Les micro-organismes Halomonas sont capables de survivre à des environnements salés très hostiles. Pour cela ils accumulent la molécule ectoïne afin de compenser les fluctuations des concentrations externes de sel. Des expériences de diffusion de neutrons ont permis d'expliquer comment l'ectoïne permet à ces bactéries de survivre : elle agit, à l’intérieur des bactéries, en maintenant les propriétés dynamiques de l'eau, essentielles à la vie. Publié dans Scientific Reports, ce résultat a été obtenu par une collaboration de chercheurs principalement de l'Institut Laue-Langevin, du CNRS, du CEA, de l’Université Grenoble Alpes, de l'Institut Max Planck de biochimie et de la société de biotechnologies Bitop. Il permet une meilleure compréhension de l'adaptation des microbes à des environnements extrêmes. La bactérie Halomonas présente un fort potentiel d’applications biotechnologiques dans des domaines tels que la santé, la biorestauration et la gestion des déchets.
Les micro-organismes représentent la forme de vie la plus répandue sur Terre, et la compréhension de la façon dont ils se comportent est d'une importance capitale pour notre propre survie et notre bien-être. La vie microbienne dispose d'une étonnante souplesse d'adaptation aux environnements extrêmes - pouvant survivre par exemple dans des conditions extrêmement chaudes ou froides, acides ou basiques, salées comme dans la mer Morte ou sous haute pression comme dans les grandes profondeurs océaniques - conditions qui serait préjudiciables à des organismes complexes. Ces organismes sont appelés extrêmophiles. Parmi eux les bactéries isolées à partir de marais salants ou de milieux marins comprennent une variété d'espèces intéressantes à potentiel biotechnologique élevé, telle que la bactérie Halomonas titanicae, récemment découverte dans la coque du paquebot RMS Titanic. Il a été estimé que l'action de H. titanicae produit une rouille qui pourrait entraîner la détérioration totale du Titanic vers 2030. De même, cette bactérie a été identifiée comme un danger potentiel pour les plates-formes pétrolières et autres objets métalliques fabriqués par l'homme et situés en mer profonde. Mais cette faculté de produire de la rouille pourrait également être mise à profit pour la biorestauration ou la gestion des déchets, par exemple pour accélérer la décomposition des épaves qui jonchent le fond des océans.
Les expériences se sont focalisées sur l'interaction de l'ectoïne avec de l'eau, des protéines et des membranes. Elles ont été menées à l'Institut Laue-Langevin (ILL), leader mondial des sciences et technologies neutroniques, en collaboration avec l'Institut Max Planck de biochimie (MPIB), la société de biotechnologies Bitop et l'Institut de biologie structurale (CEA /CNRS / Université Grenoble Alpes). L'ectoïne est un composé naturel présent dans de nombreux organismes, y compris Halomonas. Elle sert de substance protectrice, en agissant comme un osmolyte - une molécule qui joue un rôle dans l'équilibre des fluides et le maintien du volume des cellules et contribue ainsi à la survie des organismes sous stress environnemental extrême. L’ectoïne est considérée comme un soluté compatible dans le sens où sa présence au sein de la cellule n'interfère pas avec le métabolisme cellulaire et la biochimie. Halomonas peut produire de l'ectoïne jusqu'à une concentration intracellulaire de 20% de la masse cellulaire sèche. Grâce à ce processus de régulation adaptatif, le micro-organisme est halotolérant sur une large plage de concentration de sel, de 0,5 à 25% de NaCl (en moyenne, l'eau de mer a une concentration en sel de 3,5%). L'ectoïne, qui affiche un effet stabilisateur indirect sur les protéines et les membranes ainsi qu’un effet inhibiteur connexe sur l'inflammation dans les cellules de mammifères, a trouvé de nombreuses applications en cosmétique ainsi que des applications cliniques grâce à ses propriétés hydratantes, stabilisatrices et réductrices de l'inflammation : traitement des allergies, de la dermatite atopique, de la toux et des symptômes du rhume…
Les neutrons, utilisés en combinaison avec des méthodes de marquage isotopique, ont montré comment l'ectoïne agit en laissant intacte la "coquille" d'eau à la surface des protéines et membranes, ce qui est essentiel à leur activité biologique. Les molécules de H2O dans l'eau liquide interagissent les unes avec les autres à travers un réseau fluide très dynamique de liaisons hydrogène entre les atomes d'oxygène et d'hydrogène de molécules adjacentes. La présence d'autres substances dans l'eau peut entraver cette organisation. Les expériences de diffusion neutronique ont permis la description des effets de l'ectoïne sur la dynamique des liaisons hydrogène et révélé comment les caractéristiques protectrices de l'ectoïne n'interfèrent pas avec le métabolisme cellulaire. En fait, l'ectoïne, plutôt que d'entraver, améliore les propriétés dynamiques remarquables des liaisons hydrogène dans l'eau - or ces propriétés sont essentielles pour assurer la capacité de solvant de l'eau, et vitales pour la bonne organisation, la stabilisation et la fonction des protéines, des lipides, des membranes, de l'ARN et de l'ADN.
Ainsi que l’explique le Dr Joe Zaccaï, scientifique émérite du CNRS travaillant à l'ILL : "On sait que la recherche de la vie sur Mars, et ailleurs dans l'univers, est guidée par la recherche de l'eau liquide, essentielle à toute forme de vie. Ses propriétés remarquables sont basées sur les réseaux hydrogène dynamiques qui jouent un rôle vital dans le repliement et les interactions macromoléculaires, qui sont à la base des fonctions biologiques des protéines. Les résultats de cette étude illustrent comment l'osmolyte, derrière la réponse halotolérance dans des microorganismes, induit des effets compensateurs sur les liaisons hydrogène dans le respect des propriétés biologiques essentielles. Les neutrons fournissent l'outil idéal pour étudier la structure et la dynamique de l'eau et des molécules biologiques de par leurs avantages uniques : entre autres, un pouvoir de pénétration élevé sans dégâts d'irradiation pour l'échantillon et la possibilité d'étiquetage d'une structure en remplaçant l'hydrogène par son isotope au deutérium. Chacun des instruments utilisés dans l'étude a agi comme un «microscope géant» de grossissement différent pour nous permettre de ‘voir’ les détails, depuis la formation cruciale des liaisons hydrogène au niveau atomique jusqu'aux grandes structures de protéines et de membranes. Bien que beaucoup d'investigations spectroscopiques et thermodynamiques aient déjà été faites par le passé sur l'ectoïne, nous sommes fiers de présenter, grâce à l'utilisation des neutrons, la caractérisation expérimentale directe des structures ectoïne-eau-protéine et ectoïne-eau-membrane pour expliquer le mode d'action de cette molécule, dont l’intérêt et l’utilité sont remarquables".
Publié le6 septembre 2016 Mis à jour le19 janvier 2017
Neutrons describe ectoine effects on water H-bonding and hydration around a soluble protein and a cell membrane. Giuseppe Zaccai, Irina Bagyan, Jérôme Combet, Gabriel J. Cuello, Bruno Demé, Yann Fichou, François-Xavier Gallat, Victor M. Galvan Josa, Susanne von Gronau, Michael Haertlein, Anne Martel, Martine Moulin, Markus Neumann, Martin Weik, and Dieter Oesterhelt. Scientific Reports. 6:31434 DOI: 10.1038/srep31434 www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4985633/
A propos
L'Institut de biologie structurale L'Institut de biologie structurale (IBS) est un centre de recherche dédié à la biologie structurale intégrée. Il s’agit d’une unité mixte de recherche (UMR 5075) créée par le CEA, le CNRS et l’Université Grenoble Alpes (UGA). Dans son étude structurale et fonctionnelle des macromolécules biologiques (notamment des protéines), l’institut propose une approche multi-disciplinaire, aux frontières de la biologie, de la physique et de la chimie, alliant recherche fondamentale, recherche appliquée et innovation technique. Ses thématiques sont développées au sein de dix-huit groupes, regroupant environ 270 personnes. www.ibs.fr
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