Ice Memory, le legs des chercheurs à la science du futur

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L’équipe d’ Ice Memory attend l’hélicoptère qui va emporter la structure du dôme de forage sur le Mont-Blanc.
L’équipe d’ Ice Memory attend l’hélicoptère qui va emporter la structure du dôme de forage sur le Mont-Blanc.
Sur le Mont-Blanc, des scientifiques internationaux ont extrait des échantillons de glace pour les stocker en Antarctique. Cette matière première menacée par le réchauffement climatique est essentielle à leurs travaux.
Mardi 16 août 2016, six chercheurs de la mission franco-italienne "Ice Memory" commencent à forer le glacier du col du Dôme, à 4 300 mètres d’altitude. Les prévisions météorologiques sont bonnes et ils vont bivouaquer deux semaines là-haut, à quelques centaines de mètres seulement du sommet du mont Blanc. Ils veulent extraire trois carottes de glace de près de 130 mètres chacune pour constituer la première bibliothèque mondiale d’archives glaciaires issues de glaciers menacés par le réchauffement climatique. L’une d’elles sera analysée pour créer une base de données référence. Les deux autres seront acheminées puis stockées naturellement en Antarctique, à -54°C, pour les scientifiques des générations futures. Le temps est compté : à la fin du 21e siècle, les glaciers culminant en-dessous de 3 500 mètres dans les Alpes, et en-dessous de 5 400 mètres dans les Andes, auront disparu. "Les carottes de glace sont essentielles pour comprendre notre climat et notre environnement. Le glacier est comme un livre qui raconte page après page l’évolution de l’atmosphère", explique Jérôme Chappellaz, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement de Grenoble (LGGE).

Matière première

Le glacier est comme un livre qui raconte l’évolution de l’atmosphère. La neige qui se dépose à la surface des glaciers enregistre des informations essentielles sur notre environnement et sur le climat. Les flocons de neige, en se tassant, capturent des impuretés et des bulles d’air. En les analysant, on peut ainsi retrouver la trace de métaux lourds, d’acides, de polluants ou de gaz, témoins de l’atmosphère il y a des centaines d’années. C’est ainsi que le glaciologue Claude Lorius et une équipe internationale de chercheurs ont pu démontrer dans les années 1980 la corrélation entre climat et concentration de gaz à effet de serre. Au col du Dôme, l’étude des carottes de glace permet de remonter 150 ans en arrière pour connaître l’impact de l’industrie européenne sur l’atmosphère et décrire l’évolution des amplitudes de pollution dans la région. Par exemple, l’accident de Tchernobyl en 1986 a laissé sa marque dans les glaciers alpins sous la forme d’un pic de césium 137. "Le glacier donnera aussi accès à l’histoire des bactéries. On a une archive qui nous permettra dans le futur d’étudier par exemple un virus sur un siècle et de regarder l’évolution du génome. Cela va permettre à un nouveau pan de la science de se développer, poursuit Jérôme Chappellaz. Avec la fonte des glaciers, ces informations se perdent. Les générations futures auront des outils de mesure plus perfectionnés que les nôtres, mais elles n’auront plus la matière première si nous n’en préservons pas un peu maintenant."

Nouvel instrument

Le carottage est une opération délicate, il faut creuser sans altérer les échantillons de glace. "Le carottier est un tube équipé de couteaux qui coupent la glace en s’enfonçant, entraîné par un moteur", décrit Patrick Ginot, ingénieur de recherche IRD au LGGE et chef de la mission. Au col du Dôme, les glaciologues testent pour la première fois le nouvel appareil spécialement imaginé par Victor Zagorodnov, un scientifique américano-russe. "Cet instrument est plus rapide, plus léger et moins encombrant que les modèles qui existaient jusqu’à présent", affirme son concepteur qui est monté plusieurs fois sur le site de forage afin de s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil. Des qualités précieuses car la mission "Ice Memory" devrait se poursuivre l’année prochaine avec un forage en Bolivie, à 6 300 mètres d’altitude, et la tonne d’équipement nécessaire à l’opération sera transportée à dos d’homme. Prélevées sur le glacier de l’Illimani, les carottes boliviennes pourraient permettre, quant à elles, de remonter jusqu’au dernier maximum glaciaire, soit retracer 18 000 ans d’histoire…

Cap vers l’Antarctique

Dix jours après le début du forage, c’est mission accomplie. Les scientifiques ont extrait la troisième des carottes. Celles-ci mesurent respectivement 126, 129 et 128 mètres, soit près de quatre tonnes de glace. Elles ont été divisées en segment d’un mètre, puis soigneusement emballées, étiquetées et numérotées dans des caisses isothermes. Héliportées et transportées dans un camion frigorifique jusqu’au Fontanil-Cornillon, à côté de Grenoble, elles seront conservées à -25°C, dans un entrepôt frigorifique, en attendant le grand départ prévu en 2020 pour la base Concordia, en Antarctique. Ce congélateur naturel offre la meilleure fiabilité pour les décennies et les siècles à venir. Là-bas, elles seront stockées dans une cave sous la neige pour ne pas être exposées aux variations de tempéra-ture. D’autres carottes de glace du monde entier devraient ensuite les rejoindre : l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, le Brésil, les États-Unis, la Russie, la Chine, le Népal et le Canada ont déjà exprimé leur intérêt pour le projet.
Publié le14 novembre 2016
Mis à jour le28 novembre 2016