Débat : après divorce, maintenir le lien de l’enfant à ses deux parents
Nous avons récemment été auditionné·e·s en tant qu’experte.s et nous tenons à vous alerter, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les député·e·s, sur une faiblesse de la proposition de loi en cours de discussion. Dans l’état actuel de sa rédaction, les conséquences de la séparation parentale sur les enfants semblent oubliées. La proposition de loi se limite, en effet, à fixer la résidence des enfants chez les deux parents mais ne modifie en rien les modalités de cette résidence.
Des arrangements "classiques" fragiles
Dans les faits, comme le rapportent l’Institut national des études démographiques (INED), le ministère de la Justice ou l’avis du CESE, sur les 350 000 enfants qui tous les ans sont concernés par la rupture du couple conjugal, 73 % ont leur résidence habituelle chez la mère, et parmi ceux-ci 57 % rencontrent leur père selon l’arrangement dit "classique", c’est-à-dire deux jours par quinzaine, durant le week-end, plus la moitié des vacances scolaires.
Ces décisions de justice correspondent souvent aux demandes des parents mais celles-ci ne doivent pas être solidement fondées puisque les contentieux familiaux, souvent liés aux séparations, représentent la grande part de l’activité des tribunaux de grande instance ou du défenseur des enfants. Ce déséquilibre difficile à vivre fait que 20 % des enfants finissent par ne plus voir leur père quelques années après la séparation.
Les recherches scientifiques, tout comme les études cliniques, montrent que la rupture du lien de l’enfant avec l’un de ses parents a des conséquences négatives importantes sur les plans affectifs, relationnel, physiologique et cognitif. Ainsi, dans l’une des rares études conduites en France, la Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (DEPP) montre que les adolescents qui vivent en foyers monoparentaux réussissent moins bien que les autres au collège, toutes variables contrôlées – c’est-à-dire en comparant des jeunes qui avaient un même niveau scolaire à l’entrée en sixième et des conditions socioculturelles identiques.
Par répercussion, les conséquences de la séparation des parents représentent donc des dépenses supplémentaires dans le budget national puisque les enfants et adolescents touchés doivent être pris en charge et aidés.
Emmanuel Macron favorable à un principe de précaution
Nous pensons, comme l’écrivent Pascale Coton et Geneviève Roy, les rapporteures de l’avis du CESE, que "la préservation des liens avec chaque parent est essentielle dans l’intérêt de l’enfant." La proposition de loi en discussion devrait donc intégrer un article proposant, comme première option étudiée par les parents, les avocats et les juges, une modalité de résidence alternée égalitaire.
Cette modification irait dans le sens de la résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, votée en 2015 sous l’impulsion de Françoise Hetto-Gaash, qui invite les États "à introduire la résidence alternée ou, le cas échéant, à faire un plus grand usage de ce qui est souvent la meilleure alternative pour préserver le lien entre l’enfant et ses parents."
Cette modification irait également dans le sens du message que le président de la République, encore candidat, avait envoyé en répondant à nos questions sur ce sujet. Emmanuel Macron déclarait alors : "La résidence alternée comme première option proposée aux couples qui divorcent semble une proposition de bon sens étant donné les conséquences positives pour l’enfant d’une garde alternée sur un mode égalitaire".
En cas de décision contraire, il se disait "favorable à ce qu’on instaure une forme d’obligation de nouvel examen six mois après le refus pour s’assurer que les conditions de cette décision sont toujours réunies." Au principe de résidence alternée égalitaire se greffe donc une sorte de principe de précaution vis-à-vis de l’arrangement dit classique.
Appel aux député·e·s
Il importe de préciser que les cas de violence ou d’abus sur les enfants, de la part de l’un des parents, sont exclus de ces mesures. Ces cas relèvent d’autres dispositions et de la justice des mineurs.
Nous vous appelons donc, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les député·e·s, à affirmer clairement votre soutien à ces principes en faveur des droits fondamentaux des enfants. Nous espérons que les débats parlementaires permettront d’améliorer la proposition de loi en incluant ces deux principes, afin de permettre aux enfants de maintenir des liens réguliers et fréquents avec leurs deux parents, même après leur séparation ou leur divorce.
Cet article a été co-écrit avec Chantal Clot-Grangeat, docteure en Psychologie et psychologue psychothérapeute, vice-présidente du Conseil International sur la Résidence alternée (CIRA/ICSP).
Nous publions, chaque mercredi, l’actualité de la résidence alternée en France et ailleurs sur notre site.
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.
Mis à jour le23 novembre 2017
Vous aimerez peut-être aussi
- The Conversation : "Avec la guerre, changement d’ère dans la géopolitique du climat ?"
- The Conversation : "Dépenses, manque de transparence… pourquoi le recours aux cabinets de conseil est si impopulaire ?"
- The Conversation : "Et pourtant, on en parle… un peu plus. L’environnement dans la campagne présidentielle 2022"
- The Conversation : "L’empreinte carbone, un indicateur à utiliser avec discernement"