-à-dire une formation en vue de l’indépendance. »

C’est pourquoi il se s’agit pas d’« exiger une obéissance à vide pour l’obéissance même », ni d’« obtenir, par la dureté, ce qui réclame simplement le sentiment de l’amour, du respect, et du sérieux de la chose ». « Dans le climat de sociabilité propre à l’étude… ce qui convient le moins, c’est un ton excluant la liberté ».

Aider à grandir

L’erreur laxiste consiste, symétriquement, à nier l’autorité au nom de la liberté. Alors que la liberté de l’enfant ne se construit que par la discipline : « il est important de ne pas leur lâcher la bride et de ne pas tenir pour superflue la constante et nécessaire surveillance et discipline ».

Ne pas vouloir contrarier les enfants est d’autant plus improductif qu’ils ont besoin d’obéir pour grandir : « La nécessité d’être élevé existe chez les enfants comme le sentiment qui leur est propre de ne pas être satisfaits d’être ce qu’ils sont ». (Principes de la philosophie du droit, § 175 R).

Pour Hegel, l’idéal est de « trouver la voie moyenne entre une trop grande liberté permise aux enfants et une limitation trop grande de cette liberté ». Mais en sachant que la pire des erreurs est l’erreur laxiste. Car « il est plus facile d’aimer les enfants que de les élever » ! Si donc les enfants n’appartiennent à personne, « ni à d’autres, ni aux parents », il appartient aux parents, puis aux professeurs, de les aider à devenir grands, ce qui implique de résister au caprice des désirs et plaisirs éphémères.

L’autorité éducative sera donc l’apanage de ceux, parents ou enseignants, qui auront compris que la plus haute marque d’amour envers ses enfants, comme ses élèves, est d’avoir le courage de « les élever ». Non par la force, mais par l’imposition d’une bienveillante fermeté, qui n’est que la manifestation de la nécessité de respecter les autres pour être soi-même respecté.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


 
Publié le7 décembre 2018
Mis à jour le27 avril 2022