The Conversation : "Débat : Le bac et la guérilla des E3C, quels sont les vrais enjeux ?"
Cette première salve d’épreuves communes, dites « E3C », a été tirée dans une atmosphère tendue. Dans un certain nombre de cas (15 % des établissements selon le ministère, plus selon les enseignants), les épreuves ont été perturbées.
Aux tentatives de boycott, aux blocages ponctuels, aux intimidations, aux intrusions dans les établissements, les autorités académiques ont riposté par des appels aux forces de l’ordre, des menaces sur la notation des élèves défaillants, et des menaces de sanctions disciplinaires à l’égard des enseignants contestataires.
Tentons d’analyser sereinement les enjeux de cette guérilla qui a créé un climat d’angoisse, peu propice à leur réussite, chez les candidats touchés. Au-delà des enjeux partisans, d’ordre politique ou syndical, trois grands enjeux nous paraissent dignes d’être pris en considération. Ils concernent la validité de l’examen, et, partant, l’intérêt des élèves. Chacun enjeu témoigne d’un problème à résoudre.
Articuler le national et le local
Le premier problème est celui de l’articulation entre les dimensions nationale et locale de l’examen. L’enjeu est de concilier la fiabilité de l’examen avec sa faisabilité. On (enseignants, parents, élèves) considère le plus souvent que le caractère national d’un examen est seul susceptible de garantir à la fois sa pertinence (caractère approprié), sa validité (adéquation avec son but), et sa fiabilité (solidité des résultats).
Mais un examen national souffre de deux maux, qui entachent tant sa faisabilité, que sa pertinence. Sa lourdeur, chronophage, et génératrice de « couacs » ; et son uniformité, synonyme de formatage étouffant et réducteur. L’idée d’alléger le fardeau national en donnant une place significative au « local », pour prendre davantage en compte la diversité, est donc loin d’être stupide. Il ne faut pas être prisonnier du dogme du « national ».
Mais à condition que la dimension locale de l’examen n’introduise pas des facteurs de biais, et que local ne devienne pas synonyme de moindre valeur. Si l’on prend acte du fait que tout examen, même national, est passé localement, il ne doit pas être trop difficile de créer les conditions permettant à un examen local d’avoir valeur nationale. En évaluation, le « localisme » n’est pas une tare !
Articuler certification et formation
Le deuxième problème est celui de l’articulation entre deux grandes visées du système éducatif : former, et certifier. Instruire est une exigence anthropologique. Certifier les acquisitions, une exigence sociale. Les deux exigences se télescopent avec un examen tel que le baccalauréat.
Le contrôle continu a pour vocation de contrebalancer l’effet « couperet » de l’examen terminal, en rendant moins important, sinon inutile, le bachotage final. Mais l’introduction, en cours d’année de formation, d’épreuves certificatives spécifiques, peut avoir pour effet de perturber le travail formatif, en ajoutant la pression propre à la certification à la pression du travail de construction de connaissances. Ce problème a d’ailleurs été soulevé par la note de l’Inspection générale de janvier 2010 dans le cadre du suivi de la réforme du bac.
Il faut donc pouvoir harmoniser agenda des épreuves et agenda des apprentissages. Avec un peu de bonne volonté, il ne devrait pas être trop difficile de trouver une solution intelligente. Soit en se contentant d’une seule session d’épreuves spécifiques de contrôle (certificatif) continu, par exemple à la fin de la classe de première. Soit en donnant valeur certificative aux évaluations habituelles de fin de trimestre (notes et bulletins), dans le cadre de ce qui serait un « contrôle continu simple ».
Ceux qui crieraient alors au localisme désastreux devraient être attentifs au fait que c’est en se fondant sur ces seuls résultats que les grandes écoles et classes préparatoires choisissent leurs élèves.
Rendre l’examen moins inégalitaire
Le troisième problème est sans doute le plus difficile à résoudre : rendre les résultats scolaires moins dépendants de l’appartenance sociale. L’enjeu est de trouver des modalités d’examen permettant aux candidats d’échapper, autant que possible, au jeu des déterminants sociaux et économiques. Il faudrait, au moins, ne pas ajouter aux inégalités existantes des inégalités dues à l’examen.
Or le nouveau bac est jugé par certains « inégalitaire ». L’argument principal est que, comme l’exprime une élève de première dans Le Monde, « le contrôle continu renforce les inégalités ». Mais selon quels mécanismes ? On évoque une rupture d’égalité due aux conditions perturbées de passation. Ou encore le risque d’évaluations locales qui seraient biaisées par une bienveillance intempestive des examinateurs.
On peut alors faire trois observations :
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En premier lieu, rien, dans l’épreuve en tant que telle, interdit la définition et la mise en œuvre de conditions de passation équitables, leur perturbation n’étant pas une fatalité.
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En second lieu, un bac « local » ne devient éventuellement stigmatisant que s’il rend visible le lieu de passation et, encore plus, le lycée d’origine, des diplômés.
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Enfin, comme le dit Hegel pour la philosophie, l’examen vient toujours trop tard. La seule correction possible des injustices sociales est préventive, par un travail d’apprentissage intensif, rationnellement organisé, et conduit dans un climat de confiance.
La seule façon de lutter scolairement contre les inégalités est de permettre aux enseignants de consacrer toute leur énergie à faciliter, continûment, les apprentissages scolaires. Et le seul souci de tous les acteurs du processus éducatif devrait être de gagner ce combat.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le5 mars 2020
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L'auteur
Professeur honoraire (Sciences de l’éducation)
Université Grenoble Alpes