Électrifier sans (trop) polluer, le défi énergétique indien
1,3 milliard d’humains dans le monde n’ont pas accès à l’électricité ; parmi eux, 300 millions vivent en Inde, ce qui représente un quart de la population de ce pays. Ce chiffre est frappant à double titre : tout d’abord, il ne signifie pas que pour le reste des Indiens la qualité de l’approvisionnement électrique soit au rendez-vous, car elle est en fait bien moindre que celle dont nous bénéficions dans les pays industrialisés ; l’Inde est d’autre part un pays (très) chaud, au climat essentiellement désertique ou tropical. L’accès à l’électricité, que ce soit pour le confort thermique ou la conservation des aliments, revêt ici une importance primordiale.
L’absence d’accès au réseau, la faiblesse des revenus et la qualité médiocre de l’approvisionnement concourent à une consommation électrique moyenne très faible : 1 100 kWh par habitant, soit trois fois moins qu’en Chine, sept fois moins qu’en Europe et quinze fois moins qu’aux États-Unis… On comprend alors qu’un des objectifs prioritaires de la politique énergétique indienne soit d’améliorer rapidement les conditions d’accès à l’énergie pour une part croissante de la population ; l’électrification complète du pays devrait intervenir autour de 2040.
L’Inde dans la négociation climat
Il s’agit toutefois de réaliser cette électrification dans le cadre plus global de la lutte contre le changement climatique ; or 70 % de la production électrique indienne provient aujourd’hui de centrales à charbon, une énergie très émettrice de gaz à effet de serre ; l’Inde en possède les cinquièmes réserves mondiales.
Lors de la COP21, beaucoup avaient les yeux tournés vers Delhi, qui réclame depuis longtemps une "action climatique juste" (Just Climate Action), prenant en compte la responsabilité historique des pays développés. L’Inde, membre éminent du G77 qui regroupe les pays en développement dans la négociation climat avait la main sur le succès ou l’échec de la négociation : elle aurait pu bloquer l’accord si les flux financiers du Nord vers le Sud avaient été par trop insuffisants. Mais la ligne exprimée par son ministre de l’Environnement, Prakash Javadekar, fut finalement des plus claires : l’Inde ne fait pas partie du problème, mais veut faire partie de la solution.
Il s’agit donc de concilier les objectifs de développement durable – et notamment celui de l’accès à une énergie propre et bon marché – avec la lutte contre le changement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à la trajectoire dite "au fil de l’eau". L’objectif contenu dans la "contribution nationale" indienne à la COP21 vise par exemple à faire passer la part des énergies non fossiles à 40 % des capacités de production d’électricité en 2030.
Une grande ambition pour le solaire…
Dans ce contexte, le développement de l’énergie solaire apparaît comme une priorité, tant au plan intérieur que dans les coopérations internationales. Le gouvernement indien a ainsi fait passer l’objectif de capacité solaire installée pour 2022 de 20 à 100 GWe, contre 5,8 aujourd’hui. Cet objectif se décompose en 60 % de centrales solaires connectées au réseau – avec une politique de « parcs solaires » et de « corridors pour l’électricité verte » – et 40 % d’installations en toiture, connectées ou non au réseau. Dans ce changement de perspective pour l’Inde, la baisse du prix de l’électricité photovoltaïque, d’environ 100 €/MWh en 2012 à 60 €/MWh dans les appels d’offres les plus récents, consolide la politique poursuivie.
Parallèlement, l’Inde exerce un fort leadership au sein de l’International Solar Alliance (ISA) qui a vu le jour lors de la COP21. Cette alliance regroupe un grand nombre de pays émergents, plus les États-Unis et la Chine, tandis que la France participe en cofinançant l’Institut indien de l’énergie solaire à Gurgaon, près de Delhi.
… mais aussi du nucléaire et toujours du charbon
Un nouveau paradigme énergétique est donc en train de se mettre en place. Cependant, compte tenu de l’ampleur des besoins futurs, le gouvernement ne compte pas que sur les énergies renouvelables. Le nucléaire est aujourd’hui aussi mentionné comme une priorité d’avenir. Après qu’aient été modifiées les règles de partage des responsabilités en cas d’accident, entre opérateurs du nucléaire et fournisseurs des centrales, les négociations vont bon train avec trois partenaires : les États-Unis, la Russie et la France. La capacité envisagée pour 2030 est de 63 GWe, chiffre impressionnant puisqu’il représente exactement la puissance nucléaire installée aujourd’hui dans l’Hexagone…
Mais cela ne suffira pas à assurer la couverture des besoins totaux de production d’électricité qui, selon les scénarios explorés dans le rapport Deep Decarbonization Pathways, devraient passer pour l’Inde de 1 000 TWh en 2010 à environ 2 500 TWh en 2030 et 6 000 en 2050. Le charbon aura donc toujours un rôle à jouer, même s’il sera bien plus faible que dans le scénario « au fil de l’eau ».
"Make in India"
À long terme, les énergies renouvelables variables (solaire et éolien) devraient, dans les scénarios à +2 °C de réchauffement des températures, représenter entre 40 et 50 % de la production d’électricité. L’énergie solaire en particulier apparaît comme une option stratégique. Cela parce qu’elle répond à plusieurs objectifs de la politique de développement en Inde : l’accès à l’énergie, tout particulièrement pour les zones rurales ; la limitation des impacts environnementaux sur la santé relative à l’utilisation des énergies fossiles (et le cas échéant du nucléaire) ; le développement des filières industrielles nationales et la création d’emplois associée.
L’Inde entend bien devenir un leader de l’industrie mondiale du photovoltaïque, aujourd’hui dominée par la Chine. C’est pourquoi l’industrie solaire est explicitement mentionnée comme l’une des actions prioritaires du programme "Make in India", littéralement : "Fabriquez en Inde !".
Au cours des vingt dernières années, l’Inde s’est développée rapidement, mais surtout à partir d’activités de service globalisées, se juxtaposant à un secteur agricole encore dominant. Aujourd’hui le gouvernement met l’accent sur la nécessité de développer une base industrielle nationale diversifiée. Il s’agit en quelque sorte de rattraper une étape essentielle dans le développement, étape qui a été sautée dans les dernières années.
Alors que la Chine s’engage aujourd’hui sur la voie d’une économie moins exclusivement industrielle, l’Inde revient, elle, à l’industrie mais notamment via les industries de la transition énergétique. Ce qui représente peut-être une voie originale pour un développement soutenable à long terme.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 26 juin 2016.
Mis à jour le8 février 2017
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