Nouveau rebondissement dans le débat sur les liens entre climat et érosion
Les liens potentiels entre l’érosion de la surface terrestre et les variations climatiques ont intrigués la communauté des géosciences pendant plusieurs décennies. Ce couplage existe car une augmentation des vitesses d’érosion peut mener à une augmentation des taux d’altération des roches silicatés et un enfouissement efficace de carbone organique dans les bassins sédimentaires ; ces deux processus menant à un refroidissement global par enlèvement de CO2 de l’atmosphère. Le démarrage des cycles glaciaires-interglaciaires il y a quelques millions d’années, à la suite d’une longue période de refroidissement global, pourrait être un indicateur de rétroactions au sein du système Terre, comme il a été proposé que les cycles glaciaires-interglaciaires augmentent eux l’efficacité de l’érosion.
Une augmentation globale des vitesses d’érosion pendant les quelques derniers millions d’années, associée aux cycles glaciaires-interglaciaires, a été proposée sur la base d’une augmentation globale des vitesses d’accumulation de sédiments déduite des archives sédimentaires. Néanmoins, d’autres études ont démontré que les taux d’altération globaux n’ont pas changé durant cette période, et proposent que l’observation de taux d’accumulation de sédiments augmentés serait biaisée par des problèmes de préservation, des hiatus de dépôt et des intervalles de mesures variables. Plus récemment, une compilation globale de données thermochronologiques, une méthode permettant de reconstruire l’histoire de refroidissement des roches lors de leur remonté à la surface due à l’érosion, a été utilisée pour en déduire un quasi-doublement des vitesses d’érosion dans un grand nombre de chaînes de montagnes à travers le globe pendant les quelques derniers millions d’années.
Une équipe de chercheurs des universités de Potsdam (Allemagne), Grenoble, et Edimbourg (Royaume-Uni) a maintenant revisité cette analyse. Dans une publication dans Nature, ils démontrent que dans 23 des 30 régions où une accélération de l’érosion avait été constatée, ce résultat est entaché de ce qu’ils appellent un « biais de corrélation spatiale » ; la combinaison injustifiée de données avec des histoires de refroidissement disparates transformant ces variations spatiales des taux d’érosion en augmentations temporelles. Dans la plupart des cas, les histoires de refroidissement disparates résultent de la combinaison de données à travers des limites tectoniques (failles) majeures. Dans quatre régions, l’accélération semble réelle mais peut être expliquée par une augmentation des taux de déformation tectonique (i.e., processus de construction des chaînes de montagnes), plutôt que par des variations climatiques. Dans seulement trois cas, l’accélération enregistrée semble pouvoir être attribuée aux variations climatiques, et causée par l’incision locale de vallées glaciaires. Ces 27 (sur 30) cas d’attribution erronée d’accélération de l’érosion au climat s’expliquent par le fait que l’analyse initiale ignorait le contexte local des données, un écueil potentiellement dangereux dans l’analyse de grandes bases de données globales.
Ces nouveaux résultats suggèrent que les données thermochronologiques ont actuellement une résolution insuffisante pour évaluer si les variations climatiques des derniers quelques millions d’années ont affecté les vitesses d’érosion à une échelle globale. L’équipe de chercheurs conclut qu’actuellement, le lien hypothétique entre érosion accélérée et refroidissement global n’est pas supporté clairement par des données. Des synthèses détaillées de résultats locaux, incluant les informations spécifiques aux différentes régions analysées, pourraient aider à investiguer les contrôles sur le refroidissement global et les vitesses d’érosion de façon plus poussée.
Mis à jour le9 juillet 2018
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Référence
Schildgen, T.F., van der Beek, P.A., Sinclair, H.D., Thiede, R.C.
Nature 559, 89–93.
doi:10.1038/s41586-018-0260-6