The Conversation : "Prix Nobel de chimie : la cryo-microscopie électronique, principes et applications"
Le dernier prix Nobel de Chimie a été décerné aux Dr Jacques Dubochet (Université de Lausanne, Suisse), Richard Henderson (Laboratoire de Biologie Moléculaire de Cambridge, Royaume-Uni) et Joachim Frank (Université de Columbia, États-Unis) pour leurs travaux en cryo-microscopie électronique.
Qu’est ce que la cryo-microscopie électronique ?
Étymologiquement le mot microscopie est un nom formé à partir de deux termes grecs : mikros, qui signifie petit et skopein, qui signifie observer. Il s’agit donc d’observer ce qui est petit.
Tout le monde a côtoyé sur les bancs de l’école les microscopes optiques inventés il y a plus de 400 ans et qui fonctionnent avec de la lumière. Le pouvoir de grossissement de ces microscopes est malheureusement limité (par exemple, les virus sont trop petits pour être vus dans un microscope optique).
Pour observer des objets plus petits ou avec plus de détails il est nécessaire de faire appel à d’autres types de microscope. Le microscope électronique à transmission qui a été inventé en 1933 par Ernest Ruska en est un représentant.
Pour préserver les objets qui vont être introduits dans le microscope électronique, plusieurs techniques existent. Celle qui a été récompensée par le prix Nobel cette année est la cryo-microscopie électronique qui consiste à congeler à très basse température (-196 °C) les échantillons pour qu’ils résistent aux conditions régnant dans le microscope électronique (vide et flux d’électrons).
Que peut on faire avec la cryo-microscopie électronique ?
La cryo-microscopie électronique permet d’étudier toute sorte de structures importantes pour la vie tels que les virus, les bactériophages (virus attaquant les bactéries), les complexes permettant de faire la transcription et la traduction de l’information génétique (le passage de l’information portée par l’ADN vers l’ARN puis vers les protéines), et en fait toutes les protéines de taille suffisamment importante ayant une origine aussi bien bactérienne, virale, végétale, animale qu’humaine.
Depuis l’origine de la cryo-microscopie électronique de nombreuses études se sont focalisées sur les virus.
Aujourd’hui nous pouvons voir ces objets avec des détails incroyables, presque jusqu’au niveau atomique. Un des exemples récents d’apport de la cryo-microscopie électronique en virologie est l’étude et la détermination de la structure du virus Zika seul mais également en complexes des anticorps humain qui neutralisent ce virus.
Cette étude a permis de voir la zone de fixation des anticorps à la surface du virus et également son mode d’action : la fixation de 60 anticorps sur chaque virus rigidifie sa structure et empêche celui-ci d’infecter les cellules humaines.
Un deuxième exemple d’avancée majeure obtenue en biologie grâce à la cryo-microscopie électronique est la description de la structure en trois dimensions à l’échelle de l’atome d’un complexe entre les ribosomes et des antibiotiques.
Les ribosomes sont des usines moléculaires qui permettent la production de toutes les protéines. Certains antibiotiques tuent les bactéries en empêchant cette production (la tétracycline, par exemple).
La résolution de la structure formée entre ces ribosomes et les antibiotiques permettent de comprendre leur mode de fonctionnement et d’envisager de les modifier pour en créer de nouveaux pour lesquels les bactéries ne seraient pas résistantes.
Un microscope électronique de dernière génération permettant d’accéder à la haute résolution grâce à sa stabilité et à son système d’enregistrement d’images vient d’être acquis par l’ESRF (European Synchrotron Research Facility), installé dans ses locaux et a été inauguré le 10 novembre 2017.
La phase de mise en route est terminée et les premiers utilisateurs commencent à se succéder tous les 2 ou 3 jours (temps nécessaire pour collecter les milliers d’images nécessaires pour déterminer la structure des complexes étudiés).
Fidèle à sa politique de mise à la disposition de la communauté scientifique d’instruments à la pointe du progrès, l’ESRF a comblé, grâce à ce microscope Titan Krios de la marque Thermo Fisher, un manque indéniable : Si environ 20 microscopes de ce type sont disponibles en Angleterre et en Allemagne, il n’y en a actuellement qu’un autre en France (à Strasbourg) et aucun dans tout le sud de l’Europe !
Tous les états membres de l’ESRF ont accès à cet instrument sur la seule base de la qualité scientifique de leur projet. Ils sont accueillis par une équipe de trois scientifiques spécialistes en cryo-microscopie qui sont en charge du bon fonctionnement et de la collecte de données sur ce microscope.
Ces scientifiques sont issus de l’ESRF, de l’EMBL (Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire) et de l’IBS (Institut de Biologie Structurale) qui collaborent sur ce projet.
Cet article a été coécrit par Christoph Mueller-Dieckman, Eaazhisai Kandiah, Grégory Effantin et Michael Hons de l'Université Grenoble Alpes.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le17 janvier 2018
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