La dynamique des Alpes occidentales
La majeure partie des stations GPS (Global Positioning System) permanentes dans les Alpes occidentales cumulent aujourd’hui plus de 10 ans de mesures en continue. Leurs vitesses horizontales individuelles convergent vers des amplitudes de moins de 0,3 mm/an par rapport à la plaque européenne stable. Des mesures GPS intermittentes sur une période de 22 ans, ainsi que plusieurs solutions géodésiques indépendantes contraignant les vitesses de stations GPS permanentes couvrant jusqu’à 16 ans d’observation, permettent de déterminer un champ de vitesses malgré des taux de déplacement extrêmement faibles. Ce champ de vitesses disponible est l’opportunité de mettre en évidence des motifs de déformation persistants (et donc fiables) dans les Alpes occidentales, qui permettront par la suite d’interpréter de manière réaliste l’activité tectonique de la zone.
Afin d’évaluer la précision des mesures intermittentes, les vitesses des stations de campagne ont été comparées avec celles des stations permanentes les plus proches. Les différences s’évaluent à 0,16, 0,22 et 1,65 mm/an respectivement sur les composantes Nord, Est et Verticale, soulignant ainsi les bonnes performances des stations intermittentes sur les composantes horizontales. La précision des mesures permanentes a été évaluée par la superposition de deux solutions de vitesse indépendantes, calculées avec deux approches différentes. La première approche consiste à former des doubles différences des observations GPS, ce qui permet d’éliminer un certain nombre de sources d’erreur et mène à un positionnement relatif entre les stations (routine GAMIT). La seconde méthode, dite du positionnement ponctuel précis (PPP), effectue une estimation des sources d’erreur (autrement éliminées par les doubles différences) et donne une position absolue de chaque station (routines CSRS-PPP). Les différences entre les deux champs de vitesse basés sur ces méthodes complémentaires sont évaluées à 0.15 mm/an sur les composantes horizontales et à 0.44 mm/an sur la verticale.
Si les vitesses individuelles des stations GPS sont encore trop incertaines pour être interprétées, un motif de déformation régional a pu être identifié. Il se base sur l’ensemble des mesures intermittentes et permanentes dans les Alpes occidentales. Ce motif correspond à une extension est-ouest déjà montrée par des résultats GPS préliminaires en 2002 et visibles également localement dans un réseau GPS dense dans les Alpes occidentales internes (dans le Briançonnais). Toutefois, les amplitudes de déformation observées récemment sont maintenant 10 fois plus faibles que celles publiées dans les années 2000 : 0,6 nanostrain/an sur une zone large de 150 km et 2,6 nanostrain/an sur une distance de 50 km au centre du massif (1 nanostrain/an correspond à une différence de vitesses de 0,1 mm/an sur une distance de 100 km). Cette observation illustre bien la convergence des vitesses GPS alpines vers des faibles valeurs sur des temps de mesure longs.
Le nombre de stations GPS permanentes et intermittentes inclues dans les analyses permet d’identifier des motifs de déformation avec une résolution spatiale accrue, tout en continuant à exploiter la redondance entre les stations proches. Ainsi, l’analyse de vitesses GPS projetées sur des profils au travers du massif démontre à la fois une zone d’extension au centre du massif (12.5 - 15.3 nanostrain/an dans la partie nord et centrale ; 3.1-3.3 nanostrain/an dans la partie sud), mais aussi du raccourcissement le long des bords est et ouest du massif (2.6-8.1 and 1.3-1.5 nanostrain/an dans la partie nord et centrale, et dans la partie sud, respectivement). Ce résultat est confirmé et renforcé par la comparaison de la solution en doubles différences avec celle calculée en PPP. Ce motif de déformation géodésique très contrasté est cohérent avec des mécanismes de tremblements de Terre dans les Alpes occidentales ainsi qu’avec les motifs de déformation et de contrainte correspondants à cette activité sismique. Les atouts des mesures GPS sont qu’elles permettent 1) la quantification des taux de déformation dont la sismicité ne pouvait déduire que le style (extension, raccourcissement, glissement latéral), 2) leur régionalisation grâce à la densité du réseau combiné des stations permanentes/intermittentes, et 3) la mesure de la faible déformation en continue, alors que les mesures sismologiques dépendent de l’occurrence des relativement rares séismes dans les Alpes.
Afin de comprendre le moteur de la sismicité faible mais persistante dans les Alpes occidentales, il est important d’identifier le processus à l’origine de ce motif de déformation. En effet, le mouvement vertical observé au cœur de la chaine alpine (surrection entre 2.0 mm/an au nord et 0.5 mm/an au sud du massif des Alpes occidentales) impose des contraintes fortes sur les moteurs possibles de la déformation actuelle. La mise en évidence de cette surrection élimine effectivement deux hypothèses : celle d’un mouvement extensif entre deux unités tectoniques distinctes, car il serait relié à de la subsidence, et celle qui expliquerait l’extension observée par un effondrement gravitaire du massif des Alpes occidentales ayant terminé sa phase de formation et de croissance. Les hypothèses les plus probables seraient donc des forces de volume soulevant les Alpes, en lien avec 1) la décharge du poids des glaciers par la fonte des glaces ; 2) la décharge par érosion d’une masse de roche ; 3) des structures anormales et des flux dans la racine crustale et lithosphérique, entrainant un soutien dynamique des Alpes.
Finalement, les mesures GPS disponibles montrent des premières évidences d’une séparation spatiale entre le maximum de surrection et le maximum d’extension et de sismicité. Si ce phénomène est confirmé par des séries de mesure plus longues, il appelle à une combinaison de différents processus pour expliquer la dynamique actuelle des Alpes occidentales.
Mis à jour le8 octobre 2018
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Contact
ISTerre
Université Grenoble Alpes
Directrice de l’infrastructure de recherche CNRS Réseau sismologique et géodésique français (RESIF)
Référence
A. Walpersdorf, L. Pinget, P. Vernant, C. Sue, A. Deprez, and the RENAG team
Tectonics, Sept. 2018
doi.org/10.1029/2018TC005054