La découverte de grandes quantités d’hydrogène dans des roches argileuses à 400 m de profondeur soulève de nombreuses questions en géologie
L’hydrogène (H2) est une molécule extrêmement mobile qui, si elle n’est pas consommée par des réactions chimiques, s’échappe dans nos océans et notre atmosphère. L’hydrogène n’est pas donc pas supposé s’accumuler dans la croûte terrestre et il n’existe d’ailleurs aucun réservoir connu à ce jour. Ce paradigme est remis en question par la découverte de grandes quantités d’hydrogène piégé dans des roches argileuses situées à 400 m de profondeur à proximité d’un grand gisement d’uranium au Canada.
L’hydrogène peut être produit par différents processus réactionnels dans la croûte terrestre. Les plus connus sont l’altération hydrothermale des roches ultramafiques [1], la radiolyse [2] de l’eau, l’activité de certaines bactéries, ou encore le dégazage mantellique. Cet hydrogène natif peut ensuite réagir avec des éléments oxydés - minéralisés ou dissous dans les fluides géologiques - ou bien diffuser vers la surface et s’échapper dans nos océans ou dans notre atmosphère. Ainsi, on pensait jusqu’à présent que la grande mobilité de l’hydrogène combinée à sa forte réactivité à haute température, comme à basse température en présence de bactéries, ne lui permettait pas de s’accumuler dans le sous-sol de notre planète.
La découverte des ingénieurs d’Orano (ex Areva) et des chercheurs des laboratoires Géoressources et ISTerre (CNRS / IRD / IFSTTAR / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont Blanc), démontre que l’hydrogène peut être piégé dans les roches argileuses par adsorption. Des teneurs en hydrogène pouvant atteindre 500 ppm (0,250 mol/kg de roche) ont été mesurées dans les roches argileuses situées dans et autour du gisement d’uranium de Cigar Lake (Athabasca, Canada) à 400 mètres de profondeur. A titre de comparaison, de telles concentrations en hydrogène sont équivalentes, sinon supérieures, à celles mesurées pour le méthane dans des réservoirs non conventionnels d’hydrocarbures exploités par fracturation hydraulique.
Ces fortes teneurs en hydrogène peuvent poser des problèmes de sécurité lors de l’exploitation et le traitement du minerai et ont d’ailleurs motivées ces travaux de recherche. Cet hydrogène, d’origine radiolytique dans le cas présent, est adsorbé à la surface des minéraux argileux, principalement les illites et les chlorites, présents dans le halo d’altération entourant le gisement. Il peut être libéré par chauffage entre 80 et 300°C, ou par dissolution du substrat. Au total, près de 500 tonnes d’hydrogène sont piégées au voisinage immédiat du gisement (2 km de long, 100 m de large et 20 m de haut). Entre 5 et 20 % de l’hydrogène produit par radiolyse sur une durée de 1.4 milliard d’année est resté adsorbé dans les roches.
Cette étude révèle pour la première fois que l’hydrogène peut être piégé dans les roches argileuses de façon significative. Elle soulève des questions de premier plan en géologie sur les flux, les réservoirs et la réactivité de l’hydrogène dans la croûte terrestre. Enfin, cette étude pourrait inspirer des procéder industriels de stockage réversible de l’hydrogène utilisant certains types de minéraux argileux.
A) Vue schématique en 3D du gisement d’uranium de Cigar Lake (Athabasca, Canada) et des différentes lithologies sus- et sous-jacentes. B) Vue en 3D de la zonation des teneurs en hydrogène (H2) dans et autour du gisement. C) en bleu : photo d’un échantillon de roche (quelques centimètre) issu d’un des forage carotté sur lequel a été réalisés les mesures de désorption de l’hydrogène par chauffage ; en rouge, image prise au microscope à balayage électronique montrant la texture, à l’échelle de quelques microns, des minéraux argileux présents dans les roches entourant le gisement sur lesquelles l’hydrogène est adsorbé.
[1] Roches ultramafiques : roches magmatiques et méta-magmatiques très pauvres en silice, moins de 45 % en masse, et contenant plus de 90 % de minéraux riches en fer et magnésium: olivine et pyroxène principalement.
[2] Radiolyse de l’eau: décomposition de la molécule d’eau (H2O) sous l’action de rayonnements ionisants (ici produit naturellement par la désintégration radioactive de l’uranium) et dont les produits de réaction sont notamment H2, O2 et H2O2.
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